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                                                   ANNEE 2007

 

Dimanche 30 décembre [ lectures  : Si 3,2-6.12-14 ; Psaume 127 ; Col 3, 12-21 ; Mt 2,13-15.19-23 ]

LA FAMILLE DANS LE DESSEIN DE DIEU

« Le Seigneur glorifie le,père dans ses enfants, il renforce l'autorité de la mère sur sesfils » (Ben Sirac 3,2).

De date récente - 1924 - la fête de la Sainte Famille n'a pas pour but de faire une apologie de la cellule familiale mais bien plutôt, dans la lumière de Noël, de nous faire mieux saisir le dessein de Dieu sur une réalité essentielle, voulue par lui, au point que son Fils unique a voulu la vivre pour en faire un lieu où se découvre le salut des hommes.

Il est clair que la famille occupe une place fondamentale dans l'ordre de la création. Le Sage de l'Ancien Testament, l'Apôtre Paul, nous en rappellent les caractéristiques essentielles : permettre l'épanouissement de la personne humaine par l'apprentissage des valeurs familiales de solidarité, de respect mutuel, par la mise en œuvre de relations aimantes qui, au travers du quatrième commandement « Honore ton père et ta mère » (Exode 20,12) ouvrant la deuxième table de la loi, renvoie à l'unique source de l'amour et de la paternité: Dieu lui-même.

Parce qu'elle est affectée par le péché qui engendre de graves dysfonctionnements à l'instar de toute réalité créée, la famille devient un lieu privilégié par l'exercice du pardon et de la miséricorde. Ben Sirac n' écrit-il pas : « car ta miséricorde envers ton père ne sera pas oubliée, et elle relèvera ta maison si elle est ruinée par le péché (Si 3,14) ? Aussi par son Incarnation, le Fils de Dieu fait-il de la « Sainte Famille » le point d'appui indispensable pouf ancrer et mener à son terme le processus de la rédemption. Dès les commencements humains de Jésus, sa famille connaît le drame de la nuit de la mort, vivant en raccourci toute l'épreuve d'Israël - Exode et Exil - mais en étant aussi une prophétie de la nouvelle Terre Promise, de la libération définitive que le Sauveur est venu accomplir: « D'Egypte j'ai appelé mon fils » (Matthieu, 2,15).

C'est désormais la route pascale que chacun de ses, membres aura à connaître. La Sainte Famille est désormais le guide pascal pour toutes les familles humaines. Qu'elles puissent comme Jean Paul Il les y invitait dans sa « Lettre aux familles » (n'23) « être fortes de Dieu pour libérer les forces du bien dont la source se trouve dans le Christ, Rédempteur de l'homme »


 Nativité du Seigneur - [ lectures  : Messe de la nuit : Is 9, 1-6 ; psaume 95 ; Tt2,11-14 ; Lc 2, 1-14
                                                     Messe du jour :  Is 52, 7-10 ; Psaume 97 ; He 1, 1-6 ; O_Jn 1, 1-18 ]

LE FILS DONNE

                  «La grâce de Dieu s’est manifestée pour le Salut de tous les hommes » (Tite 2/11)

Au terme de cet Avent nous voici arrivés à Bethléem où nous pouvons contempler la présence nouvelle de Dieu au monde, son signe vivant : « Dieu-avec-nous ». Le monde entier tressaille d’une joie profonde. Même ceux qui ne sont pas familiers de notre Foi sont sensibles à l’atmosphère de jeunesse et d’espérance qui enveloppe ces jours de la Nativité.

« Le Salut de tous les hommes » écrit saint Paul. Blessée au point de n’engendrer que la mort, désespérée parce que ne sachant pas aimée, cette humanité souffrante peut redécouvrir aujourd’hui l’Épiphanie de l’amour qui sauve et régénère. En la naissance de celui qui est à la fois le Fils de Dieu et le fils de la femme (Galates 4/4), nous découvrons que loin d’être délaissés, abandonnés, Dieu est avec nous.

 Fêter la Nativité de Notre Seigneur, c’est célébrer le point culminant de l’Exode divin. Toute l’histoire du Salut est d’abord histoire du mouvement de Dieu vers nous, depuis l’interrogation douloureuse des origines « où es-tu donc ? (Gn 2/9) jusqu’au retour en gloire de la fin des temps. La puissance de l’amour du Père est telle qu’en l’enfant de Marie, Verbe fait chair, s’origine l’enfant nouveau, l’enfant de la fin que nous avons à devenir.

Fêter la Nativité de Notre Seigneur, c’est célébrer notre naissance à une condition nouvelle, à une manière d’être renouvelée : celle d’enfant de Dieu. La charité de « Dieu-avec-nous » s’inscrit en notre vieil homme pour que celui-ci puisse entrer dans la jeunesse éternelle de Dieu.

 « Il a planté sa tente parmi nous » écrit saint Jean dans le Prologue de son Évangile. En prenant le visage singulier de Jésus, fils de Marie, le verbe de Dieu récapitule toute l’histoire humaine, et donc chacune de nos histoires personnelles. En cette Nativité, naissons avec lui, à notre nouveauté. Croyant en lui, accueillons le pouvoir qui nous est donné : devenir enfants de Dieu (Jean 1/12).


Dimanche 23 décembre [ lectures Is 7, 10-16 ; Psaume 23, ; Rm 1, 1-7;Mt 1, 18-24 ]

DIEU AVEC NOUS ou LE SIGNE DE DIEU

 « Demande pour toi un signe venant du Seigneur ton Dieu… » (Isaïe 7/11).

En cette ultime étape à l’orée de la Nativité de Notre Seigneur, nous sommes invités à accueillir le signe de Dieu : Emmanuel, Dieu-avec-nous. Face à ce signe il y a deux manières de se situer. Celle du roi Acaz tout d’abord. Sans descendance, ayant renié la foi des Pères, se livrant à l’idolâtrie, face à la tourmente qui risque d’emporter Jérusalem, Acaz se refuse à « demander un signe à Dieu », c’est-à-dire à reconnaître son incrédulité, son infidélité. Il ne veut pas croire Dieu sur Parole. Aussi Dieu, sans rien devoir à cette dynastie infidèle, annonce le don de Lui-même à travers la naissance virginale mystérieuse de Celui qui est Dieu-avec-nous. La seconde manière est celle de Joseph. Dans sa justice et sa sainteté, il accepte l’inconcevable : accueillir comme un père celui à l’engendrement duquel il n’a point part. Se dépouillant de ce qui qualifie la paternité humaine, Joseph donne à Dieu la possibilité de l’enracinement légal et historique qui permet d’accomplir l’annonce faite à Acaz. Jésus est à jamais le signe de Dieu donné aux hommes.

                         Etre Emmanuel (Dieu-avec-nous), Etre Jésus (le Seigneur sauve), suppose que Dieu seul agit. Il n’est pas au pouvoir de l’homme de se donner un sauveur. L’Esprit Saint est la puissance créatrice qui, respectant la liberté de l’homme, permet le surgissement de la nouveauté divine. Ce qu’Il avait accompli à l’origine de l’univers, ce qu’Il avait développé tout au long de la douloureuse histoire des stérilités humaines, l’Esprit Saint l’achève en Marie. En accueillant la Parole divine, en se plaçant totalement sous la mouvance de l’Esprit, Marie donne à Dieu d’être, en son Verbe, Dieu-avec-nous. C’est la signature définitive par Dieu du contrat de l’Alliance.

                         En chantant le « Puer natus est » de la nuit de Noël, l’Eglise contemplera le mystère de Dieu-avec-nous. Préparons-nous à aller à Bethléem pour accueillir le signe vivant du Dieu vivant.


Dimanche 16 Décembre    [ lectures  : Is 35, 6a-10 ; Psaume 145 ; Jc 5, 7-10 ; Mt 11,2-11 ]
 

CELUI QUI VIENT ou LA REVANCHE de DIEU

     « Prenez courage, ne craignez pas, voici votre Dieu :
c’est la vengeance qui vient, la revanche de Dieu » (Isaïe 35/4)

                  Combien d’hommes tout au long de l’histoire, n’ont-ils pas crié avec force leur espoir de voir Dieu remettre de l’ordre dans un monde sauvage et violent ? Les prophètes se font les témoins de ce désir irrépressible de justice et Jean-Baptiste se situe dans leur lignée. N’a-t-il pas déjà évoqué « la cognée qui se trouve à la racine des arbres », le feu qui consume tout « ce qui ne produit pas de bons  fruits » (Mt 3,10) ?

                  Du fond de sa prison, le Baptiste laisse aussi percevoir son trouble, son doute. Aux prises avec l’injustice des puissants, il est déconcerté par la figure de Celui qu’il a pourtant désigné comme l’Agneau de Dieu. « Es-tu celui qui doit venir ou devons-nous en attendre un autre ? » (Mt 11,2). Isaïe apportait un commencement de réponse : la revanche de Dieu c’est le Salut, c’est-à-dire le pardon qui réconcilie, la vie qui régénère, l’amour qui console. Jésus achève la prophétie en la portant à son point culminant : les morts ressuscitent. Jésus vient libérer l’homme de l’esclavage suprême auquel l’a condamné son péché. Telle est la revanche de Dieu.

                  Si Dieu est Amour, ce n’est pas pour nous enfermer dans sa colère, mais pour faire grâce. Face aux multiples refus de l’homme qui occasionnent sa cécité, sa claudication, sa lèpre, sa mort enfin, le Christ vient prendre ces malheurs sur lui pour les ôter et nous ouvrir  à la contemplation du Salut, nous entraîner dans la marche vers le Royaume, guérir notre cœur lépreux du péché, ouvrir nos oreilles à la parole de miséricorde, nous donner la vie du monde à venir.

                  A la suite de Jean Baptiste qui découvre la revanche de l’amour de Dieu pour que le plus petit devienne le plus grand dans le Royaume, l’Eglise nous invite à être des annonceurs du Christ auprès de nos frères. Jésus est bien Celui qui devait venir. Il vient toujours dans les sacrements et reviendra dans sa gloire achever à jamais la revanche de Dieu.


Dimanche 9 décembre        [ lectures  : Is 11, 1-10 ; Psaume 71 : Rm 15, 4-9 ; Mt 3, 1-12]

« VOICI VENIR UN JOUR SANS FIN DE JUSTICE ET DE PAIX
(Refrain du Psaume 71)                

                   « Lui vous baptisera dans l’Esprit Saint et dans le feu » (Matthieu 3,11)

          Au seuil de la deuxième étape de notre AVENT, Jean-Baptiste nous invite à découvrir la figure de Celui qui apporte la nouveauté dans l’existence humaine. Alors que l’histoire humaine est le cimetière de toutes les idéologies qui ont prétendu imposer aux hommes leur conception du bonheur, la Bible, réceptacle inspiré de la Parole divine, est, comme le souligne saint Paul, ce qui nous donne la possibilité de découvrir la voie d’accès à cette nouveauté, non point mythique et illusoire, mais réelle et vivante. Certes la Parole de Dieu juge et tranche mais avec pour seules armes « la justice et la fidélité » (Isaïe 11,4-5). L’Esprit qui l’anime est celui de la réconciliation à laquelle l’homme est appelé avec son Dieu, avec la nature, avec lui-même.

                    « Convertissez-vous, car le Royaume des cieux est tout proche ! » (Matthieu 3,1)

            La route du Salut est celle d’un Exode aux multiples rebondissements. De la souche rasée Dieu fait surgir Celui qui n’est pas né d’un vouloir d’homme et qui se tient au milieu de nous comme la nouveauté absolue. Pour le connaître il nous faut lâcher notre passé : le baptême d’eau est l’expression de ce changement Mais seul le baptême dans l’Esprit est capable d’opérer la véritable renaissance. Seul le feu de l’amour divin peut consumer la paille du péché.

             En acceptant d’emprunter nos chemins, le Fils de Dieu accomplit ce que nous ne pouvons faire. Par la puissance de l’amour, en pénétrant la mort, ce mauvais fruit de notre liberté déviée, en convertissant nos cœurs, il ouvre le chemin qui conduit « au jour sans fin de justice et de paix ».

Sachons lui en rendre grâce comme Paul et l’Écriture toute entière nous y invitent : « Je te louerai parmi les nations, je chanterai ton nom » (Romains 15,9)


Dimanche 2 Décembre    [ lectures  : Is 2, 1-5 ; Psaume 121 ; Rm 13, 11-14 ;Mt 24, 37-44 }

VENEZ, ENTRONS EN AVENT                 

                  Venez, famille de Jacob, marchons à la lumière du Seigneur (Israël 2,5)

                  Comme autrefois le peuple de la première Alliance était invité à monter vers Jérusalem et son Temple, figure symbolique de la présence divine parmi les hommes, aujourd’hui le nouveau peuple de Dieu, l’Eglise, est appelé à marcher vers le Christ, nouvelle demeure de Dieu parmi les hommes, rassembleur des nations. 

                  Entrer en Avent, c’est découvrir que le monde, la vie, ne sont pas une répétition routinière, un retour à l’identique. Une nouveauté est en route vers nous qu’il nous faut accueillir : la présence de Dieu fait homme.

Entrer en Avent, c’est exercer à chaque instant de nos vies, vigilance et discernement : « Tenez-vous prêts, vous aussi : c’est à l’heure où vous n’y penserez pas, que le Fils de l’homme viendra » (Matthieu 24,44). Tout moment de l’existence peut être le jour et l’heure. Loin de nous attrister, la rencontre avec Celui qui vient vers nous doit nous remplir de joie et d’impatience heureuse. 

                  «Veillez donc, car vous ne connaissez pas le jour où votre Seigneur viendra » (Matthieu 24,42). Jésus nous prévient. Il y a un risque de manquer la rencontre. La figure de Noé nous est donnée en exemple. En pénétrant dans l’Arche, en s’arrachant à la routine des jours, il a pris l’option du Salut. Il a traversé l’épreuve des grandes eaux, symbole du péché et de la mort qui règnent dans notre monde pour provoquer un retour au « tohu-bohu » des origines, le néant sans lumière et sans jour. Nouveau Noé, le Christ a inversé cette course à l’abîme. Par sa mort et sa résurrection, la recréation est entreprise. Entrer en Avent, c’est accueillir la grande espérance déployée par Dieu « qui s’achèvera dans le Retour en gloire du Ressuscité ».

Entrons en Avent : « Revêtons le Seigneur Jésus-Christ » (Romains 13,14).


Dimanche 25 novembre     [ lectures  : 2_S 5, 1-3 ; Psaume 121 ; Col 1,12-20 ; Lc 23,35-43 ]

LE ROI MESSIE

                        « Dieu a voulu que, dans le Christ, toute chose ait son accomplissement total » (Colossiens 1,19).

                  En célébrant la Royauté du Christ, comme couronnement de l’année liturgique, l’Eglise nous invite à dépasser les incompréhensions et les malentendus nés d’une confusion entre les conceptions humaines d’un régime politique contingent et l’expression biblique de la Révélation du Règne de Dieu.

                  Cette dérive existait déjà dans l’Ancien Testament. Du jour où le peuple élu voulut établir un roi « du même sang que lui » l’investir de la mission de « diriger les mouvements de l’armée d’Israël » (2 Samuel 5, 1-2), il renonçait  à sa spécificité élective et se condamnait à l’échec. De cette épreuve assumée par Dieu a surgi l’accomplissement  de la promesse faite à David : la venue du Messie dévoilant aux hommes la manière d’être roi selon les mœurs de Dieu. Jésus, Messie de Dieu, fait découvrir à l’homme qu’il a à développer une Seigneurie qui trouvera son accomplissement dans le grand Sabbat du huitième jour.

Délivrant l’homme de toutes les forces qui le désintègrent et le conduisent au néant, Jésus reprend l’univers en main parce qu’il est le Principe de la création, le Prince de la paix, le Roi qui nous veut avec lui pour partager l’amour qui l’unit au Père dans l’Esprit.

                  L’œuvre pascale est l’ultime étape de l’accomplissement total. Plus encore que le refus du mal sous toutes ses formes, l’acte décisif est la victoire « sur le dernier ennemi qu’il détruira : la Mort » (1 Corinthiens 15,27). Dans l’élévation du Christ, au-delà de la croix, dans sa Résurrection et son Ascension, la vie divine peut enfin rencontrer notre mort pour l’étreindre dans l’embrasement de l’amour, mettant ainsi fin à son empire.

                  Roi crucifié, Jésus ouvre l’accès du Jardin perdu à l’homme pécheur. Celui-ci, réconcilié, lavé de ses souillures, désaltéré par l’eau vive de l’Esprit, devient enfin l’image de Dieu, Seigneur et Roi de l’Univers.


Dimanche 18 Novembre     [ lectures :Ma 3,19-20a ; Psaume 97 ; 2_Th 3, 7-12 ; Lc 21, 5-19 ]

PERSÉVÉRER DANS LA FOI POUR OBTENIR LA VIE

             « Il faut que cela arrive d’abord, mais ce ne sera pas tout de suite la fin » (Luc 21/19).

                Conflits internationaux, tremblements de terre, épidémies de peste, famines, faits terrifiants, autant d’images qui disent la fin d’un monde.

                Utilisant le style littéraire des apocalypses, le Christ veut nous signifier le sens profond de ce que l’homme vit à travers ces tragédies. Il les relie à la ruine du Temple. Celle-ci est le symbole du grand conflit qui oppose l’homme à Dieu et qui culmine dans la destruction de la véritable demeure de Dieu parmi les hommes : le Corps du Christ lui-même qui n’est pas fait de main d’homme. Le corps crucifié est le signe apocalyptique, c’est-à-dire révélateur, de la fin d’une humanité qui a perdu le sens de Dieu, emportée par le péché.

                   Le dévoilement de la fin est déjà présent dans le commencement. Le conflit de l’homme avec la nature trouvera sa résolution dans la Seigneurie de l’homme annoncée par Dieu au premier chapitre du livre de la Genèse. Les conflits entre humains trouveront leur solution dans le déploiement de la réconciliation dont les moteurs s’appellent : pénitence, pardon, lutte contre les injustices, humanisation de la nature.

                  Ce passage du commencement qui contient la promesse à la fin qui la réalise s’accomplit par un long chemin : celui de l’itinéraire pascal. En déclenchant la suprême violence par sa suprême Innocence, Jésus désamorce pour toujours la violence destructrice. Dans le sacrifice de son Fils, Dieu a pris en charge le mal pour le faire concourir à la réalisation de son dessein d’amour.

                   A la suite du Christ, l’Apôtre Paul rappelle que le disciple doit être un messager de cette bonne nouvelle, fut-ce au prix d’une vie recrue de fatigues et d’épreuves. L’œuvre de réconciliation accomplie par le Christ se déploie par la persévérance de tous ceux qui veulent la Paix, l’Amour, la Justice. Entendons cet appel au nom du Christ Jésus (2 Timothée 3,12).


Dimanche 11 novembre    [ lectures :  2_M 7,1...14 ; Psaume 16 ; 2_Th 2,16 à 3, 5  ; Lc 20, 27-38 ]

    RESSUSCITER POUR LA VIE ETERNELLE

              Résurrection, vie éternelle, demeurent toujours aujourd’hui des pierres d’achoppement pour un grand nombre de nos contemporains, même pour ceux qui se disent chrétiens. Films et romans à dominante ésotérique, engouement pour des formes religieuses extrême-orientales, croyance en la réincarnation, sont autant de signes de la difficulté que beaucoup éprouvent quant au centre du mystère chrétien. Sans doute peut-on y voir les difficultés de compréhension liées au statut du corps. Tantôt surévalué au point de vouloir nier tout vieillissement, tantôt traité par le mépris, le corps humain se trouve en première ligne de toute réflexion sur la Mort et la Résurrection.

               Plus profondément il semble qu’à la racine de cette incompréhension concernant le mystère de la Résurrection, se trouve la méfiance originelle à l’égard de la Parole divine. Celle-ci veut nous ouvrir le chemin du Bonheur. En la mettant en question, l’homme laisse le champ libre aux forces de destruction. Nier la portée créatrice et rédemptrice de la Parole de Dieu, c’est la réduire au silence et la plonger dans la nuit du tombeau. Pourtant elle poursuit sa course (2 Timothée 3,1). Dans son sacrifice, le Christ, Parole vivante du Père, fait triompher la cause de l’Amour. Il inscrit de manière indéfectible l’Alliance de vie au cœur de l’humanité.

               Le mariage est une parabole vivante de cette Alliance indissoluble que Dieu noue avec son peuple. Il est aussi, dans sa fragilité temporelle, la marque de notre inachèvement. Dans leur union, l’homme et la femme ne peuvent prétendre à être la plénitude de la vie. Ils sont l’esquisse de ce que Dieu veut achever : devenir « héritiers de la Résurrection » (Luc 20,36). Certes cet achèvement du dessein divin n’abolit en rien la personnalité de chaque « héritier ». Au contraire il le conduit à sa perfection par la communion de l’être en Dieu. De même que cette communion de l’amour permet au Père d’être totalement Père dans le don du Fils, au Fils de l’être en vérité par l’accueil du don du Père, de même nous ne pouvons avoir part au monde à venir qu’en nous laissant instituer par elle comme « héritiers de la Résurrection ». 


Dimanche 4 Novembre     [ lectures  : Sg 11, 23 à 12, 2 ; Psaume 144, 2_th1,11 à 2,2 ; Lc 19, 1-10 ]

ETRE FILS D’ABRAHAM OU LE SALUT PAR LA FOI

« Tu aimes en effet tout ce qui existe » (Sagesse 11,24).

Dans sa méditation sur l’action de la Sagesse divine, l’auteur du livre de la Sagesse s’interroge sur le lien entre le Salut des hommes en raison de leurs péchés et la Création, œuvre de la Sagesse de Dieu. Il développe avec conviction et foi que l’amour de Dieu est à l’origine de toute chose. Dans la ligne du livre de la Genèse, il montre combien la volonté créatrice de Dieu est volonté d’aimer. La Création est enracinée dans cet amour sans lequel tout retournerait au chaos, au néant, mettant en quelque sorte Dieu en échec, en contradiction avec lui-même.

« Qu’ils puissent croire en toi Seigneur » (Sagesse 12,2)

Cette volonté se heurte, hélas, à la défiance des hommes. Ceux–ci ont voulu, en quelque sorte, ravir à Dieu le fruit de l’amour, acte fatal qui ouvre le cycle de la souffrance et du malheur. Mais Dieu ne se décourage pas. Avec une patience infinie il accepte d’entrer en Exode pour nous rejoindre. Ce que les hommes éprouvent comme « châtiment de Dieu » est une représentation inversée de la pédagogie de la patience divine qui trouve son terme dans l’Incarnation et l’œuvre rédemptrice accomplie dans la Pâque du Christ. En levant les yeux vers « celui qu’ils ont transpercé » (Zacharie 12/20) les hommes découvrent la folie d’amour divine qui est la vraie Sagesse qui nous communique la Révélation du vrai Dieu.

« Il cherchait à voir qui était Jésus » (Luc 19/3)

Comme l’Esprit a fait découvrir à l’auteur de la Sagesse qui était Dieu, Zachée découvre dans l’appel du Christ la réponse à sa question : qui est Jésus ? Le publicain de Jéricho découvre ce qu’est le Salut : une intimité inédite avec le Fils de l’Homme. Plongeant dans la secrète interrogation de l’homme blessé par le péché, Jésus apporte le Salut. Croyant à cette nouveauté de vie, Zachée devient Fils d’Abraham.

Que cette foi soit la nôtre « par la grâce de Notre Seigneur Jésus Christ » (2 Timothée 1,11).


Jeudi 1er novembre :  fête de la TOUSSAINT     [ lectures  : Ap 7,2 ....14 ; Psaume 23 ; 1_Jn 3, 1-3 ; Mt 5, 1-12a ]

LA SAINTETE OU LE DON DE DIEU-AMOUR

«  Voici le peuple de ceux qui recherchent la face de Dieu » (Psaume 23,6).

Ce verset du Psaume de ce jour synthétise à merveille le sens profond de la fête de la Toussaint que l’Eglise nous propose de célébrer à quelques semaines de la fin de l’année liturgique. La Sainteté est en effet le propre de Dieu. Elle qualifie son ETRE qui est Amour, don inlassable de soi, bonheur d’aimer sa créature privilégiée qu’il a faite à son image et à sa ressemblance. Elle est donc, par pure grâce, incitation à participer à la Béatitude de la contemplation divine. Voire Dieu, telle est notre vocation que saint Jean résume magnifiquement : « Bien aimés, dès maintenant nous sommes enfants de Dieu … lorsque le Fils de Dieu paraîtra, nous serons semblables à lui parce que nous le verrons tel qu’Il est » (1 Jean 3,8).

Le Christ est pour nous le chemin de sainteté. S’Il chante les Béatitudes au seuil de son ministère public, s’Il évoque les conditions ô combien paradoxales du Bonheur, c’est que la route du Royaume est difficile car « il n’est pas de ce monde » (Jean 18,36). L’épreuve de la Passion et de la Mort est la marque indélébile de l’amour divin. Les Martyrs et les Saints que l’Eglise célèbre aujourd’hui sont la visibilité de l’œuvre pascale accomplie par le Christ. Ils ont été « purifiés par le Sang de l’Agneau » (Apocalypse 7,14). Ils nous rappellent que la réussite de Dieu ne peut advenir sans participation au mystère pascal, seule source de sanctification.

« Rechercher la face de Dieu », aspirer à la Sainteté que Dieu veut nous communiquer, c’est donc inscrire en nos vies les mœurs du Fils de Dieu fait chair et que les Béatitudes récapitulent. En les vivant tout au long de sa vie d’homme, le Christ, tout Fils de Dieu qu’Il est, a appris l’obéissance de l’amour. Son cœur s’est laissé transpercé pour que puissent venir à nous les sacrements du Salut où nous puisons sans compter l’espérance de l’accès à la source du Bonheur.

« Tout homme qui fonde sur lui une telle espérance se rend pur comme lui-même est pur » ( 1 Jean 3,3). Puisse, comme le Pape Jean-Paul II le rappelait dans son Encyclique « les laïcs, fidèles du Christ » (n°16) que « par l’Esprit Saint, nous manifestions la sainteté de l’être dans la sainteté de notre agir »


Dimanche 28 Octobre [ lectures  : Si 25, 12....18 ; Psaume 33 ; 2_Tm 4, 6-8.16-18 ; Lc 18, 9-14 ]

DE L’ELEVATION QUI ABAISSE A L’ABAISSEMENT QUI ELEVE

                        «  Le Seigneur est un Juge qui ne fait pas de différence entre les hommes »
(Ben Sirac le Sage 35,12)

                        Le concept de « différence » appliquée à l’analyse des rapports sociaux, ou humains de manière plus générale, peut conduire à des positions contradictoires, comme le montre hélas l’histoire contemporaine. Tantôt la différence est louée comme facteur de diversité, d’enrichissement mutuel. Tantôt elle est vouée à  l’opprobre comme facteur de division. Nous avons toujours du mal à concevoir le couple unité/différence. La Révélation biblique a permis aux croyants de transcender ces oppositions dès lors qu’ils reconnaissent que les critères divins ne sont pas ceux des hommes.

                         Par la petite parabole bien connue du publicain et du pharisien Jésus met une fois de plus à jour le mécanisme faussé de notre pensée. Ce qui est stigmatisé dans l’attitude du pharisien, c’est précisément sa prétention  à la différence qui le mettrait « au-dessus » de tous les autres hommes. Il se place là où seul Dieu se trouve. Car seul Dieu est le TOUT-AUTRE, le TOUT-DIFFERENT. Cette auto-élévation le conduit à la chute puisqu’à aucun moment il n’a laissé Dieu le rencontrer, le ressaisir.

Le publicain, lui, connaît sa différence liée à des actes qui ne peuvent en rien le justifier. Mais en s’offrant à Dieu dans l’état de misère spirituelle, il Lui permet d’accomplir en lui la justification dont il avait le profond désir.

                        Toutefois le Christ veut nous faire aller encore plus loin. Il nous fait lire son propre mouvement d’abaissement. Par son Incarnation, le Fils permet au Père de réaliser la jonction avec ce qui lui est le plus différent : l’homme pécheur. Par le drame de la Rédemption, le Christ prend  le rang de l’injuste. Son abaissement de la Passion et de la mort lui permet de conduire les injustes que nous sommes à l’élévation de la Résurrection et de la gloire.

Dans sa mort, le Christ ne juge pas, Il pardonne. Par son abaissement et son humiliation, Il nous élève à notre véritable condition : celle de fils bien-aimé du Père. Saint Paul l’a bien compris lui qui a vécu aussi le double état spirituel du Pharisien qu’il était et du publicain qu’il découvre en lui :

« Il me sauve et me fera entrer au ciel, dans son Royaume. A Lui la gloire pour les siècles des siècles. Amen » (2 Timothée 4,18).


Dimanche 21 octobre     [ lectures  : Exode - 17, 8-13  ; Ps 120 ; 2_Tm3,14 à 4.2 ;  Luc 18, 1-8 ]

LE FILS DE L’HOMME, QUAND IL VIENDRA, TROUVERA-T-IL LA FOI SUR TERRE ? ( Luc 18,8)

                  La question posée par le Christ établit un lien étroit entre son retour à la fin des temps et notre temps qui est celui de l’attente dans la foi. Celui-ci  s’écoule inexorablement de notre naissance à notre mort, souvent jalonné d’épreuves qui peuvent, comme le Prophète Habacuc la semaine dernière, nous faire crier vers le Seigneur. L’épreuve la plus redoutable n’est-elle pas de penser que Dieu est absent, se désintéresse de notre situation ? Alors la prière sert-elle encore à quelque chose ?

                   La foi est là pour nous assurer que si Dieu peut laisser les événements se dérouler jusqu’à la limite de la rupture c’est seulement pour ne pas fausser le jeu de la liberté.  Le vrai croyant n’a aucun doute sur la volonté de Dieu d’être fidèle à son Alliance. Ainsi Moïse, avec l’aide d’Aaron et de Hour, tient-il bon dans la prière. Ainsi Timothée est il exhorté par Paul à  persévérer avec assurance dans l’annonce de la Bonne Nouvelle. Ainsi Jésus évoque-t-il ces justes qui, avec obstination, crient vers Dieu jour et nuit. Si Moïse baisse les bras, la victoire échappe à Israël. Si la veuve cesse d’être obstinée, le juge inique restera enfermé dans son iniquité ! La foi qui sous-tend la prière permet à la justice divine d’advenir comme fruit de notre persévérance.

                   En opposant l’attitude du juge inique à celle de son Père, Jésus met à nu le raisonnement pervers de l’homme pécheur. Il nous montre que l’attente n’est pas le fait de Dieu. Elle résulte de notre péché dont l’un des effets  est de ne pas permettre l’accord de notre volonté avec le désir de Dieu qui est de nous rendre justice. Dieu se trouve mis dans la situation de subir l’attente alors qu’il veut rendre justice sans tarder.

Cette contradiction, Il la résout en son Fils. En ouvrant ses bras sur la Croix Jésus subit la suprême injustice  que l’homme pécheur lui inflige, tout en l’offrant dans le même mouvement au Père qui est la source du pardon.

Aujourd’hui, le Christ ressuscité continue de venir à nous par le don de l’Esprit. Par la prière de l’Eglise, préfigurée par celle de Moïse, Il poursuit l’œuvre du salut : « Viens, Seigneur Jésus » (Apocalypse 22,20). Ainsi continue de s’accomplir la justice de l’amour divin. Que la Foi soutienne notre prière et que notre prière monte avec foi. Ne baissons jamais les bras !


Dimanche 14 Octobre  [ lectures  2_R 5,14-17 ; Psaume 97 ;2_Tm 2, 8-13 ; Lc 17, 11-19 ]

LA FOI QUI SAUVE

                  « Souviens-toi de Jésus Christ … si nous sommes morts avec lui, avec lui nous vivrons » (2 Timothée 2,8 …11).

                  Se souvenir ou oublier, être fidèle ou être infidèle, être sauvé ou être rejeté, tels sont les enjeux de toute existence humaine que le récit de la guérison du général syrien Naaman met en scène, ainsi que la rencontre de Jésus avec les dix lépreux sur la route qui mène à Jérusalem. Savons-nous, comme Naaman et le lépreux samaritain, reconnaître l’auteur de la guérison qui vient, au-delà même de cette guérison, nous ouvrir le chemin du salut ? Il faut pour cela la mise en œuvre de notre liberté sous la mouvance de la foi.

                  La charge symbolique, terrifiante, dont la lèpre est porteuse à travers les âges est bien connue. Elle atteint tous les hommes, juifs ou païens. La guérison doit donc être aussi pour tous : fils d’Israël ou exclus selon la Loi (Samaritain et païen). De même si le péché atteint tous les hommes, le pardon doit être aussi pour tous. Encore faut-il que le lépreux-malade et le lépreux-pécheur franchissent la distance qui sépare ce qu’ils sont encore de ce qu’ils deviennent par l’efficacité de la Parole de vie : lépreux-guéri, lépreux-pardonné.

                  La Foi seule permet ce franchissement. Dix lépreux sont bien guéris, mais un seul est sauvé. Comme Naaman au temps ancien d’Elisée, le Samaritain s’est retourné vers la source du don. Naaman repart avec la terre de Dieu, la terre sainte sur laquelle il offrira désormais l’holocauste au Dieu vivant. Le Samaritain est « relevé » (Luc 17,19) entrant par sa foi dans la condition de l’homme nouveau, régénéré par la relation nouvelle qu’il a su découvrir avec Celui qui, montant vers sa Passion et sa Mort, lui ouvre déjà le chemin du Salut.

                  Comme Naaman, comme le lépreux samaritain, accueillons en cette Eucharistie le don de l’Amour qui sauve. Faisons de nous-mêmes une action de grâce à celui qui nous dit : « relève-toi et va :  ta foi t’a sauvé » (Luc 17,19)


Dimanche 7 Octobre    [ lectures Ha 1,2-3 ; 2, 2-4 ; Psaume 94 ; 2_Tm 1, 6-8.13-14 ; Lc 17, 5-10 ]

« LE JUSTE VIVRA PAR SA FIDELITE » (Habacuc 2,4)

                  « Combien de temps, Seigneur, vais-je t’appeler au secours … » (Ha, 1,2)

                  Ce cri du Prophète, lancé au temps de la détresse du Peuple de la première Alliance, n’est-il toujours pas d’une actualité saisissante ? En tout temps de l’histoire des hommes, le déferlement de la violence, des meurtres, des guerres, peut faire douter de la puissance et de l’action divines ! Dieu ne serait-il pas le « Tout-puissant incapable » ?

Pourtant  lancer ce cri vers Dieu est déjà le signe de la non résignation au malheur, de l’espérance, de l’attente de voir Dieu accomplir sa promesse : « Elle tend vers son accomplissement ; elle ne décevra pas. Si elle paraît tarder, attends-là : elle viendra certainement à son heure » (Ha 2,3).

                   Non, Dieu n’est pas inactif. En dépit de l’apparent et douloureux développement du malheur, le Seigneur ne pactise pas avec les forces de la mort. L’Heure vient –elle est venue -  où le juste fidèle, l’unique, donne sa vie en rançon pour la multitude. Il a planté l’arbre au milieu de la mer, la croix au cœur de nos morts. Fidèle à l’amour que Dieu nous porte, le Christ nous justifie par sa Passion, sa Mort et sa Résurrection. Nous pouvons désormais, par la foi, vivre de sa fidélité.

                  Ce don reçu, nous dit saint Paul à travers Timothée, il nous faut « le réveiller ». Nous sommes dépositaires de l’Evangile (2 Tm 1,4). L’Eglise le garde dans toute sa pureté : c’est Jésus qui est le serviteur inutile, rejeté, mis à mort, dévoilant dans sa condition d’esclave ce qu’est l’être divin quand il s’unit à notre humanité. C’est à cette attitude eucharistique qu’Il nous invite. Accueillons ce don de la charité divine qui nous fait vivre : « l’Esprit de force, d’amour et de raison… l’Esprit Saint qui habite en nous » (2 Tm 1,7…14).


Dimanche 30 Septembre [ lectures  Am 6,1a, 4-7 ; Psaume 145 ; 1_Tim 6,11-16 ; Lc 16,19-31 ]

DE L’ABIME DE L’ABSENCE D’AMOUR à la PLENITUDE DE LA PRESENCE DIVINE

 « Vis dans la foi et l’amour, la persévérance et la douceur » (1 Timothée 6,11)

                  Ce conseil de l’apôtre Paul à son disciple Timothée est toujours d’actualité ! Tout particulièrement dans ce monde où, plus que jamais, les fractures sociales, comme nous disons non sans hypocrisie, créent des situations d’exclusion dues à l’absence d’amour, destructrice de l’homme puisque contraire au dessein de bonheur de Dieu.

Les « vautrés de Samarie » vitupérés par Amos, le riche sans nom de la parabole, ont en commun d’avoir évacué la justice et la miséricorde de leur horizon de vie. Ils ont dressé par leur égoïsme un portail infranchissable entre eux et leurs frères démunis. Bafouant le second commandement de la loi, ils bafouent du même coup le premier et ne peuvent que sombrer dans l’Abîme de l’absence de l’amour qui n’est autre que l’absence de Dieu lui-même.

                  A l’inverse, l’exclu de la Parabole porte un nom : Lazare. Car il est de la filiation d’Abraham dans le sein duquel son désir d’amour et d’être aimé est comblé. En évoquant la figure d’Abraham, Père des croyants, Jésus nous fait découvrir que la Foi seule, relie, communique, fait vivre. En faisant nôtre la Parole de Dieu : « aime », l’unique commandement, nous rejoignons notre origine, ce Dieu qui nous fait être à son image et à sa ressemblance. C’est bien ce que Paul a compris lorsqu’il dit à Timothée : « continue à bien te battre pour la Foi, et tu obtiendras la vie éternelle ; c’est à elle que tu as été appelé… » (1 Timothée 6,12).

                  Cette foi est celle que nous mettons, non seulement en Moïse et les Prophètes qui ne sont pas abolis, mais en celui qui les récapitule et les transcende en ressuscitant d’entre les morts. Entre le riche replié sur son égoïsme et Lazare qui désire de pouvoir vivre, Jésus nous annonce qu’il y a le troisième homme : celui qui, ressuscité d’entre les morts, se donne alors en nourriture pour la vie éternelle. Toutes les richesses de ce monde peuvent nous enfermer dans un néant d’inexistence. A l’inverse la Foi en Celui qui a traversé l’abîme de l’absence d’amour nous permettra d’entrer dans la plénitude de la présence divine.

« Vis dans la foi et l’amour, la persévérance et la douceur ».


Dimanche 23 Septembre       [ lectures  Am 8, 4-7 Psaume 112 ; 1_Tm 2, 1-8 ; Lc 16,1-13]

TROUVER ET SERVIR LE BIEN VERITABLE

                  « Vous ne pouvez servir à la fois Dieu et l’argent » (Luc 16,13)

                  Etonnante conclusion de l’enseignement du Seigneur sur l’argent ! Comme si Dieu et l’argent pouvaient être placés sur le même plan ! Pourtant n’est-ce pas ce que nous faisons trop souvent ? Au fond la question posée par le Christ est de savoir où nous mettons nos priorités.

De même, étonnante parabole que celle du gérant malhonnête ! Où Dieu se trouve-t-il dans une telle situation ? Précisément Il n’y est pas ! Gardons-nous de vouloir établir une relation entre Dieu et l’homme riche. Il ne s’agit pas pour le Christ de nous parler du Royaume de Dieu en ces termes, mais bien, comme Amos dans la première lecture, de nous mettre devant nos conduites qui relèvent de l’exploitation de l’homme par l’homme. Comportement de fils de ce monde et non pas de fils de lumière !

                  Il est clair que l’argent se situe au centre des relations sociales. Son usage constitue un miroir fidèle de l’état, non seulement matériel, mais aussi moral et spirituel de l’humanité. Le pouvoir économique et financier est incontestablement un rouage essentiel dans les rapports de l’homme avec la nature, mais plus encore dans les rapports de l’homme avec ses frères. Son exercice peut conduire tout autant à l’asservissement de l’homme qu’à sa libération. Voilà pourquoi saint Paul insiste sur les prières d’intercession pour tous ceux qui ont des responsabilités politiques, économiques, sociales (1 Timothée 2,2). Par la prière, le croyant rappelle que ces pouvoirs humains ne sont pas à eux-mêmes leur propre source. Celle-ci est transcendante : Dieu qui nous fonde et nous fait exister.

                  Seul, Il est la source immuable, le Bien véritable, Celui en qui l’on peut se fier seul. Il est notre Bien propre. L’Amitié divine est alors par excellence notre bien véritable. Servir Dieu, c’est nous libérer de toute tyrannie, celle de l’argent en particulier, c’est apprendre à mettre notre confiance dans l’Amour, c’est entrer dans l’ordre de la charité qui seule crée les liens qui subsistent dans la vie éternelle. L’argent est « trompeur » ou « malhonnête » lorsque nous l’idolâtrons. Il nous renvoie à l’attitude captatrice de l’Adam des origines. Jésus, le Maître qui se fait serviteur, nous dit comment, à sa suite, nous pouvons être dignes du Bien véritable, l’amour de Dieu qui nous donne la vie, celle que nous recevrons alors dans « les demeures éternelles », autrement dit dans le Royaume du Père.


Dimanche 16 septembre      [ lectures  : Ex 32, 7...14 ; Psaume 50 ; 1 Tm 1, 12-17Lc 15,1-32 ; ]

DE LA COLERE A LA MISERICORDE, ou

L’IMPROBABLE CHEMINEMENT DE L’AMOUR DIVIN

 Maintenant, laisse moi faire ; ma colère va s’enflammer contre eux et je vais les engloutir ! » (Exode 32,10).

                  Grande est la tentation de s’appuyer sur de tels passages de l’Ecriture pour opposer un Dieu qui ne serait que vengeance, extermination, donneur de mort, au Dieu de miséricorde et de pardon que Jésus nous révèle, tout particulièrement dans ces trois paraboles du pardon rapportées par saint Luc au chapitre quinze de son Evangile lu aujourd’hui.

                  Cette tentation n’a cessé de travailler les croyants dès les origines de l’Eglise. L’hérésie de Marcion au IIème siècle en a été une des manifestations les plus dangereuses qui trouve encore aujourd’hui des adeptes dans une interprétation erronée de l’Ancien et du Nouveau Testament. Une telle conception porte en effet gravement atteinte à l’unité du dessein divin tout au long de la Révélation comme le souligne avec force le pape Benoît XVI dans son magnifique « Jésus de Nazareth ». Si Dieu se laissait aller à sa colère, l’humanité disparaîtrait, et Dieu ne serait pas Dieu puisqu’il se nierait lui-même en rejetant la promesse faite à Abraham, Isaac et Jacob en faveur de leur race à jamais.

                  Pédagogique, la colère divine n’a pas d’autre but que de donner à Moïse d’être l’intercesseur : « Souviens-toi de tes serviteurs … » (Exode 32,13), figure prophétique de l’unique et véritable intercesseur, le Christ, Parole d’amour incarnée en notre humanité pour nous greffer à jamais sur le pardon divin.

  « Le Christ Jésus est venu dans le monde pour sauver les pécheurs » (1 Timothée1,2)

L’apôtre Paul est le témoin assuré de ce chemin paradoxal qui, de la colère, conduit au pardon. Celui-ci est au cœur de Dieu comme la forme la plus achevée de la justice divine. En dépit de toutes les oppositions et rebellions que notre péché met en œuvre, Dieu, avec patience et obstination, lutte pour nous libérer de nos démons de violence et d’autodestruction et nous conduire à notre vérité de fils bien aimés du Père.

 « Car mon fils que voilà était mort, et il est revenu à la vie ; il était perdu, et il est retrouvé » (Luc 15,24)

                  En énonçant les paroles du pardon et de la miséricorde, Jésus nous laisse découvrir l’inépuisable bonté du Père, vrai prodigue de son amour. Nous voici apparemment loin de la colère divine relatée au livre de l’Exode. En fait nous arrivons au terme d’un cheminement paradoxal où n’a cessé de s’exprimer la passion aimante de Dieu pour l’homme au point d’accepter de perdre celui qui lui est le plus précieux : le Fils unique engendré de toute éternité. C’est ce Fils qui vient prendre la place du fils perdu que nous sommes pour nous conduire en retour au Père qui prend plaisir à faire miséricorde et nous faire entrer dans le jour de la vie éternelle. Comme Moïse, comme Paul, accueillons les paroles du pardon, « parole sûre qui mérite d’être accueillie sans réserve » (I Timothée 1,15) et demandons à notre tour la grâce de pardonner nous-mêmes à nos frères.


Dimanche 9 Septembre                  [ lectures  : Sg 9,13-18 ; Psaume 89 ; Phm 9b, 10.12-17 ;Lc 14, 25-33 ]

DISCIPLE : PREFERER LE CHRIST

« Celui qui ne porte pas  sa croix pour marcher derrière moi, ne peut pas être mon disciple » (Luc 14,27).

Montant vers Jérusalem, vers la croix, Jésus donne un enseignement où il lie avec force le thème de la croix à celui de la condition du disciple. Etre disciple, c’est-à-dire se mettre à la suite du Christ, est mise en œuvre d’une liberté que rien ni personne ne saurait forcer (cf. la lettre à Philémon lue en seconde lecture au verset 14) pour que nous entrions dans la vérité profonde de notre être que le Christ est venu révéler. Cette vérité est dans le don de soi que le Christ a voulu vivre de manière plénière sur la Croix. C’est là que se dévoile le plus grand amour, payé du prix de la vie, seul capable d’arracher l’homme pécheur à toutes ses idoles de l’avoir, du pouvoir, du paraître, causes de violence et de mort.

                  D’où ces propos étonnants, voire choquants, que le Christ prononce à l’occasion des relations familiales. Ils n’ont pas d’autre but que de démasquer notre volonté de domination  qui se cache dans l’apparence d’un amour de préférence. Il y a une manière d’aimer notre prochain qui est en fait une manière de le posséder pour nous-mêmes. C’est de cela que le Christ veut nous libérer afin d’entrer dans la vraie relation d’amour. Pas d’autre moyen que de passer par la porte étroite, le Christ lui-même. Loin d’être oublieux des nombreux avertissements du Seigneur quant au commandement de l’amour, nous sommes poussés à entrer dans la véritable manière d’aimer. Aimer nos frères pour eux-mêmes, c’est alors que nous préférons le Christ et devenons ses disciples.

                  La petite parabole du bâtisseur de tour ou du roi qui veut partir en guerre illustre ce que signifie « aller jusqu’au bout » (Luc 14,28). C’est expérimenter une relation unique qui, au-delà des renoncements, nous enrichit, nous fortifie. La puissance de l’Esprit communiquée par le Ressuscité nous assure que nous pouvons « aller jusqu’au bout » et même au-delà. S’asseoir, réfléchir, c’est discerner à quel point le Christ est notre richesse, chemin, vérité, vie. Nous ne sommes plus dans l’illusion d’une vie faite d’apparences de pouvoir, d’avoir, d’affection, mais dans la réalité de ce que le Sage de l’ancienne alliance nous faisait entendre : « qui aurait connu ta volonté, si tu n’avais donné la Sagesse et envoyé d’en-haut ton Esprit Saint ?… C’est ainsi que les hommes ont appris ce qui te plaît et, par la Sagesse, ont été sauvés » (Sagesse 9, 17-18).

En tous points de nos vies, préférons le Christ qui veut faire de nous ses disciples.


Dimanche 8 juillet          [ lectures  : Is 66,10-14 c ; Psaume 65 ; Ga 6, 14-18 ; Lc 10, 12.17-20]

L’EVANGILE DU ROYAUME

    « Le Règne de Dieu est tout proche de vous » (Luc 10,9)

                 En relatant l’envoi en mission des soixante douze disciples en des termes identiques à celui des Douze, saint Luc met clairement en lumière l’universalité du salut et la responsabilité apostolique de l’Eglise tout entière. C’est sur la route de la montée à Jérusalem qu’il situe cet envoi missionnaire, établissant ainsi un lien avec le mystère pascal qui se profile à l’horizon du Christ. Le Règne de Dieu est annoncé sur le fond dramatique que constituent la Passion et la mort du Seigneur. L’évangélisation est en effet étroitement liée à l’acte rédempteur du Christ. Là où l’humanité connaît le deuil, la privation et la faim, la guerre et la désolation, le vieillissement et donc la mort, le Christ vient substituer l’allégresse, la nourriture et le rassasiement, la paix et la consolation, la nouvelle jeunesse, en un mot la vie. C’est ainsi que le « le Seigneur fera connaître sa puissance à ses serviteurs » (Isaïe 66,14).

                  Cette puissance est amour. Le Christ l’éprouve dans l’abandon de la Croix. Ordonnés au Christ qui n’est que don de Lui-même dans le sacrifice de sa vie, les messagers du Royaume doivent à leur tour connaître le dépouillement sans lequel l’annonce évangélique risquerait d’être faussée et perçue comme mensongère. Désencombré de toutes formes de richesses, le messager de la Bonne Nouvelle est libre et rend ses auditeurs libres à leur tour. En apportant aux hommes le langage et l’attitude vraie de paix, d’abandon de soi, en se mettant sous leur dépendance, il amène chaque interlocuteur à poser un choix libre : faire la paix ou la guerre, faire vivre ou donner la mort. En accueillant la paix que lui porte le disciple-agneau, l’auditeur, même s’il est un loup, peut devenir à son tour agneau en instaurant la relation de communion.

                  Lorsque les hommes se mettent à vivre la charité fraternelle, alors « le Règne de Dieu est tout proche » (Luc 10,11). « Où sont amour et charité, Dieu est présent », chantons-nous au soir du Jeudi Saint. S’il est ardu, le chemin de la charité demeure le seul qui nous permette de trouver la vie. En le parcourant avec nos frères, non seulement les puissances mauvaises sont défaites, mais encore « nos noms sont inscrits dans les cieux » (Luc 10,20).


Dimanche 1er Juillet         [ lectures  : 1R 19, 16b.19-21 ; Psaume 15 ; Ga 5, 1.13-14 : Lc 9, 51-62 ]

APPELES A LA LIBERTE

                Comme le rappelle Saint-Paul dans la lettre aux Galates lue en ce Dimanche, notre salut passe par la restauration de notre liberté déviée par le péché. Ainsi Dieu mène-t-Il cette œuvre de régénération par l’Alliance qui culmine dans la venue de son Fils : « Si le Christ nous a libérés, c’est pour que nous soyons vraiment libres. Alors tenez bon, et ne reprenez pas les chaînes de votre ancien esclavage » (Galates 5,1). Suivre le Christ, c’est marcher vers la plénitude de cette liberté.

                  Cela suppose, comme le souligne l’Evangile de ce jour, le renoncement à tout ce qui, dans nos vies, est enfermement dans des habitudes stérilisantes. Il est clair que cette œuvre de libération ne peut être le fruit de nos efforts. Nous faisons l’amère expérience des « tendances égoïstes de la chair » (id.v.17). Seule la libération pascale nous arrache à cette servitude et nous fait passer sous le régime de l’Esprit. Seul Celui-ci peut, de l’intérieur de notre être, restaurer la capacité d’aimer qui est source de liberté. Par l’amour, nous disposons de tout notre être pour en faire don comme le Christ l’a fait en sa Pâque. « Vivre sous la conduite de l’Esprit » (id.v.16) c’est Le laisser former en nous l’être nouveau que le Christ est pour nous en son humanité.

                  Les trois brèves rencontres relatées par l’Evangile sont une illustration de ce qu’il nous faut accomplir en nous mettant à la suite du Christ. Rejetant toute forme de violence destructrice, Jésus, qui a pris « avec courage la route de Jérusalem » (Luc 9,51), apporte la libération de tous nos démons de domination et d’oppression. Dans une formule prophétique, annonciatrice de l’ouverture des tombeaux de la Résurrection, le Christ nous demande de ne pas nous situer du côté de la mort. De même nous invite-t-Il à nous désinstaller car Lui-même est mouvement, passage, Pâque. Il est enfin stérile de jeter un regard nostalgique sur le passé. Cela n’a d’autre effet que d’arrêter la marche, de nous figer dans la mort, telle la femme de Lot statufiée en colonne de sel, alors qu’un monde nouveau, de vie, de liberté, d’amour, s’ouvre à nous.

                  C’est l’Esprit de vérité qui, aujourd’hui, nous dégage des liens qui symbolisent la mort. Entendons-Le nous inviter à découvrir la source de la vie : « Viens vers le Père » (Ignace d’Antioche-Romains 7,2)


Dimanche 24 Juin        [ lectures  :  Is 49, 1-6 ; Ps 138 Ac 13, 22-26 ; Lc 1, 57-66.80 ]

« DIEU FAIT GRÂCE »

                   A la fin du cycle pascal et au moment où nous renouons avec celui du temps ordinaire, le calendrier nous permet de célébrer la Nativité de saint Jean Baptiste, nous replaçant ainsi dans une situation d’attente. En effet nous sommes encore en marche vers Celui qu’il nous faut rejoindre pour être en plénitude à son image et à sa ressemblance. La Nativité du Baptiste est occasion de nous rappeler que l’avènement du salut de Dieu est un germe fragile, imperceptible : « ce que nous serons ne paraît pas encore clairement » (1 Jean 3,23). Notre monde et nous-mêmes demeurons marqués par la souffrance, la ténèbre, la mort. Mais Jean Baptiste nous désigne Celui qui vient, Celui qui réalise le salut de Dieu qui fait grâce.

                  De même que le Prophète de la première alliance n’existait que pour être « lumière des nations, pour que le salut (de Dieu) parvienne jusqu’aux extrémités de la terre » (Isaïe 49,6), de même Jean Baptiste est ordonné à la venue de l’Agneau qui porte le péché du monde. Sa Nativité et les circonstances qui l’environnent manifestent avec force combien Dieu qui fait grâce veut solliciter notre liberté. Il nous revient en effet de répondre librement à l’appel qu’Il nous adresse. Se défier de la Parole divine, à l’instar de Zacharie, conduit à la perdition. C’est empêcher l’amour de Dieu de nous irriguer, c’est se condamner au mutisme, forme symbolique de l’enfermement de la mort. A l’inverse reconnaître le don de vie et d’amour, c’est donner à Dieu de mettre en œuvre le salut à travers celui qu’Il a choisi pour être le précurseur de son Fils. « Son nom est Jean » (Luc 1,63). Il vient de plus loin que l’environnement humain. Il vient de Dieu Lui-même qui manifeste sa puissance divine à travers le corps stérile d’Elisabeth, mettant « fin à ce qui faisait sa honte aux yeux des hommes » (Luc 1,25).

                  Enfant de la grâce, Jean Baptiste est le signe de l’irruption de cette grâce pour Israël et pour toute l’humanité. Nos existences peuvent bien être devenues stériles pour le péché, cela n’empêche pas Dieu de leur rendre leur fécondité humaine et spirituelle. « Je me suis fatigué pour rien, c’est pour le néant, c’est en pure perte que j’ai usé mes forces » se lamentait le Prophète (Isaïe 49,4). Parce que Dieu fait grâce par l’irruption du Ressuscité en notre monde ancien, nous pouvons par la foi être nous aussi, comme Isaïe, comme Jean Baptiste, « lumière des nations, pour que le salut de Dieu parvienne jusqu’aux extrémités de la terre » (id.v.6).


Dimanche 17 Juin          [ lectures 2_S 12, 7-13 ; Ps 31 ; Ga 2, 16-21 ; Lc 7, 36 - 8, 3 ]

DE LA JUSTICE SELON LA LOI  A LA JUSTICE SELON LA FOI

                         « Frères, nous le savons bien, ce n’est pas en observant la loi que l’homme devient juste devant Dieu, mais seulement par la foi en Jésus-Christ » (Galates 2,16).

Dans le retournement radical qui fut le sien sur le chemin de Damas, Paul découvrit que le salut ne peut découler de pratiques aussi exigeantes soient-elles, mais de la reconnaissance éperdue d’amour à l’image de la femme pécheresse de l’Evangile de ce jour. Dieu seul est la source de la justice. Celle-ci nous advient par le pardon accordé sur la croix. L’amour de Dieu est pardon puisque le Christ meurt pour les injustes que nous sommes. Croire au Christ qui justifie par la Croix nous arrache à toute prétention de nous sauver nous-mêmes, fut-ce par les œuvres bonnes de la Loi. Mais cela ne nous dispense pas de vivre selon la justice de l’amour en portant les fruits de cette justification qui, originés dans l’Esprit, se révèlent au travers de l’exercice de notre liberté : l’amour, la joie, la paix, la patience, la douceur.

                        Ne pensons-nous pas souvent, comme Simon le Pharisien, que le péché détermine les rapports de l’homme à Dieu ? Le Christ, à travers la figure de la femme pécheresse, montre au contraire que c’est l’amour qui fonde la relation : l’amour de Dieu toujours premier, l’amour de l’homme qui vient en réponse. Par la parabole des deux débiteurs, Jésus nous fait comprendre que nous sommes en fait redevables d’une dette incommensurable, celle de l’amour que nous n’avons pas su manifester, comme Simon qui, se croyant juste devant la Loi, n’a aucune conscience du terrible déficit d’amour à l’égard d’un Dieu qui aime sans mesure et qui est venu le visiter.

                        A l’inverse, la femme pécheresse sait au plus profond d’elle-même qui est celui aux pieds de qui elle se jette : celui qui est capable de la sauver d’elle-même, de l’arracher à une vie qu’elle exècre. Silencieusement dans les larmes, elle manifeste beaucoup d’amour en réponse à l’amour qui pardonne. Elle est l’illustration vivante du propos de saint Paul rappelé ci-dessus. En manifestant l’amour né de sa foi, elle en obtient le fruit, celui de la remise en marche, celui de la Résurrection : « ta foi t’a sauvée. Va en paix. » (Luc 7,50).

Comme la femme pécheresse donnons notre foi à Dieu qui nous précède de son amour. Comme elle, soyons de vrais disciples, ceux qui croient qu’ils sont aimés, que leur dette est remise.


Dimanche  10 juin       [ lectures : Gn 14, 18-20,   Ps 109,   Co 11, 23-26,   Lc 9,11b-17]

 L’EUCHARISTIE POUR FAIRE CORPS AVEC LE CHRIST

                   « Ceci est mon corps, qui est pour vous » (1 Corinthiens 11,24). « Source et sommet de toute la vie chrétienne (Vatican II),

L’Eucharistie nous met en présence de l’œuvre rédemptrice du Christ accomplie dans le mystère pascal. En faisant du pain et du vin, son Corps et son Sang, le Christ nous donne pleinement sa vie en se faisant notre nourriture. Le don libre et aimant par l’anticipation de ce qui s’accomplira sur la croix est source de notre salut. En effet le Christ a définitivement relié sa vie à la nôtre à travers cette nourriture que l’homme tire de la nature et de son travail pour entretenir sa vie. En devenant ainsi notre nourriture, le Christ, Verbe fait chair, se livre à nous pour que nous fassions corps avec Lui et nous entraîner de manière irréversible, à travers sa mort, vers sa vie de Ressuscité : « Si nous sommes déjà en communion avec Lui par une mort qui ressemble à la sienne, nous le serons encore par une résurrection qui ressemblera à la sienne » (Romains 6,3).

                  Ainsi l’Eucharistie est-elle « anamnèse » c’est-à-dire mémoire de cet événement fondateur. Par l’action de l’Esprit Saint, en accueillant « le pain qui descend du ciel » (Jean 6,58), nous sommes inscrits dans le mouvement qui a conduit le Christ de ce monde à son Père. « Celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle ; et moi, je le ressusciterai au dernier jour » (id.v.54). Non seulement actualisation du passé dans notre aujourd’hui, l’Eucharistie nous met aussi en présence de notre avenir. « Heureux les invités au repas des noces de l’Agneau ! » chante l’Apocalypse (19,9). Ces noces sont celles de Dieu avec l’humanité réconciliée. Nous sommes déjà transportés au terme de l’histoire, lorsque le Christ aura tout récapitulé en Dieu. Nous connaîtrons alors l’unité pour laquelle le Seigneur a tant prié au soir de ses Adieux.

                  Ce mystère est déjà en voie de réalisation. Roi et prêtre selon l’ordre de Melchisédech, le Christ confie en effet à son Eglise de poursuivre sa fonction royale et sacerdotale qui est de donner la vie dans la paix d’un partage juste. Sacrement de l’Alliance nouvelle et éternelle, l’Eucharistie tisse ainsi l’unité qui nous assemble pour que nous puissions devenir les membres de ce corps que l’Esprit forge à travers l’histoire des hommes jusqu’au retour glorieux de celui qui a pris  notre corps pour que nous fassions à jamais corps avec Lui.


Dimanche 3 Juin     [ lectures : Pr8, 22-31 Rm 5, 1-5 : Jn 16, 12-15 ]

DIEU POUR NOUS, DE L’UN ET DU MULTIPLE

                   « Dieu Notre Père, tu as envoyé dans le monde ta Parole de vérité et ton Esprit de sainteté pour révéler aux hommes ton admirable mystère » (Prière d’ouverture de la Messe de la Sainte Trinité).

                        Si l’intelligence de la foi est capable d’exprimer le mystère du Dieu Unique comme Père, Fils et Saint Esprit, c’est qu’elle en trouve la réalité dans l’Ecriture. Qui pourrait en effet prétendre avoir accès à l’intimité de celui que chante le poème de Saint Grégoire de Naziance : « O toi, l’au-delà de tout, n’est ce pas tout ce qu’on peut chanter de toi ? » Mais la parole de Dieu portée par des paroles d’hommes nous permet de franchir l’abîme conceptuel qui sépare le Créateur de sa créature. Véritable échelle de Jacob, l’Ecriture est la figure de la Parole vivante de Dieu.

                        Déjà l’Ancien Testament évoquait Dieu par son souffle, sa sagesse, sa Parole, permettant de découvrir qu’Il n’est pas un être monolithique, solitaire, enfermé sur Lui-même. Ainsi la personnalisation de la Sagesse au Livre des Proverbes ouvre-t-elle l’intelligence à un Dieu qui se déploie hors de Lui-même et se rend familier, intérieur à la création surgie de sa Parole et de son souffle. Si donc Dieu est échange, communication « ad extra », ne serait-ce pas qu’Il est en Lui-même échange et réciprocité ? C’est bien ce que révèle le Christ : « Tout ce qui appartient au Père est à moi » (Jean 16,15) ou encore : « Père, tu es en moi et moi en toi » (id.17,21). Les mots de Père, de Fils et d’Esprit renvoient à des relations qui constituent l’être même de Dieu. Elles sont « subsistantes » disait saint Thomas d’Aquin. Ce qui subsiste, ce qui est le fondement de l’être divin, c’est d’être Père, Fils et Esprit. Etre Père implique le don total de son être à celui qu’il engendre. Etre Fils c’est accueillir ce don dans la reconnaissance et l’action de grâce. Etre Esprit c’est être la perfection de la relation de communion, source de vie et de liberté.

                        Loin d’être un dogme abstrait, le mystère trinitaire est source inépuisable du salut par l’amour que Dieu répand dans nos cœurs (Romains 5,3). Il s’inscrit au cœur de l’être créé privilégié qu’est l’homme, qui en devient l’image pour en déployer toute la richesse par la ressemblance. Par l’incarnation du Verbe et par le don de l’Esprit, Dieu se fait intérieur à notre création. Vivifiées par l’Esprit, nos diversités peuvent devenir chemin de l’unité grâce au jeu de nos libertés restaurées par le Christ. Vivre le mystère trinitaire, c’est répondre à la prière du Christ : « que tous, ils soient un, comme toi, Père, tu es en moi, et moi en toi » (Jean 17,21).


Dimanche 27 Mai       [ lectures : AC 2, 1-11 ; Rm 8, 8-17 ; Jn 14, 15-26 ]

L’ESPRIT POUR ÊTRE FILS

                   « …tous, nous les entendons proclamer dans nos langues les merveilles de Dieu » (Actes 2,11).

                  Survenant au cœur de la fête de la moisson et du don de la Loi célébrée à Jérusalem par les Juifs venus de toutes les nations, la Pentecôte apparaît comme la moisson des fruits éclos dans la Pâque du Christ. Celui-ci n’avait-Il pas annoncé : « L’Esprit Saint que le Père enverra en mon nom, lui, vous enseignera tout, et il vous fera souvenir de tout ce que je vous ai dit » (Jean 14,26) ? Vent violent, feu illuminateur, tout évoque en effet « les merveilles de Dieu ». Surgissement du monde créé sous l’effet du souffle divin planant sur les eaux infécondes de l’abîme originel, naissance du peuple libéré de la servitude au travers des eaux de la mort, feu de la présence divine embrassant la montagne du Sinaï pour le don des Dix Paroles, sont comme récapitulés en cet accomplissement du mystère pascal où l’Esprit vient rassembler ce qui était dispersé.

                  Ayant surmonté la volonté prométhéenne des hommes de se faire comme Dieu, le Christ donne à l’Esprit de poursuivre son œuvre : créer la communion à laquelle tous sont appelés pour entrer dans la Vérité qui rend libre. C’est ce chemin que l’Esprit est venu éclairer. Il nous faut entrer dans le mouvement qu’Il nous propose, car Lui-même est mouvement, liberté, intériorité, naissance, vie. Esprit du Père et du Fils, Il nous renvoie sans cesse à l’Un et à l’Autre. Ce qu’il dit « ne vient pas de lui-même » (Jean 16,13). Son action est de forger en nous l’image du Père qu’est le Fils, de reformer en nous la ressemblance divine perdue en raison du péché. Découvrir notre vérité c’est retrouver les attitudes filiales et fraternelles que Dieu attend de nous.

                  La Pentecôte est donc en ce sens un événement intime entre nous et Dieu. Mais elle est indissociablement un événement entre l’humanité tout entière et Dieu. L’Esprit engendre en effet un peuple nouveau. Il donne au Christ son corps qui est l’Eglise. Par la communion de l’amour qui conjugue nos diversités, nos différences, Il apporte la paix et l’unité. Celui qui fait de chacun de nous des fils de Dieu construit le corps qui doit atteindre sa plénitude : le Christ ressuscité. Désirons ardemment, en rejoignant la prière du Christ, que se déploient en nous les attitudes de fils de Dieu, de frères du Christ, afin d’être « héritiers de Dieu, héritiers avec le Christ… pour être avec lui dans la gloire » (Romains 8,17).


Dimanche 20 mai  [ lectures : Ac 7, 55-60  - Ap 22, 12... 20 -Jn 17,20-26 ]

AIMER POUR ÊTRE UN

                   « Père juste, le monde ne t’a pas connu » (Jean 17,25).

                  Ces mots du Christ, prononcés au cours de la prière conclusive de ses adieux à l’issue de la Cène, récapitulent tout ce qu’Il avait annoncé quant au rejet des disciples. Le martyre d’Etienne en est une saisissante illustration. La mort du disciple est en effet le résultat de l’affrontement meurtrier entre la foi en Celui qui, monté au ciel en son Ascension, révèle son unité sans égale avec le Père, et le refus de croire des opposants. Ceux-ci rééditent le péché des origines, qui, comme celui de Caïn, débouche sur le meurtre. Ils méconnaissent, en raison de leur défiance, le véritable visage de Dieu qui est amour. Ils s’obstinent à penser que Dieu ne veut pas le bonheur de l’homme par une union sans distinction ni confusion de l’humanité avec la divinité.

                  La foi, elle, est compréhension de ce salut et accueil du don de la vie fait sur la Croix par un acte d’amour qui est source de l’unité. Celle-ci est désormais confiée à la responsabilité des disciples : « Que leur unité soit parfaite ; ainsi le monde saura que tu m’as envoyé, et que tu les as aimés comme tu m’as aimé » (Jean 17,23). Cette étonnante prière signifie que l’amour qui nous est donné est celui-là même qui fait l’unité du Père, du Fils et de l’Esprit. Cette perfection de l’unité divine doit devenir la nôtre. Nous ne sommes en effet à l’image du Dieu UN que dans la mesure où nous vivons entre nous cette unité de l’amour. C’est un chemin à parcourir, jalonné par bien des obstacles. Cette difficulté à « faire UN » provoque la Passion du Christ. Celle-ci est à la fois le paroxysme de la division de l’homme avec Dieu et la source de toute réconciliation.

                  Dans le mouvement du retour au Père qu’Il accomplit dans sa Passion et sa Mort, le Christ nous apprend que l’entrée dans la communion implique une perte de soi. Mais cette perte est en réalité un gain. En perdant sa vie pour les pécheurs que nous sommes, le Christ fait passer en eux son amour par le pardon et le don de l’Esprit. Ainsi le chemin de l’unité passe-t-il par le pardon que l’amour engendre. En vivant la passion dans leur chair à l’image de leur Sauveur, Etienne et tous les martyrs donnent à l’Eglise d’être le signe de l’unité de tout le genre humain que le Christ achèvera dans son retour en gloire. Comme le Voyant de l’Apocalypse, désirons avec foi, espérance et charité, ce don de l’unité : « AMEN ! Viens Seigneur Jésus » (Apocalypse 22,20).


Ascension - 17 Mai  [ lectures : Ac 1,1-11 -He 9,24-28; 10,19-23 - Lc 24,46-53 ]

LE JUGE DU MONDE ET LE SEIGNEUR DES SEIGNEURS

 (Préface de l’Ascension)

  « Il se sépara d’eux et fut emporté au ciel » (Luc 24,51)

                  Loin d’être un épisode secondaire, un événement mythique à la réalité incertaine, l’Ascension est le couronnement de la geste pascale du Christ sans lequel la Résurrection n’aurait pu déployer pleinement ses effets. Récit fondateur, il permet à saint Luc de clore son évangile et d’inaugurer le temps de l’Eglise au livre des Actes des Apôtres, liant ainsi étroitement le mystère du Christ et celui de l’Eglise.

Loin d’être absent de notre univers, le Christ glorifié peut, au contraire se rendre présent à tout et à tous. Passé à Dieu, de qui il partage désormais l’invisibilité, Il nous rend dépositaires de sa Parole et de son Esprit, ouvrant aux Bienheureux « qui croient sans avoir vu » (Jean 20,29) le temps de la foi, de l’espérance et de la charité.

 « C’est vous qui en êtes les témoins » (Luc 24,48)

                  Il appartient aux disciples de manifester la visibilité de la nouvelle présence du Ressuscité : l’unité. Evoquant l’Ascension du Christ dans la lettre aux Ephésiens, saint Paul écrit : « Au terme, nous parviendrons tous ensemble à l’unité dans la foi et la vraie connaissance du Fils de Dieu, à l’état de l’Homme parfait, à la plénitude de la stature du Chris » (Ephésiens 4,13). Ainsi l’Eglise a-t-elle pour mission de signifier par la Parole et par le geste ce que le Christ lui demande d’être : son corps.

 « Il est monté dans le ciel même … nous avons là une vie nouvelle et vivante » (Hébreux 9,24 et 10,20).

                  Lorsque le Christ accomplit son Ascension, il signifie que son ciel est à la fois Dieu et nous. Il conduit la création à son accomplissement. Nous-mêmes, au cours de cette transformation, nous devenons l’habitation nouvelle du Christ, le temple de la présence divine. C’est désormais l’Eglise qui est la visibilité du Christ devenu invisible. A chacun de nous, baptisés, confirmés dans l’Esprit de travailler à cette unité par le lien de la charité. Ainsi que nous l’avons chanté lors du lavement des pieds à la Cène du Seigneur :

« ubi caritas et amor, Deus ibi est »


Dimanche 13 Mai            [ lectures :  Ac 15, 1...29 - Ap 21, 10...23 -Jn 14,23-29 ]

DEMEURE DE L’ ESPRIT

                   « La muraille de la cité reposait sur douze fondations portant les noms des douze Apôtres de l’Agneau » (Apocalypse 21,14).

                  Les dernières semaines du temps pascal, en nous acheminant vers la Pentecôte, nous conduisent à une prise de conscience plus vive de l’importance vitale de l’Eglise dans le dessein de salut accompli par le Christ. Comme nous le proclamons dans le « Credo », l’Eglise est apostolique. Elle repose sur la foi des Apôtres qui est constitutive de sa structure même. C’est ce qu’évoque la grandiose vision de l’Apocalypse. Le même mystère est exprimé de manière très concrète par le récit conclusif de la première assemblée de Jérusalem au livre des Actes. C’est aussi que ce que le Christ institue au soir de la Cène en faisant des Apôtres la demeure de l’amour, de la paix, par la communion de l’Esprit Saint.

                  Etroitement liée au Christ ressuscité, l’Eglise n’est ni une idéologie, ni un corps abstrait de doctrine, mais l’expression des relations vivantes que noue l’Esprit Saint entre les croyants, à l’image de la communion trinitaire. Appartenir à cette communion est l’enjeu de nos existences. Aussi l’Eglise, animée par l’Esprit, nous permet-elle de nous nourrir du Christ ressuscité, parole de vie du Père que l’Esprit explicite en nos vies. « Le Défenseur, l’Esprit Saint que le Père enverra en mon nom, lui, vous enseignera tout, et il vous fera souvenir de tout ce que je vous ai dit » (Jean 14,26).

                  Les consignes laissées par les Apôtres à leurs frères venus du paganisme sont une illustration parfaite de cette parole du Christ. S’abstenir des aliments offerts aux idoles, du sang, des unions illégitimes, est un rappel de tout le Décalogue tant dans le rapport de l’homme à Dieu que dans le rapport aux autres. Idolâtrie, respect de la vie, droit usage de la sexualité, nous renvoient aux fondements de notre existence : Dieu Lui-même, qui nous demande de l’aimer comme l’Unique, d’aimer notre prochain dans ce bien précieux qu’est sa vie, de respecter son image dans le couple humain, signe de son unité et de sa fécondité. Mais le monde ne sait répondre que par la violence, le sang versé, la caricature de l’amour. A Pilate qui déclare « Je ne suis pas responsable du sang de cet homme », tout le peuple répondit : « son sang, qu’il soit sur nous et sur nos enfants ! » (Matthieu 27,24-25). Dieu, lui, répond par le pardon, la miséricorde. La Croix devient le signe de la paix et de l’amour. Passé au Père, le Christ fait à son Eglise le don de la paix et de l’amour afin qu’advienne la demeure de l’amour, la cité illuminée par la gloire de Dieu et dont l’Agneau est la source de lumière (Apocalypse 21,23).


Dimanche 6 mai  [ lectures : Ac 14, 21b-27 - Ap 21, 1-5a - Jn 13,31....35 ]

L’AMOUR, GLOIRE DE DIEU ET GLOIRE DE L’HOMME

                   « Ce qui montrera à tous les hommes que vous êtes mes disciples, c’est l’amour que vous aurez les uns pour les autres » (Jean 13,35).

                  C’est sur ce conseil que se clôt l’enseignement du Seigneur avant d’entrer dans la nuit de sa Passion. Ce qui est en jeu est l’imminence de l’irruption d’un monde nouveau. Nous ne mesurons pas toujours avec assez d’acuité la nouveauté radicale que la Résurrection est venue inscrire dans l’histoire de l’humanité. En effet, nos existences se déroulent sur fond tragique de conflits meurtriers, avec la nature, avec les autres humains, dont la racine est le conflit originel avec Dieu Lui-même. Par sa Résurrection, le Christ vient ouvrir l’accès au monde nouveau, c’est-à-dire à un monde libéré de ces conflits, réconcilié avec Dieu. C’est ce qu’exprime le voyant de l’Apocalypse : « j’ai vu un ciel nouveau et une terre nouvelle … car la première création aura disparu » (21,1…4). L’accès à la nouvelle Jérusalem est ouvert, c’est-à-dire la possibilité de vivre ensemble une nouvelle manière d’être dont l’unique loi sera la charité qui ne passera jamais (1 Corinthiens 13,8).

                  C’est cet avenir que signifie le thème de la gloire. Glorifier Dieu, sanctifier son nom – ce qui est équivalent – c’est reconnaître que Dieu n’est qu’amour. Le péché, qualifié à juste titre d’originel, est de soupçonner Dieu de n’être pas vraiment amour, mais au contraire mensonge, avarice, jalousie. Aussi faut-il toute la patience divine à travers la Révélation pour nous conduire à la lumière et à la vérité qui éclatent dans le mystère pascal. Si nous sommes à l’image et à la ressemblance de Dieu, nous le sommes, non d’un dieu trompeur, jaloux, mais du Dieu que le Christ nous révèle en donnant sa vie. Rendre gloire à Dieu, c’est donc le reconnaître comme la puissance d’amour qui donne vie et qui nous rend capables de surmonter nous aussi tout ce qui s’oppose à cet amour qui nous fait être comme Dieu.

                  Cette nouveauté s’explicite comme une nouvelle création. Elle ne surgit pas pour autant « ex abrupto », mais est déjà présente au cœur de nos existences. La Pâque du Christ nous la dévoile et nous permet aussi d’y accéder en mettant en œuvre le commandement nouveau. Commandement, parce que loi de la vérité de notre humanité. Nouveau, parce que dévoilé dans la Résurrection. Ainsi liés les uns aux autres dans l’amour qui nous constitue corps du Christ, nous manifestons la gloire de Dieu : « Il demeurera avec eux, et ils seront son peuple » (Apocalypse 21,3).


Dimanche 29 Avril

« DIEU, PASTEUR ET AGNEAU POUR LA VIE DES HOMMES »

                   « Mon Père, qui me les a données, est plus grand que tout, et personne ne peut rien arracher de la main du Père » (Jean 10,29). La victoire pascale du Christ, dont nous poursuivons la méditation en ce temps pascal, est la victoire du Père sur tout ce qui s’oppose à son dessein de bonheur pour l’homme. Elle fait même concourir les puissances destructrices à la réussite de l’œuvre créatrice et rédemptrice. Ainsi voyons-nous au livre des Actes des Apôtres, la fureur des Juifs devant l’annonce évangélique faite par Paul et Barnabé avoir pour effet d’ouvrir aux païens les portes de la foi. L’état délabré de la création du fait du péché des hommes pourrait nous porter au pessimisme quant à l’avenir de l’homme et du monde créé. La Résurrection nous apprend que même notre défiance a été intégrée par Dieu dans son dessein de salut. En nous voulant à Lui, Dieu fait découvrir qu’Il n’est ni notre rival, ni un tyran oppresseur, mais bien Celui qui se donne comme source de vie vers laquelle l’Agneau-Pasteur nous conduit (Apocalypse 7,17).

                  Cet  avenir, présent dans le Christ ressuscité, n’est pas encore manifesté car il nous faut passer « par le sang de l’Agneau » (id.v.14). Un combat doit toujours être mené comme celui de Paul, Barnabé et de tous ceux qui « viennent de la grande épreuve » (id). Si l’issue ne peut être que positive – « personne ne peut rien arracher à la main du Père » souligne le Christ – ce combat n’en est pas moins réel car nombreuses sont les tentatives d’arrachement. Satan demeure toujours aux aguets pour tenter de porter atteinte au dessein d’unité de Dieu. La force de la Résurrection déployée dans les sacrements – baptême, pénitence, eucharistie – est, quant à elle, à l’œuvre pour forger en nous le courage de la foi et nous conduire à la communion de la vie trinitaire.

                  Cette unité, qui s’accomplit tout en respectant la différence de nature entre l’homme et Dieu, est liée à celle qui, intrinsèquement, est le propre de l’être divin. L’Incarnation nous la rend accessible. Vrai berger, le Christ, dans son humanité, se fait agneau, c’est-à-dire un du troupeau. Dans la Pâque, devenu l’agneau immolé, Il ne cesse pourtant pas d’être le berger, un avec le Père. Réalisant la prophétie de Zacharie : « je veux frapper le pasteur pour que soient dispersées les brebis » (13,7), Il fait advenir le jour de Dieu en sa Résurrection : « Et Yahvé sera roi sur toute la terre. En ce jour, Yahvé sera unique et son nom unique » (id 14,9).


Dimanche 22 avril

 « AUBE NOUVELLE DANS NOTRE NUIT... »

            Cette expression, reprise d'une hymne du temps d'Avent, est bien adaptée à l'évocation de la nouveauté radicale que la Résurrection  du Christ est venue introduire dans l'histoire de l'humanité: «Le Dieu de vos pères a ressuscité jésus, que vous aviez exécuté en le  pendant au bois du supplice » (Actes 5,30). Exécution, pendaison au bois de la Croix, imposition du silence, tortures, telles sont les manifestations de l'action pécheresse des hommes. Résurrection, don de conversion, enseignement du Salut, joie, tels sont les effets de la puissance divine. La dramatique du Salut est faite de cette   opposition entre la force décréatrice du péché des hommes et la  puissance. créatrice de vie que Dieu met en œuvre dans le mystère pascal.

             La Résurrection est le jugement de nos pratiques homicides et simultanément délivrance du pardon, seul capable de rendre la vie à l'homme qui se nie et s'autodétruit par son péché Immolé, l'agneau est digne de recevoir la plénitude de la  bénédiction, déclare l'auteur de l'Apocalypse (5,12). Celui qui a été rejeté,, écrasé, relégué à la dernière place, celle de l'esclave, est mis à la première, celle qui n'a cessé d'être la sienne de toute éternité.

            Si dans la Résurrection l'esclave devient le Maître et le Seigneur, c'est qu'il l'était auparavant. « C'est pourquoi Dieu l'a élevé au­ dessus de tout; il lui a conféré le Nom qui surpasse tous les noms » (Philippiens 2,9) écrit saint Paul. Aussi aucune puissance humaine ne peut‑elle « interdire d'enseigner le nom de cet homme‑là, ni de remplir Jérusalem de cet enseignement » (Actes 5,28). C'est ce qu'accomplit toujours l'Eglise à la suite des Apôtres. Baptisés, nous avons à être les hérauts de la « revanche de Dieu » (Isaïe 35,4).

C'est l'expérience de cette nouveauté que le Christ ressuscité fait éprouver à ses disciples et tout particulièrement à Pierre. Là où régnaient la nuit de la pêche inféconde, la nudité, la faim, prennent place la lumière de l'aube, la fécondité de la pêche, l'invitation au ‑repas. Il ne s'agit pas de recommencer comme si rien ne s'était passé,, mais de découvrir l'appel à vivre d'une vie nouvelle. Son accès se fait par la reconnaissance de son péché, par l'acceptation confiante d'un chemin qui passe par la Croix. C'est le parcours de Pierre à la suite de son Seigneur; c'est la route de l'Eglise qui y vit l'appel de l'amour. Ainsi se transforme peu à peu notre être pécheur, afin d'advenir à notre condition filiale que la Pâque du Christ inscrit en nos cœurs de baptisés par l'action de l'Esprit Saint.


Dimanche 15 Avril

RESURRECTION ou LA FOI A L’EPREUVE

« Sois sans crainte. Je suis le Premier et le Dernier, je suis le Vivant : j’étais mort, mais me voici vivant pour les siècles des siècles … » (Apocalypse 1,17-18).

                  Sans doute la Résurrection demeurera-t-elle jusqu’à la fin des temps pierre d’achoppement pour l’intelligence humaine. Notre existence est environnée par la mort qui semble être la loi de l’univers, des civilisations, des individus. C’est en ce point que l’espérance chrétienne vient se situer pour mener l’homme à la certitude que cette mort qui est son lot n’aura pas le dernier mot. Celui-ci appartient à Dieu qui le profère en son Fils, Premier et Dernier, le Vivant qui détient « les clés de la mort et du séjour des morts ». Premier, car en sa Résurrection Il rejoint son origine. Ce qu’Il est de toute éternité au sein de la communion trinitaire, le Verbe l’est désormais en son humanité. En son corps ressuscité, Jésus est le Vivant par excellence, englobant du monde nouveau, de la création nouvelle. Il est aussi le Dernier, Celui en qui toute chose, tout être, trouve sa fin. Notre itinéraire passe désormais par Lui comme l’expérimente le voyant de l’Apocalypse : « Quand je le vis, je tombais comme mort à ses pieds, mais il posa sur moi sa main droite … » (id.v.17).

                  Au soir du premier jour de la semaine, le Christ ressuscité, délivré de la mort, vient donner aux siens de faire l’expérience de la condition nouvelle qui est la sienne. Corps spirituel, selon l’expression de saint Paul, le corps de Jésus ressuscité n’en porte pas moins les signes de la mort qui sont aussi ceux de l’amour et du pardon. Thomas est invité à sortir de son incrédulité pour y lire la réalité de l’échec de la mort. En prononçant la parole d’adoration : « Mon Seigneur et mon Dieu » (Jean 20,28), l’Apôtre accède à la foi plénière. Ayant traversé notre mort, Jésus l’a conjurée en y plantant la vie nouvelle qui jaillit avec abondance de son cœur ouvert. Retournant à Dieu, Il nous entraîne à sa suite.

                  Aujourd’hui, c’est dans l’Eglise que se forge l’humanité nouvelle : « de même que le Père m’a envoyé, moi aussi, je vous envoie » (Jean 20,21). Le disciple envoyé a désormais même statut que Jésus Lui-même. L’Eglise doit poursuivre l’œuvre de réconciliation. La foi n’est plus liée à la visibilité du ressuscité, mais à l’unité de son corps qui se construit dans la présence sacramentelle et la charité fraternelle. Elle nous assure que l’heure viendra où, à nouveau, la vision nous sera donnée, selon la parole du Ressuscité : « Ecris donc ce que tu auras vu : ce qui arrive maintenant, et ce qui arrivera ensuite » (Apocalypse 1,19).


Dimanche 8 Avril : PÂQUES ‑ LA RESURRECTION DU SEIGNEUR

Le Jugement de l'Amour

 Il nous a chargés d'annoncer au peuple et de témoigner que Dieu l'a choisi comme juge des vivants et des morts » (Actes 10,42‑‑ Messe du joue4e4Wques).

La Résurrection que nous célébrons est le témoignage incomparable de l'amour que Dieu nous porte. Tel un sceau indélébile, Dieu met un terme à l'oeuvre rédemptrice de son Fils. Il accomplit le jugement de l'amour qui nous délivre à jamais de toutes les conséquences mortelles du péché. S'étant identifié à notre péché, le Fils de Dieu nous identifie à la justice de Dieu comme le souligne saint Paul (2 Corinthiens 5,21). Par sa Résurrection, le Christ nous rejoint au plus extrême de notre humanité pécheresse et fait passer celle‑ci à la vie sur laquelle la mort ne peut plus avoir de prise.

C'est ce que signifie le tombeau vide découvert par les femmes lorsqu'elles se rendent au sépulcre (Luc 24,1‑3) ou par Pierre et jean au terme de leur course (jean 20,4‑9). Ce vide signifie « en creux » que la mort n'a pu avoir le dernier mot. Comme jean, nous pouvons par la foi saisir la plénitude d'une présence radicalement nouvelle que toute la Révélation laissait pressentir depuis l'aube des siècles. Le Fils de Dieu s'est mis en exode au coeur de notre humanité pour connaître dans l'amour l'échec mortel qui nous accable et y faire surgir la vie nouvelle qu'Il inaugure comme premier‑né d'entre les morts, Lui qui était déjà le premier‑né de toute créature (Colossiens 1, 15 et 18).

Comme hier les Apôtres, il nous faut vivre aujourd'hui une tension entre la promesse de vie que nous avons reçue à notre baptême et sa réalisation déftnitive « quand paraîtra le Christ notre Vie » (Colossiens 3A). Ce que nous devons connaître nous est donné sous le mode de l'espérance. Mais la foi nous assure que le Christ nous porte désormais vers notre naissance à la vie du Royaume. La mort que nous aurons à connaître est désormais habitée par le Fils de Dieu qui en a fait le passage à la vie. « Nous paraîtrons avec lui en pleine gloire » (Colossiens 3A)


Dimanche 1er Avril

GLOIRE A LA CROIX

 « Béni soit celui qui vient, lui, notre Roi, au nom du Seigneur. Paix dans le ciel et gloire au plus haut des cieux. » (Luc 19,38).

Aujourd’hui, comme hier les disciples à Jérusalem, l’Eglise s’avance au devant de son Seigneur et l’acclame comme le Roi de l’Univers. Au seuil de la « grande semaine », les chrétiens sont invités à proclamer leur foi en Celui qui, vrai Roi-Messie, vient apporter le Salut à l’humanité toujours souffrante et bien souvent perdue.

Encore faut-il ne pas faire erreur sur le sens de l’entrée messianique. Aussi, avec sagesse, l’Eglise associe dans la même liturgie et l’entrée royale à Jérusalem et le récit de la Passion. Pour la première et unique fois, le Christ accepte l’acclamation messianique de ses disciples et rétorque aux opposants : « Je vous le dis : s’ils se taisent, les pierres crieront » (Luc 19,40). C’est monté sur l’âne, monture pacifique, et non sur le cheval, monture guerrière, que le Christ spécifie sa royauté. Celle-ci n’aura pas d’autre trône que la Croix où il sera « élevé au-dessus de tout » (Philippiens 2,3).

Comme les foules de Jérusalem, nous risquons de commettre un contresens majeur sur la nature du pouvoir, de la puissance du Christ. Il s’agit bien pour lui de prendre le pouvoir. Mais non pas un pouvoir de domination et d’asservissement, mais un pouvoir de libération et de vie sur tout ce qui opprime l’homme. Cloué comme un malfaiteur sur la Croix, le Christ est la véritable incarnation du mystérieux Serviteur souffrant de la Prophétie d’Isaïe. Il affiche aux yeux des hommes pécheurs les conséquences mortelles du mal qui les ronge. Plus encore il dévoile dans son extrême déréliction la surabondance d’un amour qui nous ressaisit au plus profond de notre détresse. Sur le trône de gloire dressé par les hommes pécheurs, le Christ dévoile la vérité d’un Dieu qui aime jusqu’à consentir à la mort de son Fils. Il dit aussi la vérité de l’homme qui se découvre héritier de la gloire et victorieux des forces de malheur et de mort.

« C’est pourquoi Dieu l’a élevé au-dessus de tout. Il lui a donné le Nom qui surpasse tous les noms afin qu’au Nom de Jésus … toute langue proclame : « Jésus Christ est le Seigneur » pour la gloire de Dieu le Père » (Philippiens 2,9 …11).


Dimanche 25 Mars

De la loi qui tue à l’amour qui libère

 « Maître… dans la loi, Moïse nous a ordonné de lapider ces femmes-là. Et toi qu’en dis-tu ? »
(Jean 8,4…5).

L’ultime étape du Carême nous place dans la perspective pascale. Il y est en effet question de mort et de vie, d’espérance d’un monde nouveau qui germe déjà mais que nous ne voyons pas. (Isaïe 43,19). Son accès suppose, nous dit saint Paul, « de connaître le Christ, d’éprouver la puissance de sa résurrection, et de communier aux souffrances de sa passion » (Philippiens 3,10). C’est, à la lettre, l’aventure que l’Evangile nous offre de méditer aujourd’hui.

« Rencontres aux portes de la mort » pourrait-elle s’intituler, tant la scène est baignée d’un climat de mort qui enveloppe tous les protagonistes. Perspective de mort pour la femme anonyme dont l’adultère – meurtre symbolique du mari – la conduit à cette extrémité. Perspective de mort pour ses accusateurs qui n’ont en fait pas d’autre visée que de s’en prendre à la vie de Jésus, ainsi qu’ils le proclameront ensuite : « nous avons une loi, et suivant la loi, il doit mourir, parce qu’il s’est prétendu Fils de Dieu » (Jean 19,7). Enfin perspective de mort pour Jésus Lui-même au travers d’un piège hypocritement tendu afin de le mettre en contradiction soit avec son propre enseignement, soit avec la loi, ce qui, dans tous les cas, entraînerait sa disparition de la scène publique.

Mais, parce qu’Il est le Fils de Dieu, Jésus vient libérer tant la femme que ses accusateurs de ce mécanisme mortel où leurs libertés enchaînées se sont fourvoyées. En plaçant ses adversaires dans l’inconfortable position du premier lanceur de pierre, le Christ les oblige à ouvrir les yeux sur la réalité pécheresse de chacun d’entre eux. Lancer la première pierre serait se condamner soi-même. Comme Paul, l’ancien persécuteur au nom de la loi, ces pharisiens et ces scribes doivent découvrir qu’il leur faut changer, se convertir, passer de « l’obéissance à la loi de Moïse » à « la foi au Christ » (Philippiens 3,9). Il leur faut découvrir la loi nouvelle d’amour et de vie que le Christ trace de son doigt sur la terre de notre humanité pécheresse. Quant à la femme, figure de cette même humanité, elle voit s’ouvrir un monde nouveau, celui où la mort n’aura pas de prise.

La loi de Moïse était la loi de l’Exode, de la marche vers la liberté. La loi du Christ est l’inscription de la miséricorde et du pardon au cœur de l’homme. C’est l’époux nouveau, au cœur débordant d’amour, qui se réconcilie cette humanité qu’il assume totalement. Membres de son corps, nous voici invités à poursuivre notre course « pour remporter le prix auquel Dieu nous appelle là-haut dans le Christ Jésus » (Philippiens 3,14).


Dimanche 18 Mars

L’AMOUR DU PERE OU LA NOURRITURE QUI FAIT VIVRE

« Le lendemain de la Pâque, ils mangèrent les produits de cette terre … A partir de ce jour, la manne cessa de tomber » (Josué 5,11-12)

Alors que se profilent déjà la fin du Carême et l’ouverture de la Semaine Sainte, la liturgie de ce quatrième dimanche nous met en perspective pascale, nous rappelant que le Fils de Dieu « fait bon accueil aux pécheurs et mange avec eux » (Luc 5,2). Déjà s’annonce le repas des Noces de l’Agneau  auquel participeront les pécheurs, réconciliés avec le Père par le Christ, dans la joie du monde ancien qui s’en va, tandis que naît déjà le monde nouveau (2 Corinthiens 5,17). Ce don de l’amour de Dieu, vraie nourriture de vie éternelle, est prophétisé par l’entrée des Hébreux dans la Terre Promise. L’Alliance peut être célébrée dans la Pâque où l’homme se nourrit non plus seulement d’une nourriture précaire qui vient du ciel – la manne – mais d’une nourriture, fruit de la terre – cet autre don de Dieu – et du travail de ses mains.

Cependant cette alliance demeure inachevée. Le fils aîné qui en est l’héritier doit encore se convertir pour passer de la justice à la miséricorde. Quant au fils prodigue, cet autre visage de l’homme pécheur, il lui faut prendre le chemin du pardon par le retour au père, car « c’est bien Dieu qui, dans le Christ, réconcilie le monde avec lui » (2 Corinthiens 5,19). En tuant symboliquement le père en exigeant sa part d’héritage, le fils cadet de la parabole s’est coupé de son origine. Il ne peut que tomber dans la misère et la famine. Plus grave encore, ayant porté atteinte à la paternité de son auteur, il perd sa dignité de fils. Mais, tel Dieu en quête de l’Adam pécheur, le père ne cesse jamais d’aimer son fils et demeure dans l’espérance de son retour. C’est lui qui rend au fils perdu sa dignité filiale, parce qu’il n’a jamais cessé d’être père.

Dieu sort sur le chemin de l’homme, quelle que soit la distance mise par ce dernier par son éloignement. Mais la fête-dieu, le festin des retrouvailles, ne peut se produire que parce que le Fils de Dieu Lui-même vient vivre la condition de fils perdu qui est la nôtre. Par sa Pâque qui inclut l’exode dans la condition pécheresse, « l’identification au péché des hommes » (2 Corinthiens 5,21), le Christ revêt l’habit de lumière, pour qu’à notre tour nous puissions le revêtir dans la résurrection. Par l’amour du Père, nous ne sommes plus à l’image de l’Adam terrestre englué par le péché. Nous sommes à l’image du Nouvel Adam, le Fils qui, ayant vaincu la mort, est à jamais vivant, revêtu de la gloire qu’Il tient du Père « avant le commencement du monde » (Jean 17,15).


Dimanche 11 Mars

Condamnés au malheur ou appelés à vivre ?

 « … la plupart n’ont fait que déplaire à Dieu, et ils sont tombés au désert. Ces événements étaient destinés à nous servir d’exemple … » (1Corinthiens 10,5-6)

Plusieurs passages de l’Ecriture, tel ce commentaire de saint Paul des événements de l’Exode et les propos du Christ tenus à l’occasion de faits tragiques de l’actualité de son temps, nous déconcertent. La figure de Dieu qui y transparaît n’est-elle pas davantage celle d’un Dieu punisseur, vengeur, peu enclin à la pitié que celle du dieu de bonté et de miséricorde que le Christ est venu révéler ? En fait la lecture que nous en faisons ne doit pas être séparée de l’ensemble de l’Ecriture. Celle-ci est un tout ordonné au salut des hommes. C’est dans une telle perspective que nous devons en situer la compréhension.

Loin de vouloir nous faire craindre un Dieu justicier et vindicatif, simple projection de nos propres pulsions, ces textes nous invitent à comprendre que Dieu  est innocent de notre malheur. S’il y a un lien entre le péché et la mort, c’est à l’homme qu’il faut l’imputer. En choisissant des conduites contraires à l’amour, nous pactisons avec la mort. C’est ainsi que les Hébreux sont tombés au désert, en raison de leur défiance à l’égard de Dieu qui, pourtant, les avait sauvés de la terre de servitude et des eaux de la mort. En allant à l’encontre de l’attente divine à notre endroit, nous nous détruisons. L’orientation négative de notre liberté est un obstacle à la démarche de Dieu qui veut nous faire être. Mais parce qu’Il est Dieu, source de vie, de l’être, le Créateur accomplit son œuvre par la rédemption réalisée par son Fils.

Celui-ci vient vivre par amour notre malheur. Ainsi tous les écroulements des tours de Siloé, tous les assassinats à l’instar de celui des Galiléens, ne sont pas une punition divine mais, par la Croix du Christ, deviennent les signes de la fidélité et de la bonté du Père. De même devons-nous mourir à nos œuvres mauvaises dans le Christ qui vient nous ressaisir pour être notre vie. Aussi nous faut-il répondre à son appel à la conversion. Celle-ci n’est pas seulement une simple attitude morale de rejet du péché mais, plus profondément, elle est élan de tout notre être pour rejoindre la source de la vie. « Tous, ils ont bu à un rocher qui les accompagnait, et ce rocher, c’était déjà le Christ » écrit saint Paul (1 Corinthiens 10,4). Baptisés dans cette source d’eau vive qui jamais ne tarit, nous ne sommes pas condamnés au malheur mais appelés à vivre. Comme le Christ le rappelle par ailleurs, Dieu « n’est pas le Dieu des morts, mais des vivants : tous vivent en effet pour lui » (Luc 20,38).


Dimanche 4 Mars

LA FIGURE DE GLOIRE, NOTRE AVENIR

« Pendant qu’il priait, son visage apparut tout autre, ses vêtements devinrent d’une blancheur éclatante » (Luc 9,29).

Au cœur de sa prière, dans le face à face secret avec son Père, le Christ révèle la puissance de l’amour qui l’habite au point de le faire apparaître autre à ses disciples qui, accablés de sommeil, n’ont pu soutenir leur attention devant l’intensité de l’événement. C’est qu’en sa Transfiguration, le Christ vient faire percevoir le plus essentiel de son être : Fils, Elu du Père, Celui en qui réside la plénitude de l’amour. Malgré leur absence du secret en voie de dévoilement, les trois apôtres vont être les témoins oculaires de la majesté du Christ (2 Pierre 1,16). De même, bien qu’absents du moment secret de la Résurrection, ils seront à jamais les témoins du Christ vivant, ressuscité, premier-né d’entre les morts. Moïse et Elie sont aussi associés à cette apparition de la gloire, eux qui, en leur retraite de prière et d’adoration, ont connu sur la montagne de l’Horeb la présence glorieuse du Tout-Autre.

Ainsi le Christ se présente comme le centre de cette histoire de gloire qui, de l’Ancienne à la Nouvelle Alliance, vient ressaisir toute l’humanité pour lui donner de connaître l’unité de l’amour : « Et moi, je leur ai donné la gloire que tu m’as donnée pour qu’ils soient un comme nous sommes un : moi en eux, et toi en moi » (Jean 17,22) « Reflet resplendissant de la gloire du Père, expression parfaite de son être » (Hébreux 1,3), Jésus dévoile dans la perfection de son humanité la perfection de sa filiation divine tout en accomplissant pour nous la promesse faite aux pères de la Première Alliance.

Toutefois – et cela est essentiel – cette gloire ne peut advenir qu’au travers d’un exode douloureux qui conduit à la Passion et à la mort sur la Croix. Pierre en sera le témoin le plus privilégié, lui qui voulait dresser trois tentes, c’est-à-dire hypothéquer l’avenir de gloire pour un présent fugitif. Profondément bouleversé par cette expérience spirituelle, il nous rappelle qu’il nous faut aussi abandonner notre tente et nous fixer sur la Parole vivante désignée par le Père en son Fils, l’élu de son amour. Elle est comme « une lampe brillant dans l’obscurité jusqu’à ce que paraisse le jour et que l’étoile du matin se lève dans nos cœurs » (2 Pierre 1,19). Ce jour, celui du retour en gloire du Christ, est notre espérance puisque, comme l’écrit saint Paul, « le Seigneur Jésus-Christ transformera nos pauvres corps à l’image de son Corps glorieux, avec la puissance qui le rend capable aussi de tout dominer » (Philippiens 3,20-21).


Dimanche 25 Février 

LE FILS A L’EPREUVE

« Il fut conduit par l’Esprit à travers le désert, où, pendant quarante jours, il fut mis à l’épreuve par le démon » (Luc 4,1-2).

En ouvrant le temps de Carême par la méditation des Tentations du Christ au désert, l’Eglise nous invite à mieux discerner quel enjeu nos vies humaines représentent pour Dieu. C’est non seulement l’histoire du peuple élu en Exode que le Christ a voulu connaître en sa chair, mais plus encore toute l’aventure humaine depuis ses mystérieuses origines. Par son refus d’accueillir comme un don la Parole créatrice qui voulait le conduire à travers un chemin de Sagesse à la vie bienheureuse, l’homme a lui-même provoqué son malheur. Cette défiance de l’homme, Israël l’a incarnée dans le temps d’épreuve que furent les quarante années d’errance. Ecoutant la voix du mauvais conseil qui lui suggérait de ne pas se fier à Dieu, de le mettre au défi « de lui apprêter une table au désert » (Psaume 77,19), Israël a voulu vérifier par lui-même l’authenticité de son être de peuple élu, se condamnant ainsi à la mort née de la défiance. Nouvel Adam, Israël nouveau, le Christ  vient nous ressaisir en ce point mortel de nos vies pour y accomplir le retournement vital, mettant sa liberté à l’épreuve de la Parole : « Dans le Livre, est écrit pour moi ce que tu veux que je fasse. Mon Dieu, voilà ce que j’aime : ta loi me tient aux entrailles » (Psaume 39,9).

En arrière plan des trois tentations se tient en effet l’interrogation fondamentale : que signifie être Fils de Dieu ? « Si tu es le Fils de Dieu … » suggère le Tentateur, c’est-à-dire : éprouve la puissance qui est tienne pour t’affranchir de toute dépendance du Père et fais la preuve que tu es Dieu par  toi-même, capable de susciter du pain des pierres du désert, de t’assurer le pouvoir sur les êtres et les choses, de t’affranchir de la mort déjà présente en ton humanité. En refusant d’obtempérer à la parole mensongère, le Christ déclenche le combat sans merci que viendra lui livrer « au moment fixé » celui qui n’a pas d’autre but que d’anéantir l’unité du Fils avec son Père dans la communion de l’Esprit. En vivant dans la totale confiance le désert suprême de l’abandon, de la solitude et de la mort, le Christ rendra alors le témoignage décisif à la vérité de la Parole du Père. Il n’acceptera qu’aucune légion d’anges le porte pour éviter que ses pieds ne heurtent les pierres (Psaume 90,12) afin que sa chute soit en fait la chute définitive de Satan et que, se levant victorieux dans la Pâque, Il soit pour nous la parole qui réalise la promesse : nourriture de vie éternelle, héritage du Royaume, liberté des enfants de Dieu perdus mais retrouvés.


Dimanche 18 février

LE CHRIST, UNIQUE MESURE DE L’HOMME

« Soyez miséricordieux, comme votre Père est miséricordieux » (Luc 6,36).

Comment ne pas être saisi de vertige à l’écoute de l’enseignement du Seigneur ? Aimer nos ennemis, faire du bien à ceux qui nous haïssent, tendre l’autre joue à celui qui nous frappe, se laisser prendre sa tunique sans se plaindre, tous ces comportements ne sont-ils pas folie, déraison, faiblesse ? En tenant ces propos qui bousculent nos manières d’être spontanées, le Christ nous révèle l’ambition sans mesure que Dieu a pour nous qui sommes si mesurés : devenir les fils du Dieu Très-Haut à l’image de ce Fils unique qui, seul, peut proposer ses conseils de vie parce que, seul, Il les réalise en vérité. Au travers de ces paroles subversives, le Christ nous révèle en effet ce qu’est aimer selon Dieu.

Source de l’être, de la vie, Dieu est l’amour qui aime sans avoir été aimé, celui qui donne sans avoir rien reçu. C’est la logique de l’amour que le Christ est venu vivre dans notre humanité. Haï sans raison, Il répond par un amour sans raison. Son amour est l’amour véritable car il vient au lieu où se déchaîne la haine en paroxysme mortel. En venant faire resplendir la lumière de l’amour au point le plus extrême de notre perdition, il verse la mesure « bien pleine, secouée, débordante » dans le tablier de notre humanité : la vie même de Dieu donnée en surabondance dans la Résurrection du Christ. C’est parce que le pardon sans réserve nous a été accordé au plus profond de la détresse du Christ en sa Passion, que nous sommes les bénéficiaires de cette vie de plénitude, sans autre raison que l’amour que Dieu nous porte.

Le Christ se fait ainsi notre mesure et nous invite à entrer dans le grand mouvement de l’amour. En nous laissant traverser par lui, ce mouvement peut poursuivre sa course pour atteindre aussi nos frères de qui notre peu d’amour nous sépare. Dans sa méditation, l’Apôtre Paul, comparant le premier Adam et le nouvel Adam, nous montre que si nous participons du premier par tout le poids de notre condition humaine pécheresse, nous sommes destinés à devenir « l’image de Celui qui vient du ciel » (1 Corinthiens 15,49). Ceci n’est possible que parce que le Christ est venu, par l’amour donné sur la Croix, compenser notre manque d’amour. Ainsi sommes-nous « récompensés », non pas tant en raison de nos mérites, mais en raison de la reconnaissance que le Père fait de nous-mêmes comme « fils du Dieu Très-Haut ».


Dimanche 11 février

BIEN PLACER SA CONFIANCE

 « Maudit soit l'homme qui met sa confiance dans un mortel... Béni soit l'homme qui met sa confiance dans le Seigneur, dont le Seigneur est l'espoir » (Jérémie 17,5‑7).

Toute l'histoire du Salut est jalonnée par le thème de la Bénédiction et de la Malédiction, du Bonheur et du Malheur. La Bible se situe en effet au coeur des questions existentielles de l'homme : réussite dans la vie ou réussir sa vie, échecs, mort. Moïse apportait déjà une réponse: « choisis donc la vie pour que vous viviez, toi et ta descendance en aimant le Seigneur ton Dieu ... » (Deutéronome 30,19). C'est dans cette même perspective que se situe le Christ en présentant quatre béatitudes destinées aux pauvres, aux affamés, aux affligés, aux persécutés « à cause du Fils de l'homme », auxquelles répondent en antithèse quatre malédictions adressées à ceux qui ne mettent leur confiance qu'en leurs richesses et ne se préoccupent pas du sort de leurs frères démunis.

Lorsque le seul but des efforts humains est la possession et la jouissance des choses et des êtres, la mort n'est pas loin. Le chemin du bonheur ne peut passer par là, rappellent les vieux auteurs sacrés et le Christ Lui‑même. Chercher à posséder et chercher à faire exister ne peuvent qu'être antinomiques et s'exclure mutuellement. La Bénédiction, elle, est un acte de fécondité qui appartient en propre à Dieu. C'est, en elle que se trouve la source du Bonheur. Mais comment entendre sans réticences les affirmations du Seigneur invitant à la joie ceux dont précisément la situation est à l'inverse de la compréhension humaine du bonheur: pauvreté, faim, affliction, persécution ? Comprenons que ces situations ne sont pas en elles‑mêmes source de bonheur. Mais elle ne sont pas un obstacle à l'accès à la bénédiction car, fondamentalement, c'est à cet homme pauvre, affligé, affamé, persécuté, que le Christ veut s'identifier. Par la vérité de son comportement, le Christ est le seul à pouvoir tenir ces propos. « Lui qui est riche, il est devenu pauvre à cause de vous, pour que vous deveniez riches par sa pauvreté » (2 Corinthiens 8,9).

 Ces quatre béatitudes, et leur contrepoint, sont une révélation sur Dieu. C'est parce qu'Il ne peut supporter de voir ses enfants pauvres, affamés, affligés, persécutés, que Dieu veut être victorieux en son Fils de toute cette détresse qu'occasionne le péché des puissants, de ceux qui dominent et asservissent. En ressuscitant son Fils, en le faisant « premier‑né d'entre les morts », Dieu assure que sa bénédiction est toujours active. Rien ne peut empêcher l'homme le plus pauvre, le plus affligé, le plus persécuté, d'accéder à la béatitude du Royaume. En revanche, ne pas participer à cette œuvre divine rend inapte au Royaume, et fait encourir la malédiction. Plaçons notre confiance en Christ. En Lui notre espérance est déjà réalisée: « le Royaume des Cieux est à vous ! » (Luc 6,20).


Dimanche 4 Février

PECHEURS APPELES A LA MISSION

 « Malheur à moi ! je suis perdu, car je suis un homme aux lèvres impures » (Isaïe 6,5).

Trois récits de vocation nous sont proposés en ce Dimanche : celui du prophète Isaïe, celui de Simon et de ses compagnons, celui de Paul, enfin, qui n'hésite pas à se situer au rang des apôtres, fût‑ce «au plus petit parmi ceux‑ci » (1 Corinthiens 15,9). Toutes ces vocations sont caractérisées par un «tremendum», un effroi sacré qui saisit l'homme lorsqu'il fait l'expérience de l'irruption de la présence divine dans son existence. La rencontre de l'homme avec Dieu ne peut en effet s'accomplir sans qu'une profonde transformation se produise dans sa manière de se relier à Dieu. H se trouve tout d'abord arraché à son univers familier et limité pour participer à une aventure qui ouvre sur l'universel. Mais cet effroi est plus encore hé à l'épreuve que représente la rencontre de l'humanité pécheresse avec la sainteté divine. « Nul ne peut voir Dieu sans mourir ». Aussi faut‑il la grâce de Dieu en personne pour surmonter la peur et découvrir que Dieu ne veut pas la mort, mais la vie.

Isaïe, Paul, Simon‑Pîerre font tous la découverte de l'abîme du péché mais aussi de la puissance salvatrice de la parole de Dieu. Isaïe est purifié par le charbon ardent et entend la parole de pardon (Isaïe 6,7). Saül le persécuteur devient Paul l'Evangélisateur lorsque l'eau baptismale lui ouvre les yeux sur le don surabondant de l'amour de Dieu. Simon peut avancer en eau profonde et y mesurer la puissance créatrice qui fait de lui un homme nouveau pour un destin nouveau: « Sois sans crainte, désormais ce sont des hommes que tu prendras » (Luc 5,10).

Ce qui est vrai de ces hommes choisis pour la mission, l'est aussi de tout baptisé. Chacun d'entre nous peut faire l'expérience de la fécondité pascale que le Christ est venu communiquer à ceux qui entendent sa voix et se mettent à sa suite. Chacun de nous a été tiré des eaux de la mort pour être ordonné à la vie. La fécondité apostolique n'est pas d'abord l'oeuvre de l'homme mais s'origine en la puissance de la parole de Dieu qui lui est confiée. A jamais vivante, victorieuse des forces de la mort, elle est à l'oeuvre dans l'Eglise qui, avec Pierre, reçoit la tâche messianique de rassembler les foules dispersées, de ramener les brebis perdues.  «Qui enverraî‑je ? Qui sera notre messager ? » demandait Dieu à Isaïe (6,8). Comme lui, comme Paul, comme Pierre, répondons avec confiance et espérance. Bien que pécheurs, le Christ nous donne par grâce le pouvoir de participer à son oeuvre de recréation d'une humanité nouvelle, celle des enfants de Dieu.


Dimanche 28 Janvier

 NOURRITURE ET GUERISON, SIGNES DE L’AMOUR EN ACTE

 «  Tous lui rendaient témoignage, et ils s’étonnaient du message de grâce qui sortait de sa bouche » (Luc 4,22.).

Après avoir relaté la première prédication de Jésus à Nazareth par laquelle celui-ci s’était approprié l’antique prophétie messianique d’Isaïe, l’Evangéliste Luc attire notre attention sur l’étonnante réaction des auditeurs. Commençant dans l’enthousiasme, elle passe rapidement à l’étonnement puis au doute avant de s’achever dans une tentative homicide qui échoue, commentaire vivant de la vocation de Jérémie entendue en première lecture : « Ils te combattront, mais ils ne pourront rien contre toi, car je suis avec toi pour te délivrer. Parole du Seigneur » (Jérémie 1,19). Tout se passe comme si le refus d’entendre le message, qui ne peut pourtant être récusé, laissait place au refus du messager. Comment cet homme, que l’on prétend connaître, pourrait-il à lui seul être le révélateur de la vérité de Dieu ? En fait ces hommes qui prétendent que Jésus est trop proche d’eux, sont eux-mêmes trop lointains de l’universalité du message biblique de salut attestée par toute  l’histoire de la Révélation depuis Abraham. En se référant à Elie et Elisée, en mettant en évidence deux signes du salut, dont l’un a trait à la nourriture et l’autre à la guérison, le Christ vient tout simplement rappeler que Dieu est nourriture et vie pour tous ceux qui écoutent sa Parole. Plus encore Il dévoile qu’Il est la parole nourricière, la parole qui rend la vie, libératrice de tout ce qui enferme l’homme sur lui-même et l’isole de Dieu et de ses frères. La mise en évidence du salut apporté aux païens éclaire le péché de ceux qui prétendent confisquer l’action divine à leur profit. L’envie-jalousie les habite, faisant d’eux des émules de Caïn, des frères de Joseph ou de Saül. Leur réaction meurtrière, s’enracine dans l’absence d’amour en eux. Leur drame est qu’ils se rendent ainsi incapables d’accueillir Celui qui est la source de l’amour.

                Comme le souligne l’Apôtre Paul dans l’hymne à la charité (1 Corinthiens 13,1-13), l’amour a pour effet de nous faire passer d’une connaissance superficielle, voire obscure, de Dieu, à une connaissance de plénitude. Seul l’amour peut unifier les contraires qui jusqu’alors s’opposent. Tout baptisé doit donc, dans l’Eglise, accueillir et donner cet amour sans lequel il n’est rien (1 Corinthiens 13,2). Transcendant l’opposition juifs-païens, l’amour unifie le corps tout entier qui tend vers sa tête, le Christ. C’est ainsi que nous naissons à notre vérité d’homme en découvrant la vérité de Dieu qui est pour tous.


Dimanche 21 Janvier

LA PAROLE ET L’ESPRIT AU SERVICE DE L’HOMME

 « L’Esprit du Seigneur est sur moi parce que le Seigneur m’a consacré par l’onction » (Luc 4,18).

Comme un écho au « signe » des Noces de Cana proposé dimanche dernier, la liturgie de ce jour nous fait entendre le premier grand discours du Christ à la synagogue du village de son enfance, Nazareth. De même qu’à Cana le Christ avait posé le signe de l’alliance nouvelle et éternelle en son sang, de même aujourd’hui, en ouvrant le Livre d’Isaïe, annonce-t-Il l’accomplissement de l’Ecriture et l’inauguration d’un monde nouveau, celui d’où le malheur et la mort seront bannis. En faisant sien l’oracle prophétique, Jésus, après avoir reçu l’onction de l’Esprit dans le Baptême de Jean et fait obstacle à Satan qui cherchait à l’opposer à son Père, vient révéler le dessein de bonheur auquel l’homme est appelé. Là où les hommes ne pensent qu’appropriation, pouvoir, domination, le Christ vient vivre la dépossession, le désir de communion à la volonté du Père qui est amour et don de soi. Aussi l’onction de l’Esprit est-elle ordonnée à la libération et à la guérison.

            Le Christ inaugure l’aujourd’hui du salut que la Parole et l’Esprit rendent contemporain des hommes de tous les temps et de tous les lieux. Prisonniers, aveugles, opprimés, sont autant de déclinaisons de la pauvreté. Ce qui était vrai au temps du Christ, l’est toujours aujourd’hui. Nos sagesses humaines contribuent à créer des sociétés profondément inégalitaires qui sécrètent l’exclusion sous des formes multiples. Mais Dieu ne supporte pas que nous prenions notre parti des déchets humains que nous fabriquons avec une inconscience mortelle. Comme le souligne l’Apôtre Paul : « Les parties du corps qui paraissent les plus délicates sont indispensables … Celles qui sont les moins décentes nous les traitons plus décemment » (1 Corinthiens 12,22-23). Aussi le Christ est-Il venu se mettre au rang des « moins décents ». Figure suprême de l’humilié, du captif, de l’opprimé, de l’aveugle, le Crucifié vient apporter aux pauvres la bonne nouvelle de la libération du malheur en s’attaquant à la racine du mal : le péché. En le surmontant dans le sacrifice de la Croix, Il appelle les pécheurs que nous sommes tous à la communion de l’amour. Aux formes de désintégration du corps unifié que nous devrions constituer, Il substitue, par le mouvement pascal, le retour vers la source de l’unité et de la communion. Par le baptême dans l’Unique Esprit nous sommes conduits à l’unité des enfants de Dieu à l’image de l’unité des trois personnes divines. Ainsi sera réalisée la prophétie de Zacharie (14,9) : « En ce jour là, Dieu sera unique et son Nom unique ».


Dimanche  14 Janvier

GLOIRE

 « Les nations verront ta justice, tous les rois de la terre verront ta gloire… Comme la jeune mariée est la joie de son mari, ainsi tu seras la joie de ton Dieu » (Isaïe 62,2-5).

Les images de noces abondent dans l’Ecriture. Des Prophètes au Cantique des cantiques jusqu’à l’Apocalypse, elles disent que ce qui concerne l’union de l’homme et de la femme est également révélateur de ce que Dieu vient vivre avec l’humanité, tout en maintenant l’absolue différence puisqu’Il est le Tout Autre. Il veut la combler de son bonheur, de sa joie, de sa vie. La grandeur du mariage humain réside dans ce désir de Dieu de le voir comme une icône de l’amour qu’il se porte en lui-même dans la trinité des personnes.

Aussi est-ce au cours de noces humaines que Jésus inaugure son ministère public par l’accomplissement du premier signe manifestant sa gloire et entraînant la foi des disciples. Parler de gloire, c’est déjà évoquer l’heure pascale, celle des noces du Christ sur la Croix par le don de sa vie, par le corps livré et le sang versé. Entre le vin qui vient à manquer aux noces de Cana et celui que Dieu servira Lui-même au banquet des noces de l’Agneau, s’écoule l’eau du côté ouvert du crucifié, associée au sang qui fonde la nouvelle alliance. Cana est symboliquement la coupe de la synthèse du mystère pascal. La mort est ici déjà  présente dans l’absence du vin, signe de tristesse, d’impuissance de l’homme à mener à bonne fin, par ses propres moyens, le dessein divin de bonheur qui est dessein  d’unité. Elle est aussi présente dans ces jarres de purifications sans cesse renouvelées et jamais achevées. Aussi cette eau doit-elle devenir vin et ce vin, sang. Ainsi le sang conservera-t-il la mémoire d’être eau et vin, eau du renouvellement, de la nouvelle naissance dans l’Esprit, vin de la joie inépuisable de Dieu qui seul est bon. A Cana, Dieu vient signifier en son Fils que ses noces avec l’humanité sont vie, joie, amour. Marie, par sa tranquille et discrète insistance, y joue pleinement le rôle de la nouvelle Eve que Dieu a voulu pour elle. En invitant son Fils à accomplir le signe de gloire, elle est plus que jamais notre mère qui connaît nos détresses. En ouvrant au Christ la route de l’accomplissement pascal, elle nous donne le précieux conseil pour être les heureux invités aux noces de l’agneau : « Faites tout ce qu’Il vous dira » (Jean 2,5).


Dimanche 7 Janvier

LUMIERE DES NATIONS

 « Les nations marcheront vers ta lumière, et les rois, vers la clarté de ton aurore » (Isaïe 60,3).

 Heureux choix que celui de cette prophétie d'Isaïe pour ouvrir la solennité de l'Epiphanie. Celle‑ci est en effet une saisissante synthèse de l'histoire du salut à travers la Révélation biblique. Elle est la manifestation lumineuse du dessein d'amour de Dieu pour notre humanité appelée à connaître le bonheur d'une vie de sainteté. C'est cette route de l'humanité que les chrétiens ont à parcourir dans la foi, l'espérance et la charité pour que se lève la clarté finale, l'aurore des temps nouveaux, lorsque Dieu viendra récapituler toute chose en son Fils. Nous continuons dans une certaine mesure la marche d'Israël au retour de l'Exil. Ce n'était pas à une alliance restaurée mais bien à une alliance nouvelle qu'était convié le peuple élu, alliance où Dieu se révélait comme le Sauveur de tous, juifs et païens. 

Les Mages de l'Evangile sont comme l'avant‑garde de cette humanité en marche vers sa lumière. Etrangers par la géographie, la race, la culture, la religion, ces hommes s'ouvrent à l'Epiphanie de Dieu qui est aussi Epiphanie de l'homme. Leurs trois présents l'or, l'encens, la myrrhe ‑ sont l'expression de leur découverte bouleversante dans l'enfant de Bethléem de « Celui qui est, qui était et qui vient », maître des temps et de l'histoire, Dieu au ‑dessus de tous les dieux, premier‑né d'entre les morts. Ils transcendent ainsi la foi d'Israël. Alors qu'Hérode et tout Jérusalem demeurent immobiles, bien que dépositaires du secret de l'alliance, les Mages, eux, mènent leur quête de vérité à son terme et peuvent alors « regagner leurs pays par un autre chemin » (Matthieu 2,12). Ainsi sont‑ils les premiers messagers de la Bonne Nouvelle qu'après la Pentecôte les apôtres auront à porter aux hommes de « toutes les nations qui sont sous le ciel » (Actes 2,8). 

Ainsi l'Epiphanie, à travers le dialogue silencieux de l'enfant et des Mages, est‑elle une révélation du « mystère qui était caché depuis toujours, mais qui maintenant a été manifesté aux membres de son peuple saint » (Colossiens 1,26). Ce qui vient d'apparaître en notre humanité est l'homme nouveau que Dieu espère depuis les origines. Tous les hommes ‑juif s et païens ‑ doivent converger vers lui pour que l'humanité tout entière puisse prendre un autre chemin, abandonnant celui où le péché l'a fourvoyée. Aussi juifs et païens ont‑ils besoin les uns des autres pour advenir à l'héritage promis à Abraham. : « En toi seront bénies toutes les familles de la terre » (Genèse 12,3). Que cette Epiphanie nous aide à mieux percevoir l'appel que Dieu nous adresse pour former l'humanité une, réconciliée dans le Fils Unique


                                                         ANNEE 2006

Dimanche 31 Décembre

LA FAMILLE, LIEU DE VIE PASCALE

            Instituée par le Pape Benoît XV au lendemain de la grande guerre qui avait décimé l’Europe, la fête de la Sainte Famille est, dans la lumière de la Nativité, l’occasion de souligner l’importance de la cellule familiale au cœur du dessein divin de salut. Réalité humaine fondamentale, la famille n’est pas exempte de blessures profondes liées notamment aux dérives des mœurs dans une société de plus en plus permissive. Puisse le nouveau millénaire redonner le sens de l’espérance à toutes les familles afin qu’elles soient le lieu où tout être humain fait l’apprentissage de l’amour et de la communion des personnes.

            La vieille histoire des premiers temps de la Révélation rapportée au premier Livre de Samuel montre combien ce qui se passe dans une famille peut être image de ce que Dieu vient vivre dans l’Alliance. Parce qu’Il est Amour, Dieu est don de soi. Ce don appelle à son tour le don de celui qui reçoit. Anne, la femme stérile à qui Dieu fait grâce en lui donnant ce fils, Samuel « Dieu exauce », l’a compris. Cette logique du don, profondément vécue au sein de la Sainte Famille, éclaire ce que nos familles humaines ont à vivre à leur tour.

            Les Evangiles de l’Enfance manifestent d’abondance à quel point la Sainte Famille a été, non pas tant un lieu de calme et de repos comme certaines descriptions édifiantes voudraient le faire croire, mais bien le lieu où déjà se dessine l’itinéraire pascal ainsi que l’avait prophétisé le vieillard Syméon. La rupture symbolique de Jésus-adolescent avec ses parents, l’incompréhension de ces derniers, la quête des trois jours, la mention même de la fête de la Pâque, tout est disposé par l’Evangéliste pour nous préparer à celle, radicale, que le Christ accomplit sur la Croix. Déjà Joseph et Marie ont à vivre cette dépossession qui trouve son apogée dans le « Stabat Mater » de la Vierge Marie. Venu du Père, Jésus doit retourner au Père, mais par un chemin douloureux qui lui permet d’arracher l’homme à son malheur et à la mort.

            En nommant Dieu son Père, en se présentant en maître de la Parole et de l’Enseignement au cœur du Temple, Jésus nous dit qui est notre ultime référence, au-delà de toute possession, de tout lien, fut-il le plus légitime : conjugal, paternel, maternel ou filial. En vivant ces liens d’une manière nouvelle, celle qu’apporte la libération de la Pâque, nos familles s’ouvrent à un amour universel, à l’image de celui que Dieu nous porte. Elles deviennent ainsi des lieux de sanctification, de communion, sur la route du Royaume. « Celui qui est fidèle aux commandements de Dieu, demeure en Dieu et Dieu en lui » (1 Jean 3,24).


Dimanche 24 décembre

DIEU TOUT PROCHE 

            « En ces jours-là, Marie, se mit en route rapidement vers une ville de la montagne de Judée » (Luc 1,39). Arrivés au terme de notre marche d’Avent, les conjonctions calendaires nous font accélérer le pas. De même que Aïn-Karem, la ville de la Visitation, est proche de Bethléem, ville de la Nativité, de même la concentration du temps liturgique fait de cette dernière étape le porche d’entrée du mystère qui clôt la longue attente d’Israël : la venue du Messie. Tout converge en ces dernières heures vers ce moment où la lumière de Dieu vient prendre corps dans les ténèbres des hommes. Ce qui remonte, dit le Prophète, « aux temps anciens, à l’aube des siècles » s’achève en ce jour « où enfantera celle qui doit enfanter » (Michée 5,1-2). Le Tout-Autre, l’Unique incréé se révèle dans l’unique fils de Marie, réceptacle de toutes les promesses de Dieu faites « à nos pères en faveur d’Abraham et de sa race à jamais » (Luc 1,55). Le Fils du Très-Haut se fait Dieu tout proche, Jésus-Emmanuel, Dieu sauveur pour toujours avec nous.

            L’enjeu de cette formidable aventure qui se dévoile n’est autre que nous-mêmes. En découvrant l’Enfant de la Crèche, il nous faudra reconnaître notre incapacité à lui offrir quoique ce soit. Nos mains seront plus vides que celles des bergers venus avec leur pauvreté. C’est en effet Dieu qui s’offre à nous : « Tu n’as pas voulu de sacrifices, ni d’offrandes… tu n’as pas accepté les holocaustes ni les expiations pour le péché » (Hébreux 10,5-6). Pas d’autres offrandes pour Dieu que notre être propre : « … Tu m’as fait un corps … alors j’ai dit "voici, je viens" (id). En plaçant ces versets dans la bouche du Christ, l’auteur de la lettre aux Hébreux souligne que la volonté de Dieu est notre vie. C’est elle que le Fils vient accomplir.

            Dans le préliminaire qu’est la Visitation nous recevons les signes que notre humanité, rendue stérile par le péché, est pourtant assurée de connaître le jour de Dieu, celui de notre naissance à une humanité renouvelée par la venue du Fils de Dieu. Eve n’avait pas cru que Dieu voulait faire l’homme comme Lui. Marie croit que Dieu, en elle, se fait « comme l’homme ». Elle est ainsi Mère des vivants, de ceux qui croient que l’œuvre de Dieu s’accomplit dans Celui que le Père a envoyé. Aussi est-elle Bienheureuse, unique entre toutes les femmes. Que sa foi illumine ces heures où nous allons passer de la « source dans le vignoble » à « la maison du pain ». Ce pain et ce vin devenus corps et sang du Christ, Lui qui déclare : « Me voici, je suis venu pour faire ta volonté » (Hébreux 10,9).


Dimanche 17 Décembre

« QUE DEVONS-NOUS FAIRE ? »
(Luc 3,10)

                La troisième étape de l’Avent nous conduit à faire nôtre l’interrogation des foules venues auprès de Jean-Baptiste, interrogation liée à l’attente diffuse, non encore clairement définie, d’un changement profond dans le cours des existences personnelles et collectives. Ce désir demeure toujours au cœur des hommes en raison de leur insatisfaction devant l’état de la condition humaine. Les engagements politiques, sociaux, les combats pour la justice et la liberté, en sont une expression significative mais insuffisante. Ils ne provoquent pas en effet, le changement attendu. C’est en ce point que se tient le Baptiste, figure de la nouveauté qui vient.

                A l’interrogation posée, Jean répond de deux manières successives. Dans un premier temps, il ne propose rien de spectaculaire, mais seulement la réponse du Décalogue. Chacun est invité à demeurer à sa place mais à y rechercher la justice, à abandonner toutes les formes de domination qu’il pourrait exercer. Cette mise en œuvre concrète de la loi est une étape nécessaire. Jésus le soulignera bien souvent à son tour. Dans un second temps, Jean-Baptiste annonce la venue de Celui qui est « plus puissant que lui » (Luc 3,16). En effet la loi, même accomplie, ne peut donner la capacité d’entrer dans ce qui, seul, est susceptible de transformer l’homme : l’amour de Dieu. C’est le baptême d’Esprit et de feu qui doit désormais présider à cette nouveauté. Tel un feu qui brûle toutes les scories de nos infidélités, l’Esprit Saint, Esprit de communion du Père et du Fils, peut venir à bout de nos résistances, de notre péché et nous donner la joie de connaître notre véritable identité, celle de fils aimés du Père.

                Cette joie n’est pourtant pas évidente. Elle est même difficile à trouver car elle est à la mesure de la qualité de notre foi. Si les chrétiens ne rayonnent pas cette joie, c’est que leur foi est sans doute bien faible. N’oublions-nous pas que, selon la parole du Seigneur, si nous avions la foi grosse comme un grain de sénevé, elle serait capable de réaliser l’impossible à vue humaine (Luc 17,6). Ce qu’il nous faut croire, ce qui est source de joie, c’est que Dieu s’est fait proche. Notre vie est à Lui parce que sa vie a pris corps dans notre humanité. L’Esprit et le feu de l’amour divin nous assurent que la Bonne Nouvelle est à l’œuvre, œuvre pascale de rénovation de notre humanité. « Que devons-nous faire ? » Rien d’autre que de nous laisser saisir par cette Bonne Nouvelle. Comme l’avait annoncé Sophonie : « Le Seigneur ton Dieu est en toi… il te renouvellera par son amour » (3,17).


Dimanche 10 décembre         - Lc 3, 1-6

 Homélie de Mgr André Vingt-Trois,  selon le  missel de Paul VI

Frères et Sœurs, l’Évangile que nous venons d’entendre nous invite à préparer la célébration de la Nativité, de l’Incarnation de Jésus, à la lumière du commencement de sa vie et de son ministère public. La prédication de Jean-Baptiste qui est évoquée ici, est présentée en effet dans l’évangile selon saint Luc comme l’introduction à la vie et au ministère de Jésus adulte.

Voilà qui nous aide à comprendre que, dans la célébration de la Nativité, ce qui est proposé à notre méditation, à notre prière, ce n’est pas simplement de faire mémoire de la naissance de Jésus à Bethléem comme d’un événement qui porterait en lui-même tout le sens qu’il doit nous révéler. La venue du Fils de Dieu dans notre chair, sa nativité à Bethléem, sa vie cachée à Nazareth, tous ces événements sont comme une introduction, une manière de nous préparer à comprendre la prédication qu’il va adresser au peuple juif et, à travers lui, à l’humanité tout entière. La prédication de Jean-Baptiste dans le désert nous introduit à accueillir, non pas simplement la nuit de la Nativité, mais à travers la nuit de la Nativité, toute l’activité du Christ Sauveur venu à la rencontre de son peuple et, à travers ce peuple, à la rencontre de l’humanité tout entière.

Les prophètes qui ont été évoqués au cours de ces lectures nous invitent à percevoir deux dynamismes un peu différents. Les descriptions faites par eux du retour du peuple à Jérusalem nous font comprendre que ce retour est une œuvre de Dieu. C’est Dieu lui-même qui va tracer les chemins : « Dieu les ramène, portés en triomphe… Il a décidé que les montagnes et les collines seraient abaissées, que les vallées seraient comblées ». C’est le décret, la volonté de Dieu, qui ramène le peuple sur sa terre, c’est Lui qui trace son chemin dans le désert, c’est Lui qui le ramène à Jérusalem. La citation du prophète Isaïe que nous avons entendue citée dans la lecture de l’évangile selon saint Luc, nous redit la même chose : il s’agit de préparer le chemin du Seigneur à travers le désert, d’aplanir sa route. « Le ravin sera comblé, la montagne et la colline seront abaissées. »

Mais nous voyons ici s’introduire un deuxième dynamisme. Il ne s’agit plus simplement que Dieu lui-même trace la route du retour pour son peuple et en aplanisse les difficultés. Il s’agit maintenant de préparer un chemin au Seigneur. Ce n’est plus simplement le retour du peuple à Jérusalem, mais c’est la venue du Seigneur au milieu de son peuple. « Tout ravin sera comblé, toute montagne et toute colline seront abaissées, les passages tortueux deviendront droits, les routes déformées seront aplanies ».

Quand nous passons de l’évocation du chemin par lequel le peuple va revenir à Jérusalem à l’évocation du chemin par lequel le Seigneur va venir au milieu de son peuple, nous comprenons que le travail d’aplanissement, de correction, de préparation de ce chemin, n’incombe pas seulement à Dieu. C’est la volonté de Dieu qui ramène son peuple à Jérusalem tout comme c’est la volonté de Dieu qui envoie son Fils dans l’humanité, mais dans un cas comme dans l’autre, le travail de terrassement, le travail de correction, le travail de rectification qui va permettre et le retour du peuple à Jérusalem et la venue du Seigneur au milieu de son peuple, ce travail s’accomplit par des œuvres humaines qui mettent en pratique, qui mettent en œuvre, la volonté de Dieu.

Ces œuvres humaines sont le contenu de la prédication de Jean-Baptiste : « Il proclamait un baptême de conversion pour le pardon des péchés ». Si nous voulons que le chemin du Seigneur soit tracé au milieu de l’humanité, si nous voulons que le chemin du Seigneur soit tracé dans nos propres vies et dans nos cœurs, Jean-Baptiste nous appelle à entrer dans un travail de conversion. Il prêche le baptême de conversion pour le pardon des péchés. Le travail de conversion va préparer le chemin du cœur. Les péchés sont, dans notre vie, les obstacles à la venue du Seigneur. Ce sont les ravins qui se creusent à mesure que nous nous éloignons de Dieu, ce sont les montagnes et les collines qui s’élèvent pour faire écran entre la Parole de Dieu et notre liberté, ce sont les routes déformées, les passages tortueux, bref tout ce qui dans notre vie fait obstacle à l’avènement du Christ.

Le temps de l’Avent, c’est le moment de faire place nette, de raboter des aspérités, de combler des abîmes, d’aplanir le chemin du Seigneur. Ce travail de conversion n’a pas seulement pour but de nous rendre meilleur ou de nous disposer mieux à recevoir le Christ. Il a pour but de contribuer à l’accomplissement de sa mission telle que Jean-Baptiste l’annonce : « Tout homme verra le salut de Dieu ». Pour que la mission du Christ s’accomplisse, pour que sa nativité porte son fruit, pour que sa mission atteigne ses objectifs, il faut que nous entrions dans ce travail de conversion, il faut que nous recevions le pardon de nos péchés, il faut que nous prenions en mains la conversion de notre vie, il faut que nous soyons capables d’identifier ce qui en nous fait obstacle à l’avènement du Christ, et que nous soyons capables de le corriger.

Prions le Seigneur : qu’en entendant la prédication de Jean-Baptiste nous connaissions un sursaut dans notre désir d’accueillir le Christ ; que, vraiment, nous préparions le chemin du Seigneur dans notre vie ; que, vraiment, nous vivions le baptême de conversion et le pardon des péchés ; que, vraiment, grâce à la vie nouvelle qu’il développe en nous, le Christ puisse manifester à tout homme le salut de Dieu.

Amen.


   LA VOIX QUI DESIGNE LA VOIE

« La parole de Dieu fut adressée dans le désert à Jean, fils de Zacharie » (Luc 3,2).

                Si les images apocalyptiques des lectures du premier Dimanche de l’Avent nous signifiaient l’ambivalence des temps que nous vivons, à la fois temps de crise et temps de salut, celles proposées aujourd’hui, liées à l’expérience concrète d’Israël, nous invitent à découvrir comment Dieu vient nous associer à la réalisation de la promesse de bonheur par sa Parole que Jean-Baptiste est chargé de transmettre à la manière des prophètes de la première alliance. Figure centrale de notre marche d’Avent, il nous rappelle que ce n’est pas la gloire humaine qui importe. Celle-ci est passagère comme sont éphémères ceux qui s’en paraient : empereur, procurateur, princes ou grands prêtres. Seul importe le choix de Dieu. Aussi la voix de Jean continue-t-elle à retentir alors que les autres se sont tues à jamais. Il est la voix qui désigne la voie.

                Si le thème de la route court, tel un leit-motiv, tout au long des lectures de ce Dimanche, c’est que la foi est essentiellement mouvement. Elle n’est pas d’abord installation dans des vérités rassurantes mais recherche inlassable d’une vérité qui nous échappe au moment même où nous croyons la saisir. La détenir, la posséder, serait nous faire maîtres de notre origine et de notre fin. La suivre, c’est être assuré d’être conduit à notre vérité d’enfants de Dieu. Mais si nous pouvons nous mettre en route  à sa suite, c’est qu’elle est déjà venue à nous. C’est parce que Dieu a le premier visité son peuple, que nous pouvons à notre tour poursuivre la route. Dieu, traversant notre humanité, en dévoile les obstacles.

                Sentiers tortueux, ravins abyssaux, montagnes élevées, sont, au-delà du contexte historique et politique du retour d’Exil, les obstacles dressés par le péché sur la route que Dieu nous trace pour être avec Lui. Or Dieu « a décidé » leur nivellement « afin qu’Israël chemine en sécurité dans la gloire de Dieu » (Baruc 5,7). L’itinéraire géopolitique est l’image de l’itinéraire spirituel qu’il nous faut parcourir. La voix qui désigne la voie nous en indique le moteur : « le baptême de conversion pour le pardon des péchés » (Luc 3,4). Notre marche d’Avent, symbolique de l’existence chrétienne, nous invite à accomplir ce déplacement. La mise en route vers notre avenir passe par la conversion, par une sortie de soi, par un dépouillement. La voie qui conduit à Noël est déjà voie pascale. Une naissance nouvelle est en germe, celle qu’accomplit la Parole Unique qui vient toujours en notre monde pour que « tout homme voit le salut de Dieu » (Luc 3,6).


Dimanche 3 décembre

CRISE ET SALUT

« Les hommes mourront de peur dans la crainte des malheurs arrivant sur le monde, car les puissances des cieux seront ébranlées » (Luc 21,26).

                      Le choix du discours apocalyptique du Christ pour l’ouverture du temps d’Avent situe avec force ce que doit être la spiritualité de cette marche vers Noël. L’avènement de la Parole incréée au cœur de l’humanité constitue en effet, le surgissement d’une nouveauté impensable pour la raison humaine. La venue du Fils de Dieu en ce monde de souffrances, de ténèbres, de péché, provoque une crise dont l’ébranlement retentit de siècle en siècle. Telle une épée à deux tranchants, le Verbe de Dieu juge les intentions et les pensées des cœurs (Hébreux 4,12 et sq). C’est le dévoilement du combat de la lumière et des ténèbres, de la vérité et du mensonge, de l’amour et de la haine, de la vie et de la mort. Perfection de la communion humano-divine, le Christ vient reformer l’unité perdue entre Dieu et l’homme, entre l’homme et la création qui « a gardé l’espérance d’être, elle aussi, libérée de l’esclavage… Pour connaître la liberté, la gloire des enfants de Dieu » (Romains 8,12 et sq).

            C’est donc le mystère pascal que le Christ évoque en termes d’apocalypse. La Croix est la récapitulation de toute l’histoire douloureuse de l’humanité. La Résurrection en est le dénouement, véritable accomplissement de la promesse de bonheur annoncée par le Prophète (Jérémie 33,14). Ainsi la Pâque est-elle au cœur du dessein divin de salut et vient-elle donner sens à l’impressionnante trajectoire du Christ qui apparaît à l’Annonciation et dans sa Nativité. Méditer les signes apocalyptiques décrits par le Seigneur, ce n’est pas attendre des événements fantastiques, mais découvrir comment le Christ vivant, ressuscité, se fait présent dans nos vies quotidiennes si souvent aux prises avec le doute, l’inquiétude, l’angoisse.

            Nous préparer à célébrer la naissance du Sauveur, c’est fêter notre avenir, celui d’une humanité encore blessée par le péché mais appelée à resplendir de « la gloire du Fils Unique, plein de grâce et de vérité » (Jean 1,14). Ce qui est évoqué de manière étonnante par les images d’apocalypse utilisées par le Christ est le rappel que si la folie des hommes menace dramatiquement le cours de notre création, Dieu, Lui, vient avec patience et douceur tisser les liens d’amour qui feront l’humanité nouvelle. « Veiller » c’est manifester notre attention à cette œuvre d’amour. « Prier », c’est s’en remettre à Dieu qui nous aime et veut que nous puissions « paraître debout devant le Fils de l’Homme » (Luc 21,36).


Dimanche 28 novembre

UNE ROYAUTE POUR L’HOMME

« Et il lui fut donné domination, gloire et royauté » (Daniel 17,14).

                C’est au cœur du mystère du Christ que la liturgie du dernier dimanche de l’année liturgique nous conduit par la fête du Christ-Roi. Au-delà de toutes les images trop humaines connotées par les réalisations politiques des royautés terrestres, nous sommes invités à faire nôtre le grand cri d’espérance de la Bible : « Allez dire aux nations : "Le Seigneur est Roi" » (Psaume 95,10). Il exprime en effet l’espérance d’un pouvoir libérateur venant mettre un terme à tout ce qui opprime l’homme. A l’inverse des pouvoirs humains toujours soumis au péché des hommes, le véritable pouvoir royal, celui de Dieu, est une puissance d’amour qui veut être partagée, communiquée à l’homme. Image et ressemblance du Créateur, il est appelé à exercer ce pouvoir royal sur toute la Création, comme l’exprime la prophétie de Daniel au travers de la vision du Fils de l’homme.

                C’est ce pouvoir que le Christ revendique et qu’Il ne cesse de mettre en œuvre tout au long de sa vie au travers des miracles qui jalonnent sa montée vers le lieu où cette Royauté est révélée au cœur de la plus violente opposition, de l’incompréhension la plus totale, qui aboutissent à la mort sur la Croix. Arbre de mort, elle est en vérité le trône de gloire où le Christ révèle sa souveraineté universelle. Celle-ci ne réside pas dans la domination des hommes, mais dans la domination de ce qui, dans le cœur des hommes, les dresse les uns contre les autres et plus encore contre Dieu. Dans la défaite apparente de la Croix, le Christ réalise l’inespéré : la victoire sur le péché de l’homme, sur le mensonge, sur l’envie-jalousie, qui ont conduit au meurtre du Fils de Dieu.

                Associant la figure du crucifié et celle du Fils de l’homme de la fin des temps, l’auteur de l’Apocalypse nous fait contempler la vérité du Christ : à la fois vérité d’un Dieu qui aime jusqu’à donner sa vie pour les hommes pécheurs, et vérité d’un homme qui peut désormais vivre des « dispositions que l’on doit avoir dans le Christ Jésus » (Philippiens 2,5). Par son acte pascal, la Parole faite chair devient nourriture de la vie éternelle. Désormais intérieure à l’humanité, elle inscrit en celle-ci la vérité qui fait vivre. « Chemin, Vérité, Vie » (Jean 14,6), le Christ exerce une royauté de justice, d’amour et de paix qui désaliène la liberté de l’homme. Celui-ci peut, par l’Esprit de vérité, œuvrer à l’avènement du règne de Dieu, car le pouvoir royal est confié à l’Eglise des Apôtres. Ainsi que l’écrit saint Paul : « Si nous avons quelque pouvoir, c’est pour la vérité » (2 Corinthiens 13,8).


Dimanche 19Novembre

DU TEMPS DE DÉTRESSE AU TEMPS DU SALUT

« Ce sera un temps de détresse comme il n’y en a jamais eu depuis que les nations existent. Mais en ce temps là viendra le salut de ton peuple … » (Daniel 12,1).

            Les auteurs bibliques ne cessent de s’interroger sur ce qui demeure une cause d’étonnement. Comment ce monde plein de fureur, de cruauté, d’injustice, n’est-il pas encore retourné au chaos ? L’homme pécheur, fauteur de troubles, aurait dû conduire cet univers à sa perte. Par sa folie, il se fait en effet l’adversaire du dessein créateur, l’allié objectif de Satan qui n’a de cesse que de voir l’œuvre divine revenir au néant originel. Au travers du langage imagé des apocalypses, genre littéraire fort en vogue au premier siècle avant le Christ, les auteurs bibliques nous livrent, non une vision historicisante d’événements à venir, mais une lecture théologique de l’histoire humaine.

            Notre monde est le lieu d’une tragédie humaine et d’une dramatique divine qui culminent dans la violence faite à la Parole créatrice, réduite au silence dans la mort du Fils de Dieu. Mais ce moment de la plus grande détresse est aussi le temps du salut. La Pâque du Christ est à la fois disparition du monde ancien et surgissement du monde nouveau. Celui-ci, nous dit le Christ, est comparable à l’avancée discrète et tenace de la vie qui apparaît dans la floraison printanière annonciatrice de l’été (Marc 13,28). A la racine de l’univers et de l’humanité, Dieu demeure présent comme puissance créatrice. Il est la source permanente qui, malgré les effets désastreux du péché, ne cesse de diffuser la sève de vie. Même si la terrible détresse se réalise dans la mort du Christ, même si nos morts bornent nos existences ici-bas, rien de tout cela ne peut avoir le dernier mot. Si le Fils de Dieu nous rejoint dans ce chaos, c’est pour y être pleinement Dieu-avec-nous, source de vie éternelle.

            Par sa mort et sa Résurrection, le Christ a modifié radicalement le cours des choses : « Il a mené pour toujours à leur perfection ceux qui reçoivent de lui la sainteté » (Hébreux 10,14). L’auteur de la lettre précise aussi que le Christ « attend désormais que ses ennemis soient mis sous ses pieds » (v.13). Il y a donc bien un avenir, l’achèvement de notre création lié à la victoire de Dieu sur le mal qui nous désintègre. Chacune de nos histoires personnelles, toute l’histoire de l’humanité, connaîtront ce passage des ténèbres à la lumière, de l’hiver à l’été, de la mort à la vie. « Que la comparaison du figuier nous instruise » (Marc 13,28).


Dimanche 12 novembre

OU LE MOINS EST LE PLUS

« Beaucoup de gens riches mettaient (dans le tronc) de grosses sommes. Une pauvre veuve s’avança et déposa deux piécettes » (Marc 12,41).

Assis dans le Temple, le Christ, tel un juge, discerne par son regard les intentions des divers protagonistes au travers de leurs comportements. Ainsi après avoir stigmatisé l’attitude des scribes qui  « dévorent les biens des veuves et affectent de prier longuement » (Marc 12,40), Il met en lumière le comportement hypocrite des gens riches qui prétendent « acheter » Dieu par de grosses sommes déposées au Trésor du Temple, alors qu’elles ne sont qu’un « superflu » sans conséquence pour les donateurs. En revanche le Seigneur met en valeur la vérité de l’offrande de la veuve qui, avec deux piécettes, « a mis plus que tout le monde » (id.v.42). Son regard va au fond des êtres non pour juger et condamner mais pour que nous ne nous masquions pas la réalité sous l’apparence.

            Si le moins est le plus, c’est que ce qui est donné est la vie même. La veuve de l’Évangile, comme celle de Sarepta bien des siècles auparavant, a pris le risque de perdre la vie. La générosité de ces deux femmes les a placées au bord de la mort. Si l’épisode de l’Ancien Testament s’achève heureusement, rien ne nous est dit de l’avenir de la veuve de l’Évangile. En ayant donné « tout ce qu’elle avait pour vivre » (id.v.44), elle est annonciatrice de la Pâque du Christ, qui seule, peut apporter la réponse véritable, celle que Jésus a souvent laissé entrevoir : « celui qui perdra sa vie pour moi et pour l’Évangile la sauvera » (Marc 8,35). Les deux piécettes de la veuve du Temple, ou le petit pain de la veuve de Sarepta ont valeur de  « tout ». Dans cet abandon total qui ouvre la mort, Dieu peut intervenir. En manifestant une confiance absolue, l’une envers la parole du Prophète, l’autre envers Celui qui fait résider sa présence au Temple, les deux veuves sont filles d’Abraham, lui qui a cru que « Dieu donne la vie aux morts et appelle à l’existence ce qui n’existait pas » (Romains 4,17).

            Les deux femmes sont des paraboles en acte de l’offrande que le Christ est venu faire une fois pour toutes de sa vie dans le corps livré et le sang versé. Par ce don total, « tout est accompli » (Jean 19,30). Par ce sacrifice offert à Dieu et aux hommes, le moins devient le plus, le néant passe à l’être, la mort fait place à la vie. C’est cette logique pascale qu’il nous faut aussi mettre en œuvre. Nous ayant donné son Fils, le Père nous a tout donné, attendant que nous nous donnions nous-mêmes à travers le service de nos frères les plus pauvres.


Dimanche 5 novembre

AIMER DIEU, LE PROCHAIN, SOI-MÊME

« Ecoute, Israël: le Seigneur notre Dieu est l'Unique » (Deutéronome 6,4).

Ces mots, qui ouvrent la confession de foi d'Israël en son Seigneur, l'Unique, ont profondément bouleversé le paysage religieux de l'humanité.. Ils sont la reconnaissance d'une parole qui, créant la relation et faisant être, suppose dans la réponse un engagement total de celui qui écoute. En confessant le caractère unique de son Seigneur, la tradition judéo-chrétienne affirme avec force qu'il ne saurait y avoir aucun être susceptible d'être au-dessus de nous autre que celui qui invite à l'écoute. Il est à la fois notre origine, puisqu'Il est avant nous, et notre fin, puisque sa parole vient nous libérer de toute forme d'oppression et nous achever en Lui. L'Unique du monothéisme biblique est le libérateur de l'homme, libération qui prend toute sa force dans l'acte rédempteur de l'Unique Seigneur, le Christ, venu rassembler dans l'unité tout ce qui est au ciel et sur la terre (Ephésiens 1,10).

Parce que Dieu est l'Unique, l'amour que nous lui portons l'est également. Il nous engage totalement: âme, corps, intelligence. Toutes les facultés qui nous constituent sont rassemblées dans le mouvement qui nous porte vers Lui. C'est dans cet amour que nous trouvons la source de notre unité personnelle. Il en est de même, déclare Jésus, du second commandement qui concerne le prochain. Comme le souligne saint Jean. « Celui qui n'aime pas son frère qu'il voit, est incapable d'aimer Dieu qu'il ne voit pas ... Celui qui aime Dieu, qu'il aime aussi son frère » (1 Jean 4,20). Aimer Dieu, c'est être à son image et à sa ressemblance; c'est donc, dans notre humanité, donner à autrui la possibilité d'accéder à la source de l'amour, de la liberté, qui lui permettra à son tour de construire son unité personnelle.

Quant à l'amour de soi selon le Christ, loin d'être complaisance égocentrique, il est la découverte qu'étant sujets de la dilection divine et de l'amour d'autrui, il nous est possible d'entrer dans la grande circulation de l'amour qui crée l'humanité nouvelle, une à l'image de son Unique. C'est pourquoi le commandement se transmue en amour qui « vaut mieux que toutes les offrandes et tous les sacrifices » (Marc 12,33). Ce que le Christ accomplit dans le sacrifice eucharistique nous est proposé comme loi de notre existence. Le don que le Christ fait de Lui-même aux hommes et au Père devient la loi nouvelle que l'Eglise est appelée à vivre à travers chacun de ses membres. En y répondant, nous entendons le Christ nous dire: « Tu n'es pas loin du royaume de Dieu » (Marc 12,34).


1 er Novembre : Fête de la Toussaint

BEATITUDE DU ROYAUME OU LA SAINTETE MUR TOUS

« Heureux les pauvres de coeur : le Royaume des cieux est à eux L ..Heureux les cœurs purs ils verront Dieu ! »
 (Mathieu 5, 1-8).

Qui, mieux que le Christ, pourrait révéler la volonté de bonheur du Père à l'égard des hommes ? les neuf béatitudes sont le fidèle reflet de ce qu’Il est venu accomplir en son Incarnation rédemptrice, chemin de sainteté emprunté à sa suite par tant d'hommes et de femmes désireux de « voir Dieu », de connaître le regard de l'amour qui découvre aux hommes leur condition filiale. Déjà donnée, celle-ci n'est pourtant pas encore perçue clairement comme le souligne saint Jean: « Ce que nous serons ne paraît pas encore clairement... lorsque le Fils de Dieu paraîtra, nous serons semblables à lui parce que nous le verrons tel qu'il est » (1 Jean 3,2). Mais désormais la route est tracée.

Être enfant de Dieu, c'est ressembler au Christ. Aussi les Béatitudes sont-elles la voie privilégiée pour que se réalise notre espérance. Si la pauvreté de coeur est énoncée la première, c'est qu'elle est le rappel que rien ne peut s'accomplir sans la dépossession de soi qui est au coeur du mystère trinitaire. Dieu est don de soi et ce don est source de bonheur et de plénitude d'être. Mais pourquoi les pleurs, la faim et la soif de justice, la persécution, les insultes, si ce n'est en raison du péché des hommes qui a engendré un monde de conflits et de malheurs ?

C'est cet univers où la mort est présente que le Christ est venu contester. Dépossession de soi, soif de justice,. artisan de paix, sont -les manières concrètes qui viennent combattre les attitudes de violence, de domination, dont nous sommes coutumiers. Elles sont l'inscription du pardon et de l'amour dans les moeurs qui défigurent l'image de Dieu que l'homme est en son origine. Aussi dans son identification au Christ des Béatitudes, le disciple dit au monde l'espérance que s'accomplisse dans l'histoire des hommes l'oeuvre pascale réalisée par son Seigneur.

En faisant clairement allusion au sacrifice du Christ et à l'épreuve de la persécution, l'auteur de l'Apocalypse (7,4) se fait l'écho de la neuvième béatitude. C'est en effet la condition du peuple des sanctifiés que de vivre la contestation, le mépris, voire le rejet que le Christ a voulu connaître. Tout baptisé l'est dans « le sang de l'Agneau ». Fêter la Toussaint c'est donc célébrer l'espérance pascale de connaître avec toute l'humanité la victoire du Christ sur le malheur et la mort. Les Béatitudes sont jusqu'à la fin des temps la voie difficile mais féconde qui nous conforme à l'Unique Saint de Dieu, le Christ, qui veut communiquer à tous la sainteté de Dieu, le Père, Fils et Esprit.


 Dimanche 22 octobre

MARCHER VERS LA LUMIERE

 «Seigneur, sauve ton peuple, le reste d’Israël » (Jérémie 31,7).

               Au cri de détresse de son peuple exilé, Dieu répond par l’annonce d’une marche libératrice vers la lumière et la vie. L’histoire d’Israël est ici encore symbolique de celle de l’humanité. Aveugle, boiteux, femme enceinte, jeune accouchée, sont autant d’handicaps à cette marche. Pourtant tous pourront entreprendre le retour d’Exil, car Dieu Lui-même, comme au temps de l’Exode, vient en ouvrir le chemin. Route des « eaux courantes », symboles de vie, route du rassemblement des enfants de Dieu dispersés, route où Dieu se révèle comme Père, elle est prophétie de celle que tout homme est appelé à parcourir pour connaître l’achèvement de sa création. C’est la route de la Pâque parcourue par le Christ afin que l’homme nouveau puisse advenir, que le passage de l’homme à Dieu soit enfin réalisable.

               Si Israël exilé était représentatif de l’humanité égarée dans les ténèbres, Bartimée, l’aveugle de Jéricho, l’est, quant à lui, de tout homme appelé en son identité personnelle à connaître le salut. Marginalisé, exclu, dépendant des autres, mais aspirant à la pitié, cet homme fait l’expérience de la manifestation en lui de l’action de Dieu selon l’expression de saint Jean (9,3). A son cri de détresse : « Jésus, fils de David, aie pitié de moi ! (Marc 10,49), Jésus répond par un appel relayé par la foule jusqu’alors étrangère et hostile : « Confiance, lève-toi ! » Avant même d’éprouver le don de la guérison, Bartimée est saisi par la puissance créatrice de la parole de vie capable de le mettre en mouvement. Parce que la foi était en son cœur avant même de voir, Bartimée peut accéder au salut qui dépasse incommensurablement la simple guérison physique. Désormais il suit Jésus sur la route de Jérusalem qui conduit à l’épreuve de la Passion, à l’échec de la mort, à la gloire de la Résurrection.

               Devenu disciple du Seigneur, Bartimée nous précède et nous invite à marcher avec confiance à la suite du Ressuscité. Comme chez lui, notre foi est un « croire sans voir » dont le Christ dit qu’elle est déjà béatitude pour ceux qui en vivent (Jean 20,29). Par le baptême membres du corps du Christ, l’Eglise, il nous faut sans cesse accueillir la question du Seigneur : «  que veux-tu que je fasse pour toi ? » (Marc 10,51). Que notre réponse soit celle de Bartimée : « Rabbouni, que je voie » : voir le Seigneur « tel qu’Il est, Fils de Dieu, afin d’être à jamais semblables à Lui » (1 Jean 3,2).


Dimanche 15 octobre

CHOISIR L’UNIQUE NECESSAIRE

 « J’ai supplié et l’esprit de la Sagesse est venu en moi » (Sagesse 7,7).

               Mystérieuse figure biblique qui apparaît peu à peu au cours du développement de la première Alliance, la Sagesse est une réalité subtile et complexe. Avec l’Esprit et la Parole, elle est une lointaine préparation de la Révélation du Dieu unique en trois personnes telle que le Nouveau Testament en sera le réceptacle. Son domaine d’élection est la création et plus encore l’homme pour qui elle apparaît comme le bien à posséder avant toute chose. En elle se trouve la source de tout ce que l’homme accomplit de bon, depuis l’habileté manuelle de l’artisan jusqu’à l’art de gouverner des rois. Aucune richesse ne saurait lui être comparée et sa détention vaut le sacrifice de toute autre forme de possession. Le Christ, mais aussi l’Esprit, sont identifiés par la première génération chrétienne à cette sagesse qui est le bien à détenir. Cela est tout spécialement vrai du Christ ainsi que le Pierre le déclare : « Voilà que nous avons tout quitté pour te suivre » (Marc 10,28).

               Tel est le sens de la rencontre relatée par l’Évangile de ce dimanche. « Viens et suis-moi » déclare le Christ à l’homme qui lui demande ce qu’il doit faire pour avoir la vie éternelle. C’est à un choix dans l’amour qu’il lui faut procéder sous l’effet de la Parole du Christ. Celle-ci vient opérer en lui une opération-vérité sur ses véritables motivations. Comme l’écrit l’auteur de la lettre aux Hébreux, la Parole de Dieu est « énergique et plus coupante qu’une épée… elle juge des intentions et des pensées du cœur » (Hébreux 4,12-13). L’homme riche est invité à sortir de la confusion des valeurs dans laquelle il se trouve. Mais, incapable de préférer le bien suprême, il se replie sur ses propres richesses, s’enfermant dans l’angoisse et la tristesse. Il est amené ainsi à reconnaître qu’il ne désirait pas vraiment la vie éternelle, Dieu lui-même, « la seule chose qui lui manque » (Marc 10,21).

               Cet échec pourrait laisser dans l’inquiétude si le Christ ne venait porter son regard d’amour et sa parole de miséricorde sur cet homme fermé qui nous ressemble comme un frère. Celui qui seul est Bon ne peut vouloir que notre bonheur. Nos résistances, nos refus, nos trahisons qui rendent impossible l’accès au Royaume, ne peuvent empêcher la bonté de Dieu de s’exercer : « Tout est possible à Dieu » (Marc 10,27). Notre chance réside en ce que le Royaume, la vie éternelle, Dieu lui-même, ne sont pas des réalités à acquérir, mais un don fait avec amour. Accueillir avec amour cette « richesse incalculable » (Sagesse 7,7) est notre unique nécessaire. Son choix vaut tant pour le temps présent que pour le monde à venir, comme Jésus le dit à ses disciples (Marc 10,29-30). Sachons entendre l’appel qu’Il nous adresse : « Viens et suis-moi ».


Dimanche 8 Octobre

AU COMMENCEMENT, L’AMOUR QUI UNIT

 « C’est en raison de votre endurcissement qu’il (Moïse) a formulé cette loi. Mais, au commencement de la création /…/, Il (Dieu) les fit homme et femme. … Donc ce que Dieu a uni, que l’homme ne le sépare pas ! » (Marc 10,5…9)

               En ces temps de relativisme et de subjectivisme régnant dans les mœurs de nos sociétés contemporaines, exacerbant les droits de l’individu au point de détruire les fondements de la personne humaine, il est salutaire de réentendre l’exigence évangélique, contestatrice de la pensée mondaine qui, notons-le, avait déjà cours au temps du Christ. Comme souvent dans les controverses avec ses contradicteurs, tenants de la pensée unique du moment, le Christ impose une opération-vérité. Si Moïse a formulé la loi sur la répudiation c’est en raison, dit le Seigneur, de la sclérocardie qui a atteint le cœur de l’homme. Face à la dureté d’un cœur sous l’effet du péché réitéré, la loi ne peut sauver. Elle ne peut qu’essayer d’endiguer les effets les plus nocifs de la déviance qu’elle tente de canaliser. Mais la logique du mal n’est pas enrayée. Un mal plus grand apparaît auquel Dieu ne peut consentir : l’adultère.

               Dieu ne peut se satisfaire de nos faiblesses, de nos trahisons. La miséricorde consiste, non à entériner, mais à convertir : « Je vous donnerai un cœur nouveau, je mettrai en vous un esprit nouveau » (Ezéchiel 34,26). Aussi la Parole rédemptrice faite chair – le Christ – renvoie-t-elle l’homme pécheur à la Parole créatrice, celle de l’origine, antérieure à toute loi liée au péché, dont le dessein est d’unir et non de diviser. Reprenant le vieux texte de la Genèse, le Christ nous place au véritable surgissement de l’homme qui, par la parole d’amour lancée au « vis-à-vis » découvert, entre dans la reconnaissance de ce qui le constitue : la relation intime de deux êtres appelés à former une seule chair dans la communion de l’amour. Loin d’être un résidu d’une morale archaïque, l’exigence évangélique rappelle, face à toutes les forces de décomposition de l’être-homme, la grande ambition de Dieu : que l’homme et la femme, dans leur reconnaissance mutuelle qui constitue l’alliance conjugale, soient signe, icône de l’amour créateur.

            Mais cette unité n’est jamais un donné tout fait. Elle est un projet à mettre en œuvre. Il y faut beaucoup de dépossession de soi, de détachement, dont la première étape est le départ du cercle familial, pour que s’ouvre l’histoire de cet être en devenir, le couple humain, appelé à connaître sa plénitude dans la vie des enfants de Dieu, dans le Royaume. Le Christ, assumant en son mystère pascal notre faiblesse, notre péché, veut conduire le mariage humain à sa vérité : dire au monde divisé l’unité essentielle des enfants de Dieu dans l’amour du Père. Comme l’écrit l’auteur de la Lettre aux Hébreux (2,11) : « Car Jésus qui sanctifie, et les hommes qui sont sanctifiés, sont de la même race, et pour cette raison, il n’a pas honte de les appeler ses frères ».


Dimanche 1er Octobre

UN PEUPLE DE PROPHETES

 « Ah ! Si le Seigneur pouvait mettre son esprit sur eux, pour faire de tout son peuple un peuple de prophètes ! » (Nombres 11,29).

               Prière prophétique par excellence que celle de Moïse au Désert de l’Exode. Dieu l’exaucera au travers du mystère pascal culminant dans la Pentecôte. Le désir de Dieu  est sous-jacent à toute la Révélation comme le proclamait le prophète Joël (3,1), comme Jésus l’annonçait à ses Apôtres au soir de ses derniers adieux : « Quand il viendra, lui, l’Esprit de vérité, il vous guidera vers la vérité tout entière … ce qui va venir, il vous le fera connaître » (Jean 16,13). Le don de l’Esprit est en effet le bien vital que Dieu veut nous accorder pour conduire notre route vers le Royaume. Mais le risque est grand de vouloir nous l’approprier, comme Josué, comme Jean. La puissance ne peut-être l’objet d’aucun monopole. L’Esprit surgit là où Il veut. La mission prophétique du croyant est de reconnaître, d’identifier cette parole comme venant de Dieu, fût-elle prononcée hors de l’Eglise.

               L’apostrophe imprécatoire de l’auteur de la lettre de saint Jacques peut nous aider à mieux le comprendre. N’oublions pas qu’elle s’adresse aux membres d’une communauté chrétienne au comportement bien peu prophétique en matière de justice sociale. Sans faire de concordisme facile, reconnaissons que les chrétiens d’aujourd’hui peuvent être, en la matière, toujours interpellés par le cri de leurs frères opprimés, exploités. Le péché social n’est pas moindre en gravité que des péchés plus personnels. Tout comportement qui conduit à la négation de la dignité de nos frères, qui les pousse à la désespérance, est homicide. Saint Jaques le rappelle avec force. La préférence pour la justice, prioritaire pour tout disciple du Christ, n’est pas tâche facile. Elle suppose le renoncement à tout ce à quoi nous tenons et qui se révèle comme obstacle sur la route du Royaume.

               Le Seigneur évoque en termes de parabole cette opération chirurgicale qui est opération de vérité sur notre vie. Notre existence n’a pas d’autre finalité que Dieu lui-même. Le désir de L’aimer, de Le connaître, est seul capable de combattre tous nos désirs de valeurs fallacieuses. Nous engager sur cette voie, y engager nos frères, est, aujourd’hui encore, œuvre prophétique, parce que source de salut. L’Esprit nous guide et nous donne de découvrir notre vérité d’enfants du Père, de frères du Christ, de frères universels sur la route des hommes.


Dimanche 24 Septembre

DU PÉCHÉ EN SA RACINE ET DE SON ANTIDOTE

  « Frères, la jalousie et les rivalités mènent au désordre … Au contraire, la sagesse qui vient de Dieu est d’abord droiture… paix, tolérance, compréhension » (Jacques 3,16-17).

               Notre existence est l’enjeu d’un combat où s’affrontent deux sagesses. D’un côté la sagesse humaine, ou ce que nous appelons comme tel, qui, sous les apparences du bon sens, de la prévoyance, du souci légitime de promotion, n’est en fait qu’un masque pour la jalousie, les rivalités, la convoitise, ainsi que l’écrit l’auteur de la lettre de saint Jacques. De l’autre la sagesse divine qui « est d’abord droiture et par suite paix, tolérance, compréhension… sans partialité et sans hypocrisie » (Jacques 3,17). La première déclare la guerre à la seconde. Ainsi le juste qui, par son comportement et ses paroles, a démasqué la perversion des manières d’être et de penser de ses contemporains, est-il condamné aux « outrages, tourments, mort infâme » (Sagesse 2,19-20).

               Toute l’histoire biblique est jalonnée de figures de grands « jaloux », depuis Caïn jusqu’à Judas et aux grands prêtres. A chaque fois, la jalousie s’acharne contre ce qui lui est insupportable : le bonheur d’une relation harmonieuse avec Dieu. Le point culminant est atteint dans la condamnation du Juste par excellence qu’est Jésus. D’une certaine manière, les Douze que Jésus a choisis se situent également du côté de la jalousie, de la rivalité. La volonté de puissance, de domination, est présente en eux. Aussi ne peuvent-ils comprendre les paroles de leur Maître, annonçant sa passion, sa mort et sa résurrection, ainsi que le souligne l’Évangéliste (Marc 9,32).

               Le Christ vient en effet contester et subvertir cette violence qui est à la racine du péché. Connaissant le cœur de l’homme, Il discerne la tentation qui est en lui de se penser et se vouloir comme le tout. A ce projet d’être le plus grand, c’est-à-dire de se séparer des autres, de se placer au-dessus d’eux, volonté qui conduit aux totalitarismes meurtriers dont le siècle dernier  a fait la terrible et sinistre expérience à plusieurs reprises, le Christ manifeste qu’être le plus grand c’est se faire serviteur. Mieux encore, en présentant un enfant comme modèle de Celui qu’il faut accueillir, le Christ dévoile la vocation de l’homme en Sa mort et Sa résurrection. Descendu au plus bas de l’humanité, sa détresse et sa mort, Il se trouve porté au plus haut, dans la gloire de Dieu, pour que l’homme puisse accomplir lui aussi sa transformation, son ascension de l’enfant au Christ et du Christ au Père.  Dans le service de Celui qui s’est fait dernier pour que les derniers soient premiers, nous devenons semblables à Lui, l’enfant unique de l’amour du Père « qui a reçu le Nom qui est au-dessus de tout nom » (Philippiens 2,9).


Dimanche 17 septembre

DE L’ACTE DE FOI

 « Mes frères, si quelqu’un prétend avoir la foi, alors qu’il n’agit pas, à quoi cela sert-il ?
Cet homme-là peut-il être sauvé par sa foi ? (Jacques 2,14).

En liant étroitement la foi et les œuvres, l’auteur de la lettre de saint Jacques semble contredire l’enseignement de l’Apôtre Paul pour qui seule la foi sauve, ainsi qu’il l’écrit dans la lettre aux Romains ou dans celle aux Galates : « Il est clair que par la Loi personne ne devient juste auprès de Dieu, puisque l’Ecriture dit : « c’est par la foi que le juste vivra » (Galates 3,11). Ce débat a longtemps été à la source de malentendus et de querelles théologiques, notamment au seizième siècle lors de la rupture de Luther. Le récent accord sur la justification par la foi intervenu entre les Eglises de la Confession d’Augsbourg et l’Eglise Catholique a permis de mieux clarifier les positions et de montrer qu’il faut tenir à la fois l’absolue gratuité du salut qui ne saurait en rien dépendre de nos œuvres, mais aussi l’importance de celles-ci pour manifester la vérité de notre foi selon l’enseignement du Christ Lui-même : « chaque arbre se reconnaît à son fruit » (Luc 6,44).

En dernier ressort, ce qui est au fondement de l’acte de foi n’est pas autre chose que l’amour qui demande à se traduire concrètement au travers des gestes de charité. Mais ceux-ci supposent une dépossession de soi, un renoncement à soi-même. Il n’est que trop clair que ce qui nous anime dans l’existence est le souci de paraître, d’être reconnus, de valoir quelque chose. Nos valeurs sont davantage du côté de l’argent, du pouvoir, de l’autorité, de la notoriété. Le Christ vient contester tout cela. Celui qui s’accroche à ces valeurs, parce qu’il craint d’être moins homme en les abandonnant, en fait finalement des idoles. Mettant sa confiance en elles, il est en danger de perdre sa vie. Le Christ propose un autre chemin. L’acte de foi consiste à Le suivre, même si son appel nous fait peur comme il faisait peur à Pierre et aux disciples : « Si quelqu’un veut marcher derrière moi, qu’il renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix et qu’il me suive » (Marc 8,34).

Ce chemin du serviteur souffrant est très éloigné de notre recherche de puissance, de nos pauvres sécurités qui ne nous assurent que de la perte inexorable de notre être. Le Christ a pris ce chemin qui, passant par la mort, débouche sur la vie. Il nous rejoint au plus extrême de notre détresse, de notre manque de foi, afin que « ne perdant aucun de ceux que le Père lui a donnés, il les ressuscite au dernier jour » (Jean 6,40). S’étant fait dernier pour que les derniers soient premiers dans le Royaume, Il nous appelle à poser les gestes de justice et d’amour qui seront les meilleurs témoins de notre foi en Lui, le Messie selon le cœur du Père.


Dimanche 10 septembre

FOI ET SALUT

« Prenez courage, ne craignez pas. Voici notre Dieu : c’est la vengeance qui vient, la revanche de votre Dieu.  Il vient lui-même et va vous sauver » (Isaïe 35,4).

Déconcertante exhortation du Prophète Isaïe qui juxtapose les notions de vengeance, de revanche et de salut ! Si le fond historique de la prophétie est l’exil à Babylone et l’annonce d’une libération – d’où les deux aspects de vengeance et de salut – le Prophète nous invite à dépasser les contingences historiques pour nous ouvrir à la véritable libération de l’homme, celle que Dieu veut accomplir en prenant sa revanche sur la condition malheureuse évoquée par les thèmes de la cécité, de la surdité, du mutisme. Dieu vient prendre sa revanche, non contre l’homme mais pour l’homme.

Le miracle du sourd-muet réalisé en territoire païen par le Christ est comme le signal de l’accomplissement du temps de la revanche de Dieu. A travers ce sourd-muet, les païens sont aussi invités à s’ouvrir à la parole de Dieu. Evangile d’espérance, ces versets annoncent la libération de l’homme qui se mure dans son autosuffisance. Cette libération profonde est signifiée par des gestes eux aussi surprenants : doigt dans les oreilles, salive sur la langue, yeux levés aux ciel et soupir. Jésus vient mettre le doigt sur le mal profond de l’homme. Le doigt du Christ, qui est aussi le doigt de Dieu, n’effleure pas seulement le mal de l’homme mais il le touche au cœur.

Dieu ne reste pas extérieur au malheur de l’homme. Il s’en revêt. C’est parce que le Verbe de Dieu assume pleinement notre chair de péché que les sourds peuvent entendre, les muets parler, les morts ressusciter. L’impératif du Christ : « Effata ! » c’est-à-dire « ouvre-toi » est la prophétie du seul « délié » qui importe : celui qui arrache l’homme à l’enfermement de la mort. Par sa mort et sa résurrection, le Christ est à jamais notre chemin de vérité, de vie, de liberté. Il est l’ouverture de l’amour du Père aux enfants que nous sommes. Puissions-nous en prendre mieux conscience : « Tout ce qu’il fait est admirable : il fait entendre les sourds et parler les muets » (Marc 7,37).


 Dimanche 2 Juillet

LE CHRIST, OUVERTURE DE L’HOMME

 « Dieu n’a pas fait la mort, il ne se réjouit pas de voir mourir les êtres vivants » (Sagesse 1,13).

En rupture avec les conceptions païennes des divinités mortifères ainsi qu’avec certaines dérives en Israël d’un Dieu vengeur, l’auteur du livre de la Sagesse exprime avec un bel optimisme sa foi en un Dieu qui est totalement du côté de la vie. Rebondissant sur l’affirmation du prologue de la Genèse : « Et Dieu vit que cela était bon » (Genèse 1,10-31), il n’hésite pas à proclamer que tout ce qui vient de Dieu, « tout ce qui naît dans le monde est bienfaisant » (Sagesse 1,14). Comment alors rendre compte du redoutable et angoissant problème de la mort qui contredit l’acte créateur ? En en situant l’origine dans « la jalousie du démon » (id. 2,24), c’est-à-dire dans l’adversaire irréductible qu’est le « prince de ce monde », meurtrier de l’homme, que le Christ vient affronter au prix de sa propre vie pour établir le Royaume de Dieu.

C’est en Lui que nous pouvons découvrir qu’injustes du fait du péché, nous sommes justifiés, voués à la mort spirituelle, nous pouvons passer à la vie dans l’Esprit et accéder à l’immortalité de la Résurrection par delà la mort physique que nous subissons. Parce qu’Il est Dieu d’amour incarné, le Christ prend le pouvoir sur tout ce qui nous blesse mortellement. En sa Pâque, s’étant dessaisi de sa vie, Il assume notre mort pour y faire surgir la vie. Encore faut-il notre adhésion et avoir foi en Lui qui est notre salut.

A l’instar des foules qui entourent Jésus, de la femme anonyme affligée de pertes de sang ou de Jaïre accablé par la mort de son enfant, notre foi doit s’épurer, s’approfondir. De même que la femme passe du « toucher » furtif, quasi magique, à la proclamation de la vérité et  à l’acte d’adoration, de même que Jaïre doit passer d’une demande d’  « imposition des mains » à la reconnaissance de la parole qui donne vie : « Jeune fille, je te le dis, lève-toi » (Marc 5, 4), de même nous faut-il évoluer en notre foi, elle aussi inachevée, pour aller vers la confiance totale en la Parole de Celui qui, seul, peut nous arracher au péché et à sa mortelle conséquence et nous faire entrer dans sa vie. Dans le geste recréateur, dans la Parole de Résurrection, Dieu accomplit sa justice immortelle. Rendons en grâce avec psalmiste : « Tu as changé mon deuil en une danse, mes habits funèbres en parure de joie … que sans fin Seigneur mon Dieu, je te rende grâce ! » (Psaume 29, 12.13).


 Dimanche 25 juin

DE LA PEUR A LA FOI

 « Passons sur l’autre rive » (Marc 4,35).

                  C’est à une parabole en acte que l’Évangile de ce jour nous donne d’assister. A travers l’événement du lac, c’est l’aventure pascale du Christ, mais aussi celle de l’Église secouée par les tempêtes des persécutions et des divisions qui se laissent discerner. Tout au long de l’histoire du Salut, les « grandes eaux » sont le symbole des puissances maléfiques qui s’opposent au dessein créateur et rédempteur de Dieu. Paradoxalement elles deviennent chemin de vie sous l’action du Verbe de Dieu et de son souffle. De leur sein hostile, jaillit à la lumière et à la vie l’univers créé. Les eaux du déluge donnent accès à un univers renouvelé sous le signe de l’arc-en-ciel de la réconciliation divine. Le souffle puissant du vent de Dieu ouvre au peuple fugitif l’accès aux rives de la liberté lors de la Pâque d’Egypte. Ainsi Dieu ne cesse-t-il de vouloir faire accéder l’homme, par delà les tempêtes déchaînées par le péché, au grand calme de son repos, havre de paix, vraie terre promise que Jésus nous a acquise par sa Résurrection.

En soumettant ses Apôtres à l’épreuve de la tempête, Jésus leur donne de vivre en raccourci celle, ô combien plus redoutable, de la Passion à venir. Les eaux qui menacent le fragile esquif où repose le Seigneur sont annonciatrices des eaux de la mort où Jésus plongera pour en faire le lieu de passage vers notre salut. De même que la mort n’a pu prétendre retenir captif le Maître de la Vie, de même cette mort ne pourra empêcher la Parole de Vie de faire en sorte que « le monde ancien s’en est allé », qu’ « un monde nouveau est déjà né » (Corinthiens 5,17).

                  Parabole de la mort et de la Résurrection du Christ, parabole de la destinée de tout croyant, le récit évangélique est aussi parabole de la vie de l’Eglise. Ambitions humaines, esprit de domination, orgueil, envie-jalousie, déchirures spirituelles et théologiques, contestations, sont, à travers les siècles, autant de voies d’eau ouvertes dans la barque de Pierre. Mais Jésus est toujours là ! Dort-Il ? Sa puissance, seule capable d’imposer les limites aux forces de destruction, est-elle faiblesse nous laissant à nos pauvres moyens de combattre pour éviter le naufrage ? Ce silence n’est-il pas plutôt, comme celui du Père au Calvaire, invitation à dépasser nos peurs, nos angoisses ? En nous engageant avec Foi et courage dans la traversée tumultueuse, en renouvelant notre confiance à Celui à qui « même le vent et la mer obéissent » (Marc 4,41), alors nous « ne comprenons plus le Christ à la manière humaine » mais comme Celui « en qui nous sommes une créature nouvelle » (2 Corinthiens 5,17).


Dimanche 18 juin

LE SACREMENT DE L’ALLIANCE NOUVELLE ET ÉTERNELLE

Après avoir contemplé la vérité de Dieu dans le mystère trinitaire et découvert notre propre vérité : être fils par le don de l’Esprit, « héritiers de Dieu, héritiers avec le Christ » (Romains 8,15-17), nous sommes aujourd’hui invités à entrer dans la réalité même de cette vocation par le don du Corps et du Sang du Seigneur. Celui-ci réalise en effet de manière définitive l’Alliance de Dieu avec les hommes.

                  Déjà les rites de l’Ancienne Alliance, issus de la sortie d’Égypte et de l’Assemblée du Sinaï, manifestaient la foi d’Israël en un Dieu dont «l’amour vaux mieux que la vie » selon le psalmiste (62,4). En immolant de jeunes taureaux en sacrifice de paix (Exode 24,5), le peuple acceptait de remettre à Dieu les biens vitaux qui assuraient la pérennité de son existence, soulignant ainsi que le donateur est plus important que le don lui-même. Quant au repas de la Pâque, il était la célébration de la libération de l’esclavage et de la préservation de la mort par le sang de l’agneau immolé. Pourtant cette libération n’était que provisoire et la mort poursuivait son œuvre de destruction. Pour que l’Alliance demeure éternelle, le Christ devait la refonder, la renouveler par le don de son Corps et de son Sang. Désormais ce qu’Il a accompli en son mystère pascal est définitif. « Entré au sanctuaire du ciel en répandant son propre sang,  il a obtenu une libération définitive » (Hébreux 9,12).

            La célébration et l’adoration eucharistiques nous rendent contemporains de sa victoire sur le péché et sur la mort. S’étant fait pain de vie et coupe du salut, le Christ devient pour l’homme pécheur la source de la régénération et se manifeste ainsi comme « Dieu avec nous » jusqu’à la fin du monde. Le choix du pain et du vin pour en faire les signes de sa présence est accomplissement de l’Écriture. Le Christ, Sagesse de Dieu, nous invite à communier à ce don incomparable : « Venez manger mon pain et boire le vin que j’ai apprêté ! Quittez votre folie et vos vivrez, suivez le chemin de l’intelligence » (Proverbes 9,5-6). Se faisant pain de vie et coupe du salut, le Christ est vraie nourriture et vraie boisson, celles annoncées tant dans la multiplication des pains qu’aux Noces de Cana. La vie et la joie de Dieu deviennent la vie et la joie des hommes. En entrant dans la communion du Dieu vivant, nous entrons aussi dans la communion des uns avec les autres pour constituer l’Église, Corps du Christ, annonce de l’humanité nouvelle épousée par son Dieu.sommairre


Dimanche 11 juin

VIVRE L’UNITÉ DES ENFANTS DE DIEU, IMAGE DU DIEU TRINITÉ

 « Interroge les temps anciens qui t’ont précédé … Sache donc aujourd’hui et médite cela dans ton cœur : le Seigneur est Dieu, là-haut dans le ciel comme ici-bas sur la terre, et il n’y en a pas d’autre » (Deutéronome 4,32-39).

Tout au long de la Révélation biblique, Israël n’a cessé de s’interroger sur Dieu. Est-il avec lui ? Pour lui ? Contre lui ? La réponse est apportée dans la visibilité de l’action divine en faveur du peuple : Dieu est l’Unique, il n’y en a pas d’autre. Mais cette unité apparaît aussi comme une plénitude de vie qui ne demande qu’à s’extérioriser, à se communiquer. Au travers des figures de la Sagesse, du Souffle, de la Parole, Dieu laisse percevoir qu’Il est effusion de soi, échange, mouvement et non pas monolithe impénétrable. Sortant de Lui-même, Dieu crée la diversité. Sa création est le reflet d’une unité qui, paradoxalement, est une multiplicité dont le croyant de l’Ancienne Alliance ne peut encore saisir la teneur.

Seul le Christ, par sa parole et par ses gestes, est en mesure de révéler l’étonnante dimension trinitaire de son être. En manifestant le lien qui l’unit à son « Abba », en insistant sur le rôle du « Défenseur » qu’il enverra d’auprès du Père, Jésus a balisé le chemin de la foi qui permet à l’intelligence chrétienne de proclamer de manière audacieuse l’unité divine dans la trinité des personnes. Refusant toutes les fausses pistes conduisant soit à un trithéisme négateur de l’unité soit à un modalisme ruinant la spécificité de la pluralité en Dieu, l’Église, dans la contemplation de son Seigneur Ressuscité et à l’écoute de l’Esprit, accueille par la foi la révélation de l’être même de Dieu qui est amour, dépossession et effusion de soi.

Le don de l’Esprit réalisé tant au soir de Pâques que dans la plénitude de la Pentecôte fait de nous des fils (Romains 8,15) et nous renvoie au mystère du don en Dieu Lui-même : don total de l’être du Père au Fils, oblation sans réserve de l’être filial du Fils dans un mouvement extasié d’amour, l’un et l’autre exaltés dans la communion de leur unique amour : l’Esprit. Ce mystère de vie est aussi le nôtre par grâce : « comme toi, Père, tu es en moi, qu’ils soient un en nous eux aussi … moi en eux et toi en moi, que leur unité soit parfaite » (Jean 17,20-23). Ainsi se constitue l’Église, figure prophétique de l’humanité nouvelle, image du Fils ressuscité, vivifiée par l’Esprit, unité des fils de Dieu dans l’Unique engendré du Père.sommairre


 Dimanche 4 juin

L’ESPRIT DE L’UNITE

« Tout ce qui appartient au Père est à moi ; voilà pourquoi je vous ai dit : Il reprend ce qui vient de moi pour vous le faire connaître » (Jean 16,15).

Aboutissement et couronnement du temps pascal, le don de l’Esprit, manifesté en plénitude lors de la fête de la Pentecôte, est l’assurance que Dieu, fidèle à son dessein créateur et rédempteur de l’homme et de toute la création, veut notre bonheur en nous donnant la vie qu’Il partage avec son Fils dans l’Esprit. Ce don de l’Esprit est le bien le plus précieux, avec celui du Fils, que Dieu veut nous faire : « combien plus le Père céleste donnera-t-il l’Esprit Saint à ceux qui le lui demandent » (Luc 11,13).

               Ce désir de Dieu, le Christ l’explicite clairement. Le don qui nous est fait n’a pas pour effet de modifier extérieurement le cours des choses, mais de nous introduire à la connaissance aimante du dessein divin. En nous laissant saisir par Lui, nous pouvons découvrir la puissance de vie et d’amour qui nous conforme au Christ, vérité de l’homme. La charité de Dieu nous atteint pour que, librement, n’étant plus « sujets de la Loi », nous accédions à notre vérité, à notre liberté d’enfants de Dieu. Présence et action de Dieu en l’homme, l’Esprit œuvre ainsi à la constitution de l’humanité unifiée par l’amour révélé dans le don pascal du Fils unique. Il conduit l’homme de sa chair mortelle au corps spirituel qui ne fait qu’un avec le Ressuscité.

               Ce désir d’unité mis par Dieu au cœur de l’homme a, hélas, été perverti par la volonté de puissance de ce dernier. Tel est le sens du récit de la tour de Babel. Confondant l’unité véritable et la fausse, les hommes sont entrés dans la confusion des langues, c’est-à-dire dans l’incommunication qui engendre la violence, la haine, la mort. A Pentecôte, ce processus mortel est inversé. Le don de l’Esprit substitue à la confusion séparatrice la pluralité harmonieuse des différences à l’image de la communion trinitaire même. L’Esprit est seul capable de relier ce qui est le plus opposé. Il fait naître ainsi le Corps du Christ – l’Église – communion « des hommes de toute race, langue, peuple et nation », et « en fait pour notre Dieu un royaume de prêtres qui règneront sur la terre » (Apocalypse 5,9-10). De même que tout appartient au Père et au Fils, de même tout ce qui appartient à l’un des membres du corps appartient à tous les autres. Que cette Pentecôte ravive en tous les chrétiens le désir de l’unité avec le Père, par le Fils, dans l’Esprit.


 Dimanche 28 Mai

DU CHRIST, DES DISCIPLES ET DU MONDE

« Ils ne sont pas du monde, comme moi je ne suis pas du monde » (Jean 17,16).

Tout au long de l’Évangile de Jean, le Christ fait mention d’une entité quelque peu mystérieuse dénommée « le monde ». Si cette expression désigne en premier lieu l’univers créé par Dieu, avec l’homme à son sommet, elle peut viser aussi l’univers hostile au dessein divin parce que soumis à la domination de Satan, « le prince de ce monde ». En fait il s’agit de la même entité mais envisagée sous deux aspects. D’un côté, le monde qui fait l’objet du choix aimant de Dieu au point que le Fils lui est envoyé. De l’autre, celui qui est affecté par le malheur que déchaîne le péché des hommes et qui est devenu comme imperméable à l’action de l’Esprit Saint. Mais ce monde, même opposé à la justice et à l’amour, demeure sujet de l’amour de Dieu ainsi que le Christ le déclare : « je ne suis pas venu juger le monde, mais le sauver » (Jean 12,47).

            C’est dans ce monde qui a perdu le sens de l’amour que le Christ est envoyé par le Père et qu’il envoie aussi ses disciples « comme des brebis au milieu des loups » (Matthieu 10,16). Comme les Apôtres l’ont bien compris, ainsi qu’ils le manifestent par l’élection de Matthias à la place apostolique laissée vacante par la trahison de Judas, il s’agit « d’être dans le monde » sans « être du monde ». Le Christ ne retire pas les chrétiens de l’histoire commune de l’humanité, mais Il leur communique la force de son Esprit pour que la puissance vivificatrice de sa Résurrection poursuive son œuvre de régénération d’une humanité en danger de dessèchement spirituel. Aussi est-ce par la Parole de Vérité que l’Église est consacrée à cette œuvre de Vérité.

            Par sa Pâque, le Christ a fait passer notre humanité du monde du péché à la gloire du Père, la consécration étant en dernier ressort la participation à la nature divine comme le souligne l’Apôtre Pierre (2 Pierre 1,4). Contrairement à l’affirmation mensongère du serpent trompeur des origines, l’homme est bien appelé à devenir « comme Dieu » dans le Christ. Mais ce passage ne peut s’accomplir qu’avec le consentement de notre liberté qui doit se convertir. En son Fils immolé, le Père a vaincu le monde de péché et de mort. Il répand en surabondance l’Esprit de Vérité qui sanctifie sur tous ceux qu’Il appelle à vivre dans l’unité de l’amour, comme Lui-même est un avec son Fils dans l’Esprit.


Dimanche 21 Mai

LE COMMANDEMENT DE L’AMOUR

« Si vous êtes fidèles à mes commandements, vous demeurerez dans mon amour ; comme moi, j’ai gardé fidèlement les commandements de mon Père, et je demeure dans son amour » (Jean 15,10). Nous éprouvons souvent quelques difficultés devant le rapprochement des deux termes : commandement et amour qui nous paraissent antinomiques. Le premier ne renvoie t-il pas à l’ordre du précepte, de la loi, de l’interdit, de ce qui contraint notre liberté ? Inversement l’amour ne se situe-t-il pas du côté de la liberté, de l’invention ? Pourtant c’est le Christ Lui-même qui rapproche ces deux inconciliables. Seule la contemplation du Fils de Dieu nous permet de découvrir le secret de leur conjugaison.

Tout au long de sa vie le Seigneur n’a cessé d’être « fils du commandement », vivante icône du serviteur de Dieu, Celui que « la parole réveille chaque matin pour qu’il écoute comme celui qui se laisse instruire » (Isaïe 50,4). Le mystère pascal est révélation de la manière unique selon laquelle le Christ garde fidèlement les commandements de son Père. Il y accomplit la volonté de Celui-ci : « ne perdre aucun de ceux qu’Il lui a donnés, mais qu’Il les ressuscite au dernier jour » (Jean 6,39). Perfection de l’amour en acte, Jésus accomplit le déplacement sauveur pour faire en nous sa demeure et que nous puissions, malgré notre péché, demeurer en Lui.

Ceci se réalise au point le plus extrême de notre éloignement, dans ce qui est le contraire de l’amour et qui conduit à la mort. Aussi est-ce dans ce qui aurait dû entraîner notre condamnation, dans l’acte destructeur de notre être par le refus d’aimer et d’être aimé, que Dieu vient nous ouvrir le chemin de la vie : « voici comment Dieu a manifesté son amour pour nous : Dieu a envoyé son Fils unique dans le monde pour que nous vivions par lui » (1 Jean 4,9). Désormais nous ne sommes plus sous le régime de la Loi comme des serviteurs. Une connaissance nous a été donnée qui fait de nous des amis de Dieu. Son amour est créateur et nous fait advenir à notre vocation originelle. Sa fécondité engendre la multitude des enfants de Dieu. En nous livrant à elle, par l’action de l’Esprit-Saint, nous donnons à Dieu la joie d’accueillir de nouveaux enfants à l’image de son Fils unique en qui nous avons la vie.


Dimanche 14 Mai

DE LA RELATION DU CHRIST AU DISCIPLE

« Moi, je suis la vraie vigne » (Jean 15,1). 

En reprenant dans son grand discours après la Cène le vieux thème biblique de la vigne, le Christ met en lumière les caractères de la relation qui l’unit au disciple. Celle-ci est faite à la fois d’une étonnante proximité mais aussi d’une distance qui respecte la radicale différence de l’homme avec son Créateur. En se présentant comme la vraie vigne, ainsi qu’Il l’avait fait précédemment à travers les images du pain et du berger, le Christ souligne qu’Il est la vérité de toute chose et spécialement de celles qu’Il choisit pour demeurer avec nous. La vigne, le pain ou le berger, ne sont vrais qu’en imitation de ce qui a sa perfection dans le Verbe de Dieu. Ainsi le pain et le vin ne sont jamais autant vrais dans leur fonction de nourriture et de boisson que lorsqu’ils accèdent à leur statut nouveau de corps et de sang du Seigneur, vraie nourriture et vraie boisson pour la vie éternelle.

            Le rapport des sarments au cep exprime de manière appropriée ce que doit être la relation du disciple à son Seigneur pour répondre à l’attente de Dieu à notre endroit : être l’image et la ressemblance de son Fils unique venu dans notre chair. Il nous faut pour cela demeurer en Christ, c’est-à-dire entrer dans une relation d’intériorité jusqu’ici inconnue et qui n’abolit pas la distance nécessaire à sa mise en œuvre. Il est dans la nature du sarment d’être enté sur le cep, sans quoi il se dessèche et doit être jeté au feu destructeur. De même il lui faut être émondé pour porter du fruit. En donnant notre assentiment à cette œuvre créatrice, nous permettons au vigneron – le Père du ciel – de porter en nous son fruit d’amour, de vie, de joie.

            Une des conséquences majeures du « demeurer en Christ » est l’assurance qui caractérise les disciples au lendemain de la Pentecôte. Cette assurance est maintenue avec persévérance même devant la mort. Loin d’être le fait de notre volonté, elle est la conséquence de la foi car elle porte sur Dieu Lui-même. Ainsi en est-il de Paul, une fois accompli son chemin de Damas, ou des Apôtres après leur baptême dans l’Esprit. Tous, pauvres pécheurs, font l’expérience d’un amour unique qui engendre l’assurance qui les porte vers les autres. En nous laissant à notre tour habiter par la Parole de vie, en accueillant le commandement de l’amour que le Christ nous laisse, nous répondons au désir de Dieu. Ce fruit que Dieu porte en nous, nous pouvons à notre tour le porter en nos frères. Ainsi se réalise par la communion de l’amour la parole de Jésus : « Ce qui fait la gloire de mon Père, c’est que vous donniez beaucoup de fruit : ainsi vous serez pour moi des disciples » (Jean 15,8)


Dimanche 7 Mai

CONNAÎTRE POUR ÊTRE

 Nous le savons : lorsque le Fils de Dieu paraîtra, nous serons semblables à lui parce que nous le verrons tel qu’il est » (1 Jean 3,2).  L’enjeu de notre création est de devenir image et ressemblance de Dieu qui nous veut ainsi. Sans cela nous ne serions au mieux qu’inachevés, au pire soumis à un processus de décréation. Or nous dressons un obstacle majeur sur ce chemin de perfection que Dieu nous propose : la volonté d’être nous-mêmes par nous-mêmes, récusant toute autre origine de notre être que nous-mêmes. Nous voulons nous faire Dieu comme le suggérait perfidement l’antique serpent. Mais cette image de Dieu n’est que le fruit de nos fantasmes, de nos illusions, génératrice de malheur. Méconnaissant Dieu en sa vérité, nous sommes entraînés dans une spirale de décréation conduisant à la mort. Au contraire, la vraie connaissance de l’être intime de Dieu, révélé par le Christ comme don d’amour et de vie, nous fait accéder à notre véritable existence. Il nous faut donc entrer dans la relation vivante qui fait être : la communion trinitaire.

C’est cette démarche que le Christ nous propose à travers le thème pastoral : « Moi, je suis le bon pasteur ; je connais mes brebis et mes brebis me connaissent comme le Père me connaît, et que je connais le Père » (Jean 10, 14-15). Transformant profondément la conception biblique du pasteur, rebondissant sur l’annonce prophétique désignant Dieu comme le véritable berger du troupeau (Ezéchiel 34,15), le Christ se présente, non comme un berger qui vivrait de l’exploitation des brebis, mais au contraire comme celui qui leur donne sa vie. Le mouvement de la Pâque s’inscrit dans la relation que le Christ noue avec chacune d’entre elles. De même que la connaissance mutuelle du Père et du Fils est habitation de l’un dans l’autre, source d’existence réciproque, de même en livrant sa vie pour ses brebis, le Christ révèle que ce don constitutif de son être est source de vie, de salut pour tous les hommes. « En dehors de lui, il n’y a pas de salut. Et son Nom, donné aux hommes, est le seul qui puisse nous sauver » (Actes 4,12).

Tout homme en sa liberté est appelé à entrer dans la connaissance du Christ afin de vivre de sa vie. Le désir du Christ est de constituer un seul troupeau, c’est-à-dire, une communion des uniques que chacun de nous est en Dieu. Puissions-nous répondre à ce grand désir de Dieu qu’Il nous a manifesté en son Fils unique, l’Unique pour tous.


Dimanche 30 Avril

LA RÉSURRECTION DU CHRIST ou L’ACCOMPLISSEMENT QUI BOULEVERSE

« Frappés de stupeur et de crainte, ils croyaient voir un esprit. Jésus leur dit : « pourquoi êtes-vous bouleversés ? »
                                                                                                                                                                 (Luc 24,37-38).

Pierre d’achoppement pour la foi, la Résurrection demeure aujourd’hui source de difficultés, tant la nouveauté qu’elle a inscrite dans l’histoire des hommes paraît hors du champ d’appréhension de la raison humaine. Cette épreuve de la foi, les évangélistes n’ont pas cherché à la masquer. Ils insistent au contraire avec force sur le bouleversement que les disciples ont connu face à cet événement. Passant de l’exaltation au plus grand désarroi, il leur faut franchir la distance qui sépare ce qui leur est encore extérieur de l’expérience vécue de la présence du Ressuscité.

            Comme l’avait préfiguré la marche de Jésus sur les eaux et son invitation à Pierre de le rejoindre dans une absolue confiance au-dessus de l’abîme, l’enjeu est celui de la vie et de la mort. Il nous est demandé de croire en Dieu comme en celui qui nous sauve. Ayant traversé l’épreuve de la mort que nous considérons comme un anéantissement, le Ressuscité nous dévoile que rien de ce qu’Il était avant la mort n’est perdu, mais se trouve magnifié dans ce que saint Paul appelle un corps spirituel (1 Corinthiens 15,44). La Résurrection apparaît ainsi comme la bonne nouvelle de la fin heureuse de toute aventure humaine. Là où l’homme donnait la mort, Dieu vient mettre la vie, confirmant toute l’Ecriture. Jésus ressuscité accomplit la promesse du Dieu des Pères. La figure de la femme dont la descendance écrasera la tête du serpent (Genèse 3,15), le peuple émergeant des eaux d’Egypte, sont autant d’annonces de la délivrance que Jésus réalise en son corps. Récapitulant toute l’histoire, tant celle écoulée en amont que celle à venir, le Christ ressuscité se donne un corps universel préparé au secret des Ecritures, dévoilé dans sa Résurrection, annoncé par ses Apôtres au monde appelé à advenir  à sa nouveauté. Par le pardon donné sur la Croix, par l’Esprit répandu dès le soir de Pâques, les forces du malheur sont détruites, l’Adversaire est vaincu.

            A la suite des Apôtres, l’Eglise, corps vivant du Ressuscité en notre humanité, atteste que l’œuvre pascale se poursuit. De Jérusalem jusqu’aux extrémités du monde, de la Pentecôte jusqu’à l’achèvement des temps, se forge patiemment l’humanité nouvelle née de la Résurrection. Le Christ est désormais la plénitude de l’univers et nous invite en ce temps de grâce à poursuivre la mise en œuvre de la parole des origines : « multipliez-vous et remplissez la terre » (Genèse 1,28) dans l’espérance du monde nouveau qu’Il instaurera lors de son retour dans la gloire du Père.


Dimanche 16 Mars : Pâques

LA PÂQUE DU SEIGNEUR ou LA VICTOIRE SUR L’IMPOSSIBLE

 « N’ayez pas peur !  Vous cherchez Jésus de Nazareth, le crucifié ? Il est ressuscité … » (Marc 16,6)

            Point d’aboutissement de la vie du Christ, la Résurrection est accomplissement de l’Ecriture, signature du Dieu vivant au terme de son œuvre créatrice et rédemptrice. En effet la Création est déjà en forme de Pâque. Dieu est la puissance qui nous suscite. Aussi en accueillant son action par la foi, nous avançons vers notre vie à la ressemblance divine.

            Par son péché l’homme arrête le mouvement de la vie et court à sa perte : la mort. Par son amour jusqu’à en mourir, le Christ inverse le cours mortel de nos destinées et donne à Dieu de se révéler en vérité comme le Dieu de la vie : son amour nous veut pour toujours avec Lui. Aussi le mystère pascal est-il le passage obligé pour accéder à la vie divine. Nous savons désormais que notre humanité n’a pas été créée pour la détresse mais pour connaître la joie de la communion trinitaire. En son humanité ressuscitée, le Christ retourne au Père, source et fin de toute vie. En lui nous percevons notre avenir : être participants de la nature divine.

L’Apôtre Paul nous le rappelle : « De même vous aussi pensez que vous êtes morts au péché, et vivants pour Dieu en Jésus-Christ » (Romains 6,11). La loi pascale est désormais inscrite en nos vies et doit aller jusqu’au terme de son œuvre.

            La foi accomplit ici son travail essentiel. En accueillant la lumière que fait resplendir le Ressuscité, elle nous place au terme de notre parcours humain et nous fait, par anticipation, exister dans l’univers de la Résurrection. Elle est la force qui nous permet de passer à Dieu à travers le mal qui nous atteint mais qui ne saurait l’emporter sur la puissance créatrice déployée par le Christ ressuscité au cœur de nos vies. La victoire sur l’impossible nous a été acquise. Exultons de joie avec le psalmiste : « Le Dieu qui est le nôtre est le Dieu des victoires, et les portes de la mort sont à Dieu, le Seigneur » (Psaume 67,21).


Dimanche 9 Avril

« Béni le règne qui vient ! » (Marc 11,10)

Par son entrée solennelle dans sa ville, Jérusalem, Jésus vient affirmer au seuil de sa passion qu’Il est bien « Celui qui vient au nom du Seigneur ».

                L’acclamation des foules témoigne paradoxalement de l’accomplissement des Ecritures. Le prophète Zacharie n’annonçait-il pas l’entrée du Roi-Messie monté sur la monture pacifique et non guerrière ? C’est cette venue du Règne qui s’accomplit mais non à la manière humaine – la restauration d’Israël – mais selon la bienveillance de Dieu : la délivrance d’une humanité asservie par le péché.

                La Passion du Seigneur est à la fois condamnation et salut. La condamnation inique du Juste devrait entraîner en retour la condamnation des injustes que nous sommes. Mais Dieu fait surabonder son amour là où le péché des hommes abonde. A la haine sans raison des hommes (Jean 15,25) répond un amour sans limite qui donne au Père de poursuivre et d’achever l’œuvre de création dont le Royaume est la plénitude.

                Dans l’hymne aux Philippiens (2,6-11) saint Paul médite admirablement le mystère rédempteur. En s’abaissant jusqu’à la mort de la Croix, le Christ ne s’anéantit pas dans notre malheur mais ouvre définitivement l’accès à la condition divine dont l’homme pécheur voulait s’emparer. En recevant le Nom qui est au-dessus de tout Nom, c’est-à-dire le Nom même de Dieu, le Christ nous donne de retrouver la ressemblance divine. Ainsi Dieu fait-il justice et casse le procès d’iniquité intenté à son Fils dont nous entendons le récit dans la liturgie de ce jour.

Puisse cette Semaine Sainte nous aider à suivre le Christ sur cette voie triomphale, celle de notre salut.

Aujourd’hui entrons avec Jésus à Jérusalem !


Dimanche 2 Avril

LE CHEMIN DE LA GLOIRE

            « Je mettrai ma Loi au plus profond d’eux-mêmes ; je l’inscrirai dans leur cœur » (Jérémie 31,33). La dernière étape du Carême nous place déjà en perspective de l’accomplissement du mystère du Salut par la Pâque du Christ. Tout au long de ces quarante jours, les grandes figures de l’Ancienne Alliance : Noé, Abraham, Moïse et aujourd’hui Jérémie, nous ont préparés à mieux accueillir le don de l’Alliance nouvelle dans le Christ Jésus. En effet, cette dernière est déjà présente dans la première. Mais une nouveauté surgit, prophétisée par Jérémie. Alors que l’homme demeurait en situation d’extériorité où la possession de la promesse divine passait depuis Moïse par l’observance toujours déficiente de la Loi, le Christ, par son Incarnation et le don de sa vie, fait accéder l’humanité au régime de la grâce et donc de l’intériorité. Désormais le fondement de l’Alliance Nouvelle est le pardon qui nous fait passer de l’ancien au nouveau, de la loi à la grâce. Par lui, le Christ fait resplendir en son humanité la gloire du Père, c’est-à-dire la mise en lumière de la vérité de l’être de Dieu qui est amour.

            Contrairement à tout ce que la défiance originelle pouvait inspirer à l’homme, Dieu apparaît pour ce qu’Il est vraiment : Dieu d’amour, Dieu de vie qui triomphe de toutes les forces de la mort, déchaînées par le péché. C’est au cœur de l’homme lui-même que cette victoire est remportée. C’est dans le contraire même de l’amour, dans ce qui conduit à la mort, que l’homme peut découvrir combien il est aimé et appelé à la vie. Dans la parabole du grain jeté en terre, Jésus nous fait comprendre que le chemin de mort librement assumé est pour lui chemin de gloire. Ce qui est en effet visé n’est pas le fait de mourir mais de porter du fruit, non pas de se perdre mais de se garder pour la vie éternelle.

            Le mystère de mort et de résurrection est la loi pascale à laquelle le Christ se soumet avec obéissance pour « être conduit à sa perfection » et « devenir pour tous ceux qui lui obéissent la cause du salut éternel » (Hébreux 5,9). Ainsi à Pâques la vie nouvelle submerge définitivement l’œuvre de mort. Non seulement le Christ y atteste la vérité de Dieu qui aime, mais il nous fait découvrir la réalité de notre propre glorification. L’Esprit Saint, don de Dieu, inscrit en nous la loi de germination de notre être nouveau. Ainsi l’Alliance nouvelle annoncée par Jérémie peut-elle être éternelle en nous faisant partager l’intimité de la gloire divine, la connaissance aimante du Père, du Fils et de l’Esprit.


Dimanche  26 Mars

VENIR À LA LUMIÈRE, FAIRE LA VÉRITÉ

            Dans la joie il nous faut nous « hâter avec amour au devant des fêtes pascales qui approchent » (Prière d’ouverture du 4ème dimanche de Carême). Déjà se dessine la lumière qui, chassant les ténèbres du péché, vient faire resplendir notre vérité d’hommes, aimés de Dieu. Mais ce passage s’accomplit au travers de la terrible épreuve de la Passion et de la mort du Fils de l’homme « élevé afin que tout homme qui croit obtienne par lui la vie éternelle » (Jean 3,14). En effet, si la gloire est le rayonnement de l’amour, alors la croix est bien le lieu où vient se révéler à nous l’être intime de Dieu qui veut nous aimer jusqu’au bout. Reprenant l’enseignement nocturne de Jésus à Nicodème, l’Évangéliste montre que le signe du Salut, à l’image du serpent de bronze dressé par Moïse dans le désert afin que « quand un homme était mordu par un serpent, et qu’il regardait vers le serpent de bronze, il conservait la vie » (Nombres 21,9), n’est autre que le Christ. Portant le poids du péché du monde, Il s’est fait péché pour nous et a révélé notre folie homicide. Mais en tournant les yeux vers Celui que nous avons transpercé (Jean 19,37), nous pouvons découvrir la plénitude d’amour qui surabonde face à notre défiance mortelle.

            Ainsi la Croix est-elle le trône de la gloire et par-là même celui du jugement. Contrairement à ce que nous pensons,  Dieu n’y est pas le juge. En son Fils, Il est la victime qui donne sa vie par amour. Dieu se situe toujours du côté de la vie parce qu’il est amour. Ce sont les hommes pécheurs qui jugent : « ils ont préféré les ténèbres à la lumière parce que leurs œuvres étaient mauvaises » (Jean 3,19). Toute expérience spirituelle véritable confirme la confusion que nous commettons entre le bon et le mauvais, entre ce qui donne la vie et ce qui s’y oppose. Il ne s’agit pas seulement d’une erreur d’appréciation, toujours redressable, mais d’un vice foncier dû au mensonge qui porte sur l’être même de Dieu. Seule la foi peut nous faire reconnaître la vérité et nous faire accéder au salut. « C’est bien par la grâce que vous êtes sauvés, à cause de votre foi. Cela ne vient pas de vous, c’est le don de Dieu » (Éphésiens 2,8).

Comme Nicodème, nous sommes invités à accueillir ce don capable de produire en nous des actes bons qui « seront reconnus comme des œuvres de Dieu » (Jean 3,21). Venant à cette lumière, nous y découvrons notre vérité de fils aimés du Père. Que cette fin de Carême nous aide à parcourir « cette voie que Dieu a tracée pour nous et que nous devons suivre » (Éphésiens 2,10).


Dimanche 19 Mars

LE  CHRIST, VRAIE LOI ET VRAI TEMPLE DE DIEU

 A l’origine du peuple de l’Alliance, la Loi et le Temple apparaissent comme deux éléments constitutifs essentiels de la vie religieuse, expressions l’une et l’autre du don de Dieu pour l’homme.

La Loi, en son exigence, est en fait libératrice puisqu’elle invite l’homme à se défaire de ses comportements idolâtriques, qu’ils soient le fruit de son imaginaire au travers de la personnification des puissances naturelles, ou encore celui de l’œuvre de ses mains. C’est ainsi qu’en plaçant au cœur du Décalogue l’institution du sabbat, en imposant la cessation de toute activité productive à l’image du repos divin au terme de l’activité créatrice, la Loi veut nous faire maîtriser notre propre domination sur les choses et les êtres, source de fascination mais aussi d’asservissement. En instaurant un temps de liberté offert à Dieu, la Loi nous rappelle que Dieu est l’Unique et que nous ne saurions diviniser quoique ce soit au risque d’en devenir les esclaves.

Quant au Temple, signe de l’Alliance entre Dieu et les hommes, espace de liberté, le voici, lui aussi, soumis à la tentation idolâtrique des hommes. Fierté d’Israël, il est pour lui tentation permanente de dire « Dieu à l’œuvre de ses mains ». Ce qui était destiné à exprimer la relation confiante de l’Alliance est devenu obstacle à la rencontre divine et cause d’un nouvel esclavage, celui de l’Argent et de la puissance. « Ne faites pas de la maison de mon Père une maison de trafic » (Jean 2,16) peut dire à bon droit celui qui, seul, est digne d’y habiter parce qu’ « Il est chez son Père » (Luc 2,49). Si la violence du Christ peut surprendre et étonner, elle est la conséquence d’un comportement d’esclave qui appelle un châtiment d’esclave comme jadis le fouet de la corvée en terre d’Egypte. « L’esclave ne demeure pas toujours dans la maison ; le fils, lui, y demeure pour toujours » (Jean 8,35).

En purifiant le Temple de tous les signes d’idolâtrie installés par les hommes, le Christ annonce une libération plus radicale encore. En subissant en son corps le fouet de la torture et la mort sur la Croix, le Christ libère l’homme de toutes ses servitudes et ouvre le chemin de la demeure de l’amour. En acceptant d’être le Messie crucifié : « scandale  pour les juifs,  folie pour les peuples païens (1 Corinthiens 1,23), le Christ ouvre dans son humanité ressuscitée le nouveau temps de Dieu, celui du grand sabbat divin. Il est aussi à jamais le lieu de la présence divine qui vient habiter l’humanité nouvelle restaurée par l’amour divin.


Dimanche 12 mars

CROIRE EN LA PAROLE QUI DONNE VIE

 « Parce que tu ne m’as pas refusé ton fils, ton fils unique, je te comblerai de bénédictions … » (Genèse 22,16-17).

Surprenant récit que celui de la demande par Dieu à Abraham de la vie du fils de la promesse ! Ne véhiculerait-il pas l’image d’un Dieu cruel, dénoncée avec raison par les « Maîtres du soupçon » ? En fait, avec beaucoup de finesse, l’auteur sacré montre comment Dieu fait accomplir à l’homme une évolution salutaire, passant des conceptions mortifères des divinités païennes assoiffées de sacrifices humains à l’Alliance avec un Dieu qui, par delà les angoisses et les peurs de l’homme, appelle à la vie par sa parole libératrice. Isaac est en effet le signe vivant de la fidélité de Dieu à sa parole. Donné une première fois dans son annonciation par les trois anges, il est à nouveau donné au travers de l’épreuve du sacrifice. Porteur de la promesse irrévocable, il est pour Abraham la preuve tangible que Dieu est vie et que la promesse demeure envers et contre tout, même dans la nuit de la foi. Dieu est Celui qui peut appeler à l’existence à partir du néant, de la mort. Ainsi que commente saint Paul au sujet d’Abraham : « Il n’a pas faibli dans la foi … il était pleinement convaincu que Dieu a la puissance d’accomplir ce qu’Il a promis » (Romains 4,19-21).

            Comme Noé sauvé des eaux, Isaac, sauvé de la mort, est une préfiguration du Christ. Dans l’offrande du fils, Abraham est une figure du Père qui « n’a pas refusé son propre fils, il l’a livré pour nous tous » (Romain 8,32). En assumant notre mort, Jésus révèle que Dieu est Père de manière unique. En se dépossédant du Fils bien aimé en notre faveur, en acceptant le passage par ce qui nous détruit, Dieu se manifeste comme source de vie capable de jaillir au cœur même de la mort. En évacuant de la vie la parole qui les appelle à l’existence, les hommes donnent à Dieu de relever le défi le plus radical qui lui ait été lancé. En désignant  le Transfiguré comme son « Fils bien-aimé » (Marc 9,7), Il annonce non seulement que la mort ne pourra prévaloir sur son amour, mais encore que notre vocation est de connaître aussi la gloire future de la Résurrection. « Tu es mon fils ; moi aujourd’hui, je t’ai engendré » chantait le psalmiste (2,7). Jésus ne peut rester prisonnier de la mort  car autrement celle-ci aurait raison de nous. La promesse de vie dont Isaac était porteur aurait été mensonge. Au contraire, la bénédiction d’Abraham s’étend jusqu’à la fin des temps. Le Christ est à jamais la descendance annoncée : « l’aîné d’une multitude de frères » (Romains 8,29). Que cette deuxième étape de Carême renouvelle notre confiance dans la Parole, qui éternellement, donne vie.


Dimanche 5 Mars

QUARANTE JOURS POUR UN RENOUVEAU

"Jésus venait d'être baptisé. Aussitôt l'Esprit le poussa au désert. Et dans le désert il resta quarante jours, tenté par Satan" (Marc 1,12-13).

Temps de grâce offert aux Baptisés pour renouveler profondément leur être chrétien, le Carême, en consonance avec toute la Révélation biblique, nous prépare par la prière, le jeûne et le partage, à entrer pleinement dans le mystère pascal. Il s'agit donc de faire la vérité sur nos manières d'être tant par rapport à Dieu que par rapport à nos frères et aux réalités de l'univers. En réinventant les gestes de la charité, en épurant nos rapports aux biens que nous consommons avec frénésie alors que tant de nos frères sont démunis du nécessaire, en revitalisant par la prière l'union à Dieu, nous pouvons suivre le Christ qui a voulu se retirer quarante jours au désert.

Par cette retraite, vivante synthèse de l'aventure d'Israël au désert de l'Exode, le Christ a préparé la venue en Lui de l'homme nouveau qui, victorieux de l'esprit du mal, peut proclamer en vérité : a Les temps sont accomplis : le règne de Dieu est tout proche. Convertissez-vous et croyez à la Bonne Nouvelle » (Marc 1, 15). Avec sobriété, l'Evangéliste souligne la nouveauté radicale que le Christ est venu inscrire en notre monde de péché et que, déjà, laissait pressentir la parabole théologique de l'Alliance avec Noé. Si, malgré les effets destructeurs du péché des hommes, le monde ne retourne pas au chaos originel, c'est qu'une puissance créatrice s'oppose victorieusement aux forces de division, de corruption. La bienveillance de Dieu est à l'oeuvre sans se lasser. Une alliance nouvelle, universelle, peut surgir parce que déjà présente en deçà des alliances nouées avec Abraham,

Moïse et David. Elle est l'assurance que le pardon de Dieu surmonte la défiance des hommes et sauve à jamais cet univers et ceux qui l'habitent d'un retour au néant originel.

Mais Noé n'est que la figure de Jésus. Messie de Dieu, seul Juste, Il est dans notre humanité le signe que la multitude des coupables que nous sommes est appelée au salut. Si Noé traversait les eaux de la mort, Jésus s'y engloutit pour y faire surgir le monde de la Résurrection. Cette nouveauté radicale surgit pour tout homme par la grâce du Baptême. Non seulement nous échappons à l'emprise d'une mort éternelle, mais nous accédons à la vie même de Dieu. o Dès maintenant, nous sommes enfants de Dieu, mais ce que nous serons ne paraît pas encore clairement » (1 Jean 3,2). Aussi faut-il nous engager o avec une conscience droite o (1 Pierre 3,21) pour qu'advienne en nous le fruit du salut, celui de l'amour qui sauve. A nous d'en poser les gestes au long du saint temps des quarante jours!


Dimanche 26 février

L'ÉPOUX DES TEMPS NOUVEAUX

 « Tu seras ma fiancée et ce sera pour toujours" (Osée 2,21).

L'histoire mouvementée des relations d'Israël avec Dieu, symbole des rapports orageux de l'humanité avec son Créateur, est comparée à des noces où la fidélité de "Dieu-époux" se heurte trop souvent à l'infidélité du "peuple-épouse". Mais parler de noces, c'est mettre en valeur le ressort essentiel de l'Alliance qui, avant d'être celui de la Loi, est celui de l'amour que Dieu porte  à la créature qu'Il a voulue à son image et à sa ressemblance.

L'histoire personnelle du Prophète Osée est à ce titre révélatrice de l'attitude divine. C'est en abandonnant toute forme de coercition à l'encontre de l'épouse infidèle, c'est en revenant à l'origine, au temps des fiançailles, celui où l'on se parle "cœur à cœur" (Osée 2,16), où sont apportés "la justice et le droit, l'amour et la tendresse… la fidélité" (id.v21), que l'Alliance conjugale peut repartir sur des bases nouvelles. L'amour que Dieu nous porte, par delà tous les écarts innombrables que nous commettons par notre péché, demeure le meilleur garant de la communion à laquelle nous sommes invités. Le Christ en est la parfaite réalisation. L'Evangile nous montre comment en se désignant Lui-même sous le nom d'Epoux, Jésus a conscience qu'en Lui Dieu accomplit sa promesse :"Comme un jeune homme épouse une jeune fille, celui qui t'a construite t'épousera, comme la jeune mariée est la joie de son mari, ainsi tu seras la joie de ton Dieu" (Isaïe 62,5).

            Les noces humaines, sanctifiées par le sacrement du mariage, sont désormais le signe réel, efficace, du temps de salut inauguré par le Christ. C'est dans la Pâque que sont scellées à jamais les noces de Dieu et de l'humanité. Cette perspective, le Christ l'annonce en soulignant "qu'un temps viendra où l'époux leur sera enlevé" (Marc 2,30). Mais au-delà de la mort, la résurrection, qui est aussi "montée vers le Père" (Jean 20,17), fait place à un nouvel éloignement dû à l'invisibilité du Christ ressuscité. Nous sommes ainsi placés dans une situation de jeûne où seule parle la Foi ; le "croire sans voir" (Jean 20,29) nous fait discerner la nouveauté absolue qui est advenue dans notre histoire.

            Les trois images paraboliques de l'Evangile : celles des noces, du vêtement et du vin, nous disent que le chemin du salut est désormais ouvert à ceux qui se laissent renouveler par l'Esprit du Christ, l'Esprit de l'Alliance nouvelle tant attendue par les Prophètes. Saint Paul nous le confirme : "Notre capacité vient de Dieu : c'est Lui qui nous a rendus capables d'être les ministres d'une Alliance nouvelle … celle de l'Esprit du Dieu vivant" (2 Corinthiens 3,6).


Dimanche 19 février

LE PARDON LIBÉRATEUR

"Pitié pour moi, Seigneur, guéris-moi, car j'ai péché contre toi!" (Psaume 40,5).

Après le récit de la guérison d'un lépreux, par laquelle le Christ, échangeant symboliquement de statut avec le malade, signifiait l'accomplissement de la prophétie du Serviteur souffrant d'Isaïe, l'Évangéliste Marc relate la guérison d'un paralysé en mettant en valeur le pardon des péchés. Une inflexion nouvelle est ainsi donnée. Il s'agit en effet de reconnaître la puissance de salut mise en oeuvre par le Christ au nom de son Père à travers le pardon des péchés. Mal et péché ont en effet partie liée en affectant l'homme dans son unité. C'est celle-ci que le Christ est venu restaurer, guérissant l'homme de ce qui le paralyse en profondeur.

La réaction négative  et hostile  des  scribes met  en évidence l'identité divine du Seigneur. En appelant le paralysé "mon fils", en lui remettant ses péchés, jésus revendique le pouvoir divin, entraînant ainsi l'incompréhension et la fureur de la part de ses

adversaires. Pourtant le Seigneur prend soin de ne pas se faire la source du pardon qui s'origine dans la personne du Père. Envoyé par lui, c'est sa mission de Fils que de porter le pardon à l'humanité souffrante. C'est au prix de sa vie, par sa mort sur la Croix, que le Christ nous donne ce pardon, seul capable de régénérer en profondeur notre être pécheur : "Père, pardonne-leur : ils ne savent pas ce qu'ils font" (Luc 23,34). En s'enfonçant librement dans la mort que nous lui donnons, le Seigneur nous libère des liens mortels du péché et nous rend notre liberté pour advenir à notre vérité de fils aimés du Père. En relevant le paralysé, en le remettant en route, en lui donnant de rentrer chez lui, le Christ annonce prophétiquement l'enjeu de la Résurrection. "Toutes les promesses de Dieu ont trouvé leur "oui" dans sa personne" écrit saint Paul (2 Corinthiens 1,20). C'est en effet dans sa Résurrection d'entre les morts, dans sa sortie du tombeau, dans sa "montée vers son Père qui est notre Père, son Dieu qui est notre Dieu" (Jean 20,17) que le Christ, l'homme nouveau selon le cœur de Dieu, nous délie des liens du péché et nous donne de prendre la route qui conduit au Royaume de vie et d'amour.

L'Église a reçu de Lui le ministère de la réconciliation. Par le pardon des péchés dans le sacrement de la pénitence, elle continue l'oeuvre de délivrance accomplie par son Seigneur. Que le Carême qui s'annonce soit l'occasion de participer à cette oeuvre de salut en puisant à la source de la miséricorde. Que nous puissions nous aussi rendre grâce: "Nous n'avons jamais rien vu de pareil" (Marc 2,42).


Dimanche 12 février

L'ECHANGE REDEMPTEUR

« Tant qu'il gardera cette plaie, il  sera impur. C'est pourquoi il habitera à l'écart, sa demeure sera hors du camp"
(Lévitique 13,46).

 Maladie endémique aux effets spectaculaires, la lèpre a revêtu durant des siècles un caractère religieux dont la Bible se fait l'écho, notamment dans les règles de pureté édictées au Livre du Lévitique. Sans doute le caractère alors inexpliqué de son apparition et de sa disparition renforçait-il la croyance qu'elle était l'expression corporelle de la sanction divine du péché de l'homme. Celui qui en était affligé se trouvait soumis, non seulement à la douloureuse corruption de son être corporel, mais aussi à l'exclusion de toute vie communautaire. Il était enfermé dans son statut d'intouchable, d'impur, dont seule la guérison dûment constatée par un prêtre pouvait l'en sortir. Le lien maladie-péché était encore renforcé par le rite sacrificiel auquel, guéri, il devait se soumettre. Malgré son caractère odieux, une telle conception avait cependant le mérite de mettre en valeur l'unité de l'homme. Si le lépreux n'est pas plus pécheur que quiconque, si sa maladie n'est pas à mettre en relation avec son péché, il n'en est pas moins en proie au mal de l'homme qui est à la fois malheur et péché.

Aussi est-ce de cet engrenage mortel que l'homme doit être arraché. 'Je le veux, sois purifié" (Marc 1,41) déclare le Christ au lépreux. En accomplissant cette guérison, le Christ pose un acte créateur. Il apparaît comme détenteur d'une Puissance régénératrice dont Il use au profit de l'homme, sans autre motif que la volonté , aimante du Père qui désire que tout homme soit sauvé. Aussi Jésus franchit-Il toutes les barrières légales que dressent les hommes pour se prémunir dérisoirement du mal. En bousculant les interdits, Il accomplit l'échange rédempteur, source du salut. Transgressant la loi, le Christ touche le lépreux et contracte son impureté. Par ce geste, II annonce l'accomplissement de la prophétie d'Isaïe :" ... semblable au lépreux dont on se détourne... le châtiment qui nous obtient la paix tombe sur lui, et c'est par ses blessures que nous sommes guéris" (Isaïe 53, 3...5). Cet accomplissement, le Christ le réalisera sur la Croix.

Ainsi que l'écrit l'auteur de la lettre aux Hébreux : "C'est pourquoi Jésus... voulant sanctifier le peuple par son propre sang, a souffert sa Passion en dehors de l'enceinte de la ville. Eh bien ! pour aller à sa rencontre, sortons en dehors de l'enceinte, en portant la même humiliation que lui" (Hébreux 13,12.13). Rejoindre le Christ qui s'est fait lépreux pour nous, c'est guérir de notre propre lèpre, celle du péché. En le rejoignant à la table des pécheurs - notre place - nous sommes sûrs d'être justifiés par son amour.


Dimanche 5 Février

DU CRI DE JOB A LA BONNE NOUVELLE DE JÉSUS

« Souviens-toi, Seigneur : ma vie n'est qu'un souffle, mes yeux ne verront plus le bonheur" (Job 7,7)

        Malheurs, souffrances de toutes sortes et, in fine, la mort, constituent la question la plus lancinante de la condition humaine. La grande diversité des comportements et des courants de pensée sur ce sujet manifeste le grand désarroi des hommes devant des situations qu'ils ne peuvent maîtriser. L'Ancien Testament se fait le réceptacle privilégié du problème du mal et apporte des réponses souvent peu satisfaisantes en se contentant d'un providentialisme simpliste selon lequel le juste est récompensé et le méchant puni.

            Avec la parabole théologique de Job, apparaît pour la première fois une sérieuse contestation de la position officielle cherchant à exonérer Dieu, fut-ce au prix de l'injustice. L'auteur met en scène un homme des anciens temps, non directement lié au peuple de l'Alliance, mais possédant toutes les caractéristiques du juste selon un modèle universel. Frappé en ses biens et en sa personne, Job clame son innocence et somme Dieu de justifier les raisons de ce que la doctrine classique présente comme un châtiment divin. Dans la nuit de son désarroi, il fait monter son cri vers Dieu qui l'entend sans pour autant apporter la réponse attendue. Il faut maintenir la confiance au cœur même de la plus apparente injustice.

            C'est avec le Christ que le débat peut rebondir de manière significative. Dès l'ouverture de son ministère, Jésus affirme par ses gestes que Dieu est foncièrement ennemi du mal qui meurtrit l'homme. Non seulement Il n'est en rien impliqué dans les causes de nos souffrances, mais Il vient les combattre personnellement en son Fils. "Jésus s'approcha d'elle, la prit par la main, et la fit lever" (Marc 1,31). Les verbes utilisés ici expriment toute la compassion de Dieu qui vient au devant de la détresse humaine tant physique que spirituelle. Il veut nous ressaisir dans la plénitude de notre être et nous faire accéder à la dignité de partenaires libres de l'Alliance. Job était une préfiguration encore lointaine du Christ. Celui-ci vient éprouver librement notre malheur au sein de la plus extrême injustice. C'est en assumant dans sa passion et sa mort la totalité de la détresse humaine, c'est en nous faisant le don de sa vie, que le Christ apporte la réponse à tous les Job de la terre. Traversant dans notre humanité toute l'expérience du malheur, le Christ, sorti du Père pour accomplir ce dessein d'amour, retourne au Père en nous ouvrant à jamais le chemin qui mène au Royaume où nous serons en vérité "comme des dieux" selon l'antique promesse. Le cri de Job trouve désormais sa réponse dans la Bonne Nouvelle du Christ.


 Dimanche 29 Janvier

DE MOÏSE A JÉSUS OU DE L'AUTORITÉ DE LA PAROLE

« Je ferai se lever au milieu de leurs frères un prophète comme toi ; je mettrai dans sa bouche mes paroles" (Deutéronome 18,18). Une des constantes de la Révélation divine est le choix que Dieu fait des hommes pour que sa parole puisse atteindre toute l'humanité. Les Prophètes de la première alliance sont l'annonce et l'anticipation de l'unique Prophète, le Christ, que Dieu veut faire surgir du milieu de ses frères. Par eux s'ouvre le chemin que se trace la Parole à travers toute l'épaisseur de l'histoire. A son tour l'Eglise est le relais de cette parole unique que Dieu nous adresse en "ce Fils qu'il a établi héritier de toutes choses et par qui il a créé les mondes" (Hébreux 1,2). Moïse et ceux qui lui ont succédé avaient pour mission de transformer en parole humaine compréhensible, audible, celle qui, par nature, était sans mots. Porteur de la parole de la libération de l'esclavage, de la création du peuple de Dieu par le don de la Loi, Moïse est un commencement. Pour autant il n'est pas absolu, car s'il était l'initiateur, il ne l'était qu'en référence à une Parole qui ne venait pas de lui mais qu'il était chargé de transmettre au peuple qui ne pouvait l'entendre.

            Le Christ, Lui, est le commencement absolu, l'ultime mot de Dieu "en ces temps qui sont les derniers" (Hébreux 1,2). Alpha et Oméga de toute chose, Il est la parole que rien ne précède, par qui toute chose existe. Parole créatrice, Il est aussi parole recréatrice qui engendre l'homme à sa nouveauté. Aussi est-il le seul à pouvoir imposer silence à tout ce qui s'oppose au dessein bienveillant du Père, à tout ce qui entraîne l'homme malade vers le néant de la mort : "Silence ! Sors de cet homme" (Marc 1,25). La violence de la scène d'exorcisme que relate l'évangéliste montre qu'une rude résistance est opposée à l'action vivificatrice par le mal qui nous tient. Le combat pascal est engagé qui culminera en la Pâque.

            La parole créatrice, qui fit surgir l'univers à son existence à partir du chaos originel, est désormais présente, appelant l'homme à entrer dans la vie en acceptant de mourir à ce qui, en lui, est cause de corruption : le péché. Mais en raison de notre peur, de notre refus de croire à l'amour, Celui qui a imposé silence à l'esprit mauvais devra connaître le silence de la mort. Ce sera dans la faiblesse de la Croix, dans le cri de l'expiration que Jésus dévoilera toute son autorité pleine de  douceur et de miséricorde pour que nous puissions l'accueillir librement et sans crainte. Dieu-avec-nous, homme avec Dieu, Il est en vérité le "Saint de Dieu" (Marc 1,25).


Dimanche 22 Janvier

RISQUER LA CONFIANCE ou CROIRE A LA BONNE NOUVELLE

« Frères, je dois vous le dire : le temps est limité … car le monde tel que nous le voyons est en train de passer »
(1 Corinthiens 7,29.31).

Les trois lectures de ce jour insistent avec force sur une urgence, celle de la conversion, car le temps est limité. Un changement radical doit s’opérer dans nos vies. Il est préfiguré par les conversions des Ninivites à la suite de la prédication de Jonas. Il se précise avec l’enseignement de l’Apôtre Paul et l’appel de Jésus. Un mode de vie doit disparaître. Il faut supprimer de nos existences tout ce qui est négation de l’amour, les conduites perverses qui ont pour nom : exploitation d’autrui, domination, violences. Cela est vrai des relations communautaires et intercommunautaires, qu’elles soient politiques, sociales ou économiques, mais aussi dans l’ordre des relations interpersonnelles, particulièrement dans celui de la sexualité comme le rappelle saint Paul. Mais notre propre volonté est incapable d’enrayer le mal qui fait son œuvre et il nous faut entrer dans une dimension nouvelle de l’existence que Dieu seul peut proposer. C’était le sens de la prédication du Baptiste qui, bien qu’en demeurant sur un plan moral, ouvrait à l’accueil de Celui qui vient pour être le Règne de Dieu au milieu de nous. Par essence transcendant à nos réalités humaines, ce signe surgit dans notre horizon temporel dans la personne du Verbe incarné. Il se fait présent à tous les événements de notre vie : « Mon Père, jusqu’à maintenant est toujours à l’œuvre, et moi aussi je suis à l’œuvre » (Jean 5,17).

Suivre le Christ est le chemin de conversion qui conduit au Royaume. Répondant à l’appel du Seigneur qui les arrache à leurs préoccupations quotidiennes, les humbles pécheurs de Galilée sont en présence de la Parole de Dieu incarnée, sans autre médiation que celle de l’humanité de Jésus de Nazareth. Il ne s’agit pas de suivre une idée, une doctrine, mais d’entrer dans une relation personnelle qui se noue dans l’amour que Dieu nous porte. Comme Simon et André, tout chrétien est appelé à risquer sa confiance en cette Parole qui est source de vie. Devenir pécheur d’hommes, c’est participer à l’œuvre pascale du Christ. De même que le Christ, plongé dans le Jourdain, émerge à la manifestation de sa filiation divine, de même les hommes auront à émerger des eaux de la mort pour entrer dans la vie. Ouvrir le chemin de la Pâque est désormais la tâche de l’Église qui veut être fidèle à son Seigneur : « Allez dans le monde entier. Proclamez la Bonne Nouvelle à toute la Création. Celui qui croira et sera baptisé sera sauvé » (Marc 15,15.16).


Dimanche 15 janvier

RENCONTRER DIEU

 « Que cherchez-vous ? » (Jean 1,38).

La liturgie de ce dimanche nous invite à méditer sur l’événement qui devrait constituer le but de toute vie humaine : la rencontre de Dieu. Sans avoir la prétention d’atteindre aux hauteurs mystiques des grands spirituels, chacun a pu faire l’expérience d’un moment de grâce au cours duquel la présence divine s’est imposée de manière irrécusable donnant un sens nouveau à son existence où désormais la foi, l’espérance et la charité prenaient tout leur poids.

Les lectures du jour nous proposent plusieurs types de rencontres qui peuvent nous aider à percevoir la manière dont Dieu agit pour se faire connaître. Le jeune Samuel « ne connaissait pas encore le Seigneur, et la Parole de Dieu ne lui avait pas encore été révélée » (1 Samuel 3,7). Tout se passe comme si sa vie n’avait pas encore commencé. A l’opposé, l’Evangile nous présente deux disciples du Baptiste, André et Jean, qui ont quitté leur milieu familial et professionnel pour une recherche qu’ils ne peuvent encore exprimer clairement. Dans les deux cas, la rencontre ne s’accomplit que sur intervention d’un tiers : le prêtre Eli pour Samuel, le Baptiste pour ses deux disciples. C’est à travers leur parole que l’appel est perçu et permet la rencontre.

Celle-ci a pour effet immédiat de mettre en mouvement les bénéficiaires. Dieu ne cherche pas à nous maintenir dans l’immobilité de nos existences, mais veut nous ouvrir à une vie nouvelle. Samuel, sans bouger géographiquement, va advenir à sa condition de « prophète du Seigneur » (1 Samuel 3,20). Quant à André et Jean, ils engagent un déplacement fondateur de leur nouvelle condition. Leur quête errante s’achève. La conversion prêchée par le Baptiste s’accomplit en eux. Ils se sont tournés vers Celui qui vient vers eux. C’est en Lui qu’ils trouvent leur demeure.

Un troisième élément que produit la rencontre est la création d’une nouveauté dans l’être même de celui que Dieu appelle. Ainsi Samuel devient-il « prophète ». Simon, le frère d’André devient Képha, c’est-à-dire Pierre. Ce changement de nom est le signe d’une création nouvelle. Titre messianique par excellence, celui qui le reçoit de la bouche même du Messie se trouve associé à sa destinée. C’est la route pascale qu’il va falloir parcourir afin qu’au terme se lève l’humanité nouvelle, unie dans l’amour de Dieu qui nous appelle tous à vivre dans la demeure préparée par le Christ pour « tous ceux qui croient sans avoir vu » (Jean 20,29)


Dimanche 8 Janvier 

 DIEU POUR TOUS

 « Par révélation, (Dieu) m'a fait connaître le mystère du Christ… " (Éphésiens 3,3).

            Dans la lumière de la Nativité, l'Église nous offre de méditer le mystère du Christ à partir de l'un des événements les plus significatifs de son enfance. Au-delà de l'imaginaire chrétien toujours prolixe en représentations pouvant friser le "merveilleux", dans la même perspective que nos frères d'Orient qui font de l'Épiphanie une fête théologique majeure du calendrier liturgique, il nous faut discerner le mystère que Dieu "n'avait pas fait connaître aux hommes des générations passées, comme il l'a révélé maintenant par l'Esprit à ses saints Apôtres et à ses prophètes" (Éphésiens 3,5).

            En effet ce qui est le fondement de toute la création, sans pour autant faire nombre avec elle, se manifeste tant dans le cosmos, symbolisé par l'étoile des Mages, que dans l'histoire des hommes. Ce qui était antérieur à tous les êtres, encore invisible et inaudible, se rend désormais visible et audible sous les traits de l'enfant de Bethléem. En cet être singulier, héritier d'une longue tradition humaine et religieuse particularisée dans le concert des nations païennes, se récapitule toute l'humanité. Il est celui que Pilate désignera prophétiquement dans la tourmente de la Passion : "Ecce homo, voici l'homme" (Jean 19,5).   Récuser l'épisode des Mages au nom de la raison raisonnante qui prétend dire ce qu'est l'histoire, c'est s'interdire l'accès à la compréhension du mystère du Salut que Dieu est venu accomplir en son Fils. Ce sont en effet des païens idolâtres qui reconnaissent la royauté de l'Enfant-Dieu, guidés par un élément du cosmos objet de leur science et de leur croyance. Mais à l'autre extrémité de la vie du Christ, c'est un autre païen, idolâtre du pouvoir humain qui, prophétiquement, reconnaîtra "le Roi des Juifs" (Jean 19,19 et sq) en le clouant à une croix. C'est à Jérusalem, tant à l'orée qu'au terme de l'existence du Christ, que se révèle sa véritable identité alors même que se déchaîne la folie homicide des hommes, depuis Hérode le persécuteur jusqu'aux grands prêtres sacrificateurs. C'est dans la Parole silencieuse du cosmos que les Mages découvrent le chemin du Salut. C'est devant la Parole exténuée dans le silence de la mort qu'un autre païen proclamera : "vraiment cet homme était le Fils de Dieu ! " (Marc 15,38). Ainsi les Mages inaugurent la route de la Rédemption et sont le "gage du salut d'Israël tout entier" (Romains 11,25). L'Église à leur suite proclame l'Évangile du Salut, afin que tous soient "associés au même héritage, au même Corps, au partage de la même promesse dans le Christ Jésus" (Éphésiens 3,6)


 Dimanche 1er Janvier  2006

THEOTOKOS, MERE DE DIEU

« Que le Seigneur te bénisse et te garde ! … que le Seigneur tourne vers toi son visage, qu'Il t'apporte la paix !"
(Nombres 6,24…26)

            Les conventions humaines nous donnent, à l'occasion d'une année nouvelle, d'appeler les uns sur les autres la bénédiction du Bonheur. Cette coutume des vœux, parfois un rien hypocrite, mais souvent sympathique, est cependant bien loin de rendre la richesse et l'efficacité de la bénédiction divine par laquelle débute opportunément la liturgie de ce Dimanche en la fête de la Mère de Dieu qui préside traditionnellement à la naissance de chaque année nouvelle.

            La bénédiction divine que Moïse doit transmettre à sa descendance retentit depuis les origines de l'humanité à travers le "Soyez féconds et multipliez-vous" de la Genèse (1,28) jusqu'à sa réalisation en la Vierge Marie "bénie entre toutes les femmes" (Luc 1,42). Cette bénédiction prend chair en elle. Elle est le Christ qui se fait désormais contemporain de chaque génération de l'histoire humaine. Si nos années s'écoulent, elles se déroulent désormais en Lui. Le temps du Christ n'est pas un temps qui passe, mais qui demeure afin que nous demeurions en lui et que, par lui, avec lui, le Père demeure aussi en nous. C'est pourquoi cette bénédiction donne à Marie d'être en vérité THEOTOKOS, Mère de Dieu.

            Depuis son origine, l'Église a médité ce mystère indicible. Elle l'a exprimé en ce simple mot : "THEOTOKOS" proclamé au Concile d'Éphèse en 431. Certes Dieu est la source de l'être, l'origine sans origine. Aussi Marie ne saurait être mère de la divinité ! Mais, par sa Parole, par sa bénédiction, Dieu lui donne de mettre au monde Celui qui est Dieu fait homme. Ainsi l'humanité du Verbe fait chair, tissée aux entrailles maternelles par l'Esprit Saint, est liée à jamais à sa divinité sans confusion, ni distinction.

            Ce faisant, le Fils de Dieu, être libre par excellence, en naissant d'une femme, se fait aussi "sujet de la loi de Moïse pour racheter ceux qui étaient sujets de la loi et pour faire de nous des fils" (Galates 4,5). Sur sa croix le Fils libre, devenu esclave pour nous, met à mort notre esclavage pour nous rendre "héritiers par la grâce de Dieu" (Galates 4,7). La Vierge Marie, par son acceptation ultime, participe aussi à cette ultime bénédiction. Confions-lui notre avenir, celui de ce monde qui passe, de notre humanité toujours en quête de sens.


ANNEE 2005

 

 Dimanche 25  Décembre 2005

NOËL, PLENITUDE DE JOIE

« Voici que je viens vous annoncer une bonne nouvelle, une grande joie pour tout le peuple : aujourd'hui vous est né un Sauveur" (Luc 2,10-11 – Nuit de Noël).

            Dans le silence d'une humanité assoupie, repliée sur elle-même dans les ténèbres du péché, le mystère "resté dans le silence depuis toujours est aujourd'hui manifesté" (Romains 16,25). Naissant à notre humanité, Dieu est désormais "Dieu- avec-nous" afin que nous naissions à Lui. Il accomplit ainsi le dessein de son amour. De même qu'à l'origine la Parole divine avait présidé au surgissement de la vie, de même cette Parole fait-elle apparaître l'homme que Dieu espère depuis le commencement.

            Cet accomplissement échappe à tout pouvoir humain. Il est l'œuvre de l'Esprit. De même que celui-ci tournoyait sur les eaux infécondes pour en faire surgir la vie, de même fait-il naître en la Vierge Marie, obombrée de sa présence, Celui par qui, en qui, tout ce qui est, existe. En "plantant sa tente parmi nous" (Jean 1,14), le Verbe fait chair nous ouvre le chemin de notre naissance à Dieu. Ce mystère de l'avènement de l'humanité nouvelle, Israël en accueillait déjà le signe au travers des annonces messianiques : "Tu es mon Fils, aujourd'hui je t'ai engendré" (Psaume 2,7). En les accomplissant, le Christ dévoile l'être-homme selon le cœur de Dieu.

            Tous les événements qui entourent la Nativité annoncent déjà, par-delà  Noël, le combat pascal. Dieu n'a pas abandonné son peuple. Il vient à son côté, en son sein, pour apporter le Salut : "On ne t'appellera plus : "la délaissée", on n'appellera plus ta contrée : "terre déserte", mais on te nommera : "ma préférée, on nommera ta contrée : "mon épouse" (Isaïe 62,4). Noël nous fait ainsi découvrir notre destinée à travers la naissance du Fils éternel. Nos destinées personnelles ou collectives sont ressaisies pour être portées à leur achèvement.

            Plus profondément, Noël nous fait entrer dans une relation d'intimité avec Dieu qui veut révéler le secret de son être trinitaire. Le visage filial de l'enfant de la crèche laisse apparaître le visage paternel de Dieu : "Celui qui m'a vu, a vu le Père" (Jean 14,9) est déjà vrai à la crèche comme en témoignent les humbles bergers qui "glorifiaient et louaient Dieu pour tout ce qu'ils avaient entendu et vu selon ce qui leur avait été annoncé" (Luc 2,10). L'émergence de l'enfant-Dieu révèle la bonté, la tendresse, la miséricorde du Dieu unique qui, Père, Fils, et Saint Esprit, se fait serviteur de la vie des hommes. "En lui était la vie, et la vie était la lumière des hommes" (Jean 1,4).


18 Décembre 2005

LE TEMPS DE L'ACCOMPLISSEMENT

 « … Avec mon élu, j'ai fait une Alliance, … j'établirai ta dynastie pour toujours" (Psaume 88,4…5).

            Avec la quatrième étape de l'Avent la figure de Jean-Baptiste s'estompe, laissant apparaître celle de la Vierge Marie. Le temps des prophètes et des promesses est clos. S'ouvre celui de la manifestation du "mystère resté caché dans le silence depuis toujours" (Romains 16,25). En prenant chair en Marie, Dieu vient par son Fils apporter une réponse à la question qu'Israël n'a cessé de se poser tout au long de son histoire : comment Dieu peut-il être "avec-nous" ? Certes l'Arche d'Alliance, puis le Temple de Jérusalem, étaient d'une certaine manière le signe de la présence divine au milieu du peuple. Mais Dieu peut-Il être fixé en un lieu, Lui qui au cours de l'Exode s'est révélé comme le Dieu de la plus extrême mobilité, de l'espace, de l'insaisissable, de l'invisible ? N'avait-Il pas Lui-même fait savoir à David qu'Il ne voulait pas d'autre demeure qu'une lignée d'où surgirait Celui qui, récapitulant toute l'humanité, serait la perfection de l'Alliance entre Dieu et les hommes, demeure non faite de main d'homme mais fruit de l'action de l'Esprit, le don de Dieu ? Ainsi cette nouvelle demeure n'est plus liée à un temps et à un espace.

            En Marie s'accomplit la promesse faite à David. Accueillant avec foi la Parole de Dieu portée par l'Ange, la jeune fille de Nazareth devient le lieu où se tisse la nouvelle Alliance. En elle, l'Esprit donne à Dieu de trouver le lieu de son repos. En elle, la Parole créatrice, origine de toute vie, vient assumer notre condition de créature. Celle qui, à la lettre, est demeure de Dieu – "Le Seigneur est avec toi" – devient la figure de l'humanité croyante appelée à être à son tour avec le Seigneur au point de devenir son Corps. Ainsi par son histoire personnelle, la Vierge Marie permet-elle la manifestation de ce qui est en germe depuis le commencement. A l'invitation de l'Ange, Marie s'est mise en route rapidement vers sa cousine Elisabeth, dernier jalon des promesses de l'ancienne Alliance. Le nouveau se retourne vers l'ancien en son accomplissement. Cette nouveauté, le Christ l'a déployée en sa Résurrection. Son corps de chair, transfixé à la croix, a reçu la plénitude de vie qu'Il vient communiquer aux membres de son Corps. Que Dieu nous donne aussi la grâce de nous lever, de partir en hâte vers le lieu de notre repos : "Le Seigneur est avec nous".


Dimanche 11 Décembre 2005

LA JOIE DANS L'ESPRIT

« Dirige notre joie vers la joie d'un si grand mystère …"
(Prière d'ouverture de la Messe)

            La tradition liturgique a retenu pour dénommer ce troisième dimanche de l'Avent le premier mot de l'antienne grégorienne du jour : "Gaudete", "réjouissez-vous toujours dans le Seigneur". N'aurions-nous pas quelque peu perdu la clef de cette joie ? La liturgie de ce jour nous rappelle opportunément que la joie est liée à la présence de l'Esprit. Notre difficulté à exulter de joie pourrait donc bien trouver son origine dans l'insuffisance de la mise en œuvre de ce qu'évoque l'Apôtre Paul : ne pas éteindre l'Esprit, prier sans relâche. Son enseignement est en parfait accord avec toute la Révélation.

            Ainsi le Prophète du retour d'Exil, annonçant la venue messianique, parlait-il d'une "joie dans le Seigneur", d'une "exultation en Dieu" (Isaïe 61,10). Ce sont ces mêmes mots que l'on retrouve dans le chant du Magnificat de la Vierge Marie. Quant au Christ, les Evangélistes notent à propos de la prière de louange que "Jésus exulta de joie sous l'action de l'Esprit Saint" (Luc 10,21). C'est donc l'Esprit qui, par la foi qu'Il nous donne en la fidélité de Dieu à sa promesse, est source de joie comme Isaïe, Marie et Paul en font l'expérience.

            L'Avent est ce temps privilégié où, sous la mouvance de tels témoins, nous pouvons, nous aussi, retrouver cette joie profonde par le renouvellement de notre foi. Jean-Baptiste est à ce titre un jalon essentiel sur notre route. En réponse à l'interrogation de ses interlocuteurs sur son identité, il s'affirme comme n'étant ni une figure prophétique du passé, ni comme détenant les clés de l'avenir, mais seulement comme la voix qui récapitule les innombrables paroles prophétiques préfigurant la Parole unique que le Père fait retentir en son Fils. Elle est porteuse d'une nouveauté pourtant ancienne. Dieu est fidèle à sa promesse et vient la réaliser. Jean-Baptiste est comme traversé par cette Parole qui, ayant pris chair de la Vierge Marie, a rendu à jamais visible pour l'homme le visage de Dieu. Désormais au milieu de nous, le Christ est le passage obligé pour tout homme qui veut surgir à sa nouveauté. Il est la Bonne Nouvelle en acte que Dieu est venu révéler aux hommes. L'Esprit reçu au Baptême nous le fait connaître pour éprouver la joie d'avoir en Lui la vie, le mouvement et l'être. (Acte 17,28)


 Dimanche 4 Décembre 2005

ATTENTE NOUVELLE 

« Préparez à travers le désert le chemin du Seigneur"       (Isaïe 40,3).

 Poursuivant notre marche vers la Nativité, la deuxième étape de l'Avent nous invite à nous interroger sur notre désir d'aller à la rencontre de Dieu qui vient vers nous, de voir se réaliser sa promesse de l'événement d'un ciel nouveau, d'une terre nouvelle (2 Pierre 3,13). Si un tel désir nous anime, alors nous aurons la joie de découvrir que Dieu répond en le comblant.

  Par nos refus d'aimer, nous faisons de nos existences des lieux arides : désert de la solitude fondamentale de l'être, désert sans chemin, désert hostile où le péché nous aliène, désert-chaos où règnent la souffrance et la mort. S'il n'est pas en notre pouvoir de faire venir Dieu, il nous est en revanche demandé de Lui ouvrir la voie. Autrefois Dieu désirait revenir avec les Exilés à Jérusalem. De même aujourd'hui désire-t-Il entrer avec nous dans le Royaume de son amour.

  Ce passage est comme une naissance nouvelle à laquelle Jean-Baptiste prépare les hommes par le rite baptismal. Sur les bords du Jourdain, frontière symbolique entre la terre désertique du péché et la terre de la promesse de la libération, il est comme un passeur qui, à travers les eaux évocatrices de la création du monde, du déluge destructeur, de la sortie d'Egypte, de l'entrée dans la terre promise, indique le chemin de vie. Mais Jean-Baptiste n'accomplit pas lui-même le passage. Il désigne Celui qui vient immerger l'homme de manière définitive dans la puissance créatrice et fécondante de l'Esprit. Seul le Christ peut réaliser la traversée pascale où la mort, ce "dernier ennemi" (1 Corinthiens 15,26), est défaite.

  Ainsi Dieu tient-Il sa promesse : "Si par le baptême dans la mort du Christ nous avons été mis au tombeau avec Lui, c'est pour que nous menions une vie nouvelle, nous aussi, de même que le Christ, par la toute-puissance du Père, est ressuscité d'entre les morts" (Romains 6,4). Comme l'écrit Saint Pierre, "Le Seigneur n'est pas en retard pour tenir sa promesse" (2 Pierre 3,9). Si Isaïe faisait espérer un retour glorieux à Jérusalem, si Jean faisait du baptême de conversion pour le pardon des péchés l'annonce du baptême dans l'Esprit, le Christ nous fait tendre vers notre accomplissement définitif. Cette attente nouvelle doit, dans la foi, l'espérance et la charité, nous combler de joie.


 Dimanche 27 Novembre 2005

VIGILANCE ET ESPÉRANCE

En ce premier Dimanche de l'AVENT s'ouvre la nouvelle année liturgique selon l'antique tradition de l'Eglise. Ces quatre semaines nous conduisent à la célébration très solennelle de l'intervention décisive de Dieu dans l'histoire des hommes par l'Incarnation et la naissance de son Fils en notre commune humanité. Aussi nous faut-il avec joie et espérance nous mettre en marche pour aller « à la rencontre de celui qui était, qui est, et qui vient .... (Jean-Paul II-à l'aube du troisième millénaire n°20)

Alors que continuent à surgir tant d'interrogations, tant de craintes sur la capacité de l'homme à maîtriser son destin, l'espérance chrétienne, puisant dans le trésor de la foi au Dieu vivant et vrai, doit plus que jamais être présente à ce monde souffrant et souvent ténébreux pour être le signe de la tendresse, de la bonté de Dieu qui u nous a arrachés aux pouvoir des ténèbres et nous a fait entrer dans le royaume de son Fils bien-aimé u (Colossiens 1,13).

« Pourquoi Seigneur, nous laisses-tu errer hors de ton chemin ... ? Reviens, pour l'amour de tes serviteurs u (Isaïe 63,17). En ce raccourci saisissant, le prophète de l'Exil évoque le tragique de l'existence humaine et laisse entrevoir la réponse de Dieu. Celui-ci ne serait pas le Dieu aimant, libre, vrai, s'Il venait contraindre nos libertés humaines déviées par le péché. Il vient proposer l'Alliance de vie au prix de la vie même de son Fils. Aussi Celui-ci est-Il fondé à nous rappeler que la victoire de Dieu sur tout le malheur qui nous accable ne peut s'obtenir dans la passivité. Dans un monde de violence, de ténèbres, le chrétien doit être un guetteur, selon le nom de l'amandier de la Bible qui fleurit à l'approche du printemps.

Le Seigneur nous parle de sa passion et de sa Croix par lesquelles Il fait advenir l'homme nouveau. Il nous faut être attentifs à l'heure du Christ qui e~ celle du jugement d'amour et de pardon. Ce qu'Isaïe annonçait, ce que l'Eglise proclame depuis plus de deux mille ans, c'est l'oeuvre accomplie par le Christ en sa Résurrection, véritable printemps de l'homme. Tout homme, peut découvrir en vérité ce que Dieu veut être pour lui « Tu es Seigneur, noir Père, notre Rédempteur : tel est ton nom depuis toujours » (Isaïe 63,16). Loi d'abandonner l'homme pécheur à un destin tragique, Dieu, par la naissance d son Fils en notre humanité, nous donne de pouvoir échapper à la destruction du péché, de nous ouvrir à l'amour qui vivifie, de parvenir à la plénitude de l vie de fils de Dieu. Comme nous le dit saint Paul : « Dieu est fidèle, lui qui, vous a appelés à vivre en communion avec son Fils, Jésus-Christ notre Seigneur u (1 Corinthiens 1,9).


Dimanche 20 Novembre 2005

ÊTRE ROI SELON LE CHRIST

«Quand le Fils de l'homme viendra dans sa gloire, et tous les anges avec lui, alors il siégera sur son trône de gloire»
(Matthieu 25,31).

La grande parabole du jugement qui clôt l'année liturgique est le dernier enseignement du Christ au seuil de sa Passion. Elle vient expliciter avec vigueur le contenu de la vigilance et de la fructification évoquées par les deux paraboles précédentes, celle des jeunes filles dans l'attente de l'époux, et celle des talents. L'attente de la joie des noces, l'invitation à produire le fruit qui permet d'entrer dans la joie du Maître, trouvent dans la parabole du jugement toute leur signification. Le fruit attendu et la joie qui en découle sont liés à la charité envers nos frères les plus démunis afin qu'ils puissent recouvrer leur pleine dignité d'homme. C'est à travers ceux qui portent le poids du malheur que Dieu veut se rendre présent. Ils sont la route qui mène au Royaume.

Vrai Roi-pasteur selon la lignée biblique qui parcourt tout l'Ancien Testament, le Christ vient révéler le sens véritable de sa royauté. Lui, le Fils du Très-Haut, à qui Dieu donnera le trône de David son Père et dont le règne n'aura pas de fin (Luc 1,32.33), devient le Très-bas. Le Maître et Seigneur se fait serviteur (Jean 13,13) et «donne sa vie en rançon pour la multitude» (Matthieu 20,28). Celui qui «viendra dans sa gloire siégeant sur son trône de gloire» rejoint d'abord l'humanité souffrante au plus profond de sa détresse. C'est désormais le peuple de ceux qui ont faim et soif, qui sont exclus, malades et prisonniers, qui est le premier bénéficiaire du Royaume. Tout homme qui se met à son service, sans se référer au Christ, mais au nom de la dignité intrinsèque de tout être humain, devient à son tour héritier du Royaume. Le jugement est donc celui que prononcent nos propres actes. L'amour que nous aurons porté ou refusé à ceux qui l'attendaient sera notre unique juge.

Le Christ, en rejoignant par sa Passion et par sa mort tous ceux qui souffrent et sont dominés par les puissances du malheur, exerce le véritable pouvoir royal, celui du combat pascal qui détruit toutes les puissances destructrices de l'homme jusqu'au «dernier ennemi: la mort» (1 Corinthiens 15, 26). En se soumettant par amour à l'indifférence, à la haine, à la violence meurtrière, il surmonte le mal de l'homme. L'amour­serviteur l'éradique en sa racine. En nous mettant à sa suite, en devenant nous aussi les serviteurs de nos frères, nous Lui permettons de faire d'un chemin de mort, une route pour la vie éternelle.


Dimanche 13 Novembre 2005

UN TEMPS POUR PRODUIRE DU FRUIT 

« Aussitôt, celui qui avait reçu cinq talents s’occupa de les faire valoir et en gagna cinq autres » (Matthieu 25,16).

Après la parabole des dix jeunes filles, celle des talents nous propose d’approfondir un nouvel aspect du mystère de la fin des temps. Le départ du Maître pour un long voyage, après avoir confié la gestion de ses biens à ses serviteurs, fait clairement référence au thème de la Création au Livre de la Genèse. Dieu, au moment de se retirer dans le repos du septième jour, confie à homme le soin de faire fructifier l’univers dont Il lui donne la régence. La fécondité de l’action humaine est inscrite au cœur du dessein créateur. Le manquement à cette mission est une des causes de l’Incarnation rédemptrice du Christ. Le Fils de Dieu, venant vivre notre humanité, restaure en elle la capacité de porter le fruit que Dieu attend. « C’est moi qui vous ai choisis et établis afin que vous partiez, que vous donniez du fruit, et que votre fruit demeure » (Jean 15,16) dit Jésus à ses disciples au seuil de sa Passion. Mais nous devons nous souvenir que l’accomplissement de cette mission est aussi don de Dieu et ne saurait être imputé à nos seuls mérites.

L’aspect « jugement » de la parabole qui peut à juste titre nous inquiéter est à comprendre, nous dit le Christ, en fonction de l’image que nous nous faisons de Dieu. La stérilité du troisième serviteur est la conséquence directe de l’erreur de jugement qu’il commet à l’égard de Dieu. Comme Adam, il substitue à la vérité de Dieu, donneur de vie, la caricature mensongère d’un dieu castrateur, jaloux, avaricieux. La défiance et la peur qu’elle engendre coupent l’homme de la source du bonheur et de la vie. Elles le stérilisent et le conduisent inexorablement au chaos « des ténèbres du dehors, là où il y aura des pleurs et des grincements de dents » (Matthieu 25,30). Ce jugement ne peut être celui de Dieu qui ne connaît qu’un but : nous faire entrer dans sa joie (Matthieu 25,21-23). Aussi n’avons-nous pas à nous inquiéter de savoir si le fruit produit sera suffisant aux regards de Dieu. Cinq ou deux talents sont en effet « peu de choses » eu égard à l’unique essentiel : l’amour sans mesure dont nous sommes aimés dans le Christ. L’ampleur de notre réponse ne conditionne pas la joie dont Dieu veut nous combler en nous donnant par son Fils la vie en abondance, celle de la Résurrection qui est victoire totale sur les « ténèbres du dehors ».

 


Dimanche 6 Novembre 2005

LA FOI A L’EPREUVE DE L’ATTENTE

 « Comme l’époux tardait, elles s’assoupirent toutes et s’endormirent »
 (Matthieu 25,5).

Les derniers dimanches de l’année liturgique font relire le grand chapitre vingt-cinquième de l’Evangile selon saint Matthieu. Les trois paraboles qui le constituent sont à la fois une exhortation à la vigilance et une annonce du jugement. Il s’agit en effet de nous préparer à une rencontre décisive dont nous ne connaissons ni le jour, ni l’heure : celle du Christ. Pourtant cette rencontre ne doit pas nous inquiéter et devrait, au contraire, nous remplir d’impatience et de joie puisqu’il s’agit de noces auxquelles nous sommes invités. Evoquer la figure de l’époux, c’est exprimer un climat de joie et d’amour. Comparer la venue du Royaume à des noces, c’est mettre en valeur une dimension de fécondité et de bonheur dont les noces humaines sont une annonce prophétique. Le jugement sous-jacent n’est autre que celui de l’amour que nous pouvons attendre avec confiance et espérance.

Pourtant l’époux tarde à venir, ouvrant ainsi le temps de l’attente. Le risque est grand de le vivre sans espérance, sans foi, sans amour. C’est l’attitude des cinq « insensées » qui s’endorment d’un sommeil signe de leur vacuité, de leur absence de désir. Au contraire les jeunes filles « sages », si elles connaissent aussi l’assoupissement, sont habitées par l’esprit d’amour, celui qui fait dire à la fiancée du Cantique : « je dors, mais mon cœur veille » (Cantique 5,2). Au fond, ce qui est en jeu est l’intensité de notre désir de chercher Dieu, de Le rejoindre. C’est le désir qui habite le sage. Celui-ci découvre que sa recherche est déjà présence de Dieu en lui. « La Sagesse devance leurs désirs en se montrant à eux la première … » écrit l’auteur du Livre de la Sagesse (6,13). En nous donnant sa sagesse, Dieu nous reconnaît dans le mouvement même que nous faisons vers Lui : « Voici l’époux ! Sortez à sa rencontre ! » (Matthieu 25,6). Par la foi, même nocturne, nous rejoignons le Christ qui vient célébrer ses noces avec l’humanité. Mais ne l’oublions pas, celles-ci sont accomplies une fois pour toutes sur la Croix : « Jésus, nous le croyons est mort et ressuscité ; de même, nous le croyons, ceux qui se sont endormis, Dieu, à cause de Jésus, les emmènera avec son Fils » rappelle Saint Paul aux Thessaloniciens (1Th.4,14).

Dès maintenant, nous sommes invités à produire le fruit de la Pâque, à sortir vers le Christ à travers ceux qu’Il nous désigne : pauvres, nus, affamés, assoiffés (Matthieu 25,34-36). Ils sont les premiers invités aux noces de l’Agneau. En les rejoignant, c’est-à-dire en les servant, nous pourrons nous aussi entrer dans la salle des noces.


Dimanche 23 octobre 2005

 DE LA LOI A L’AMOUR

 « Tout ce qu’il y a dans l’Ecriture – dans la Loi et les Prophètes – dépend de ces deux commandements »
 (Matthieu 22,40).

A nouveau mis à l’épreuve par les Pharisiens qui lui dépêchent un Docteur de la Loi, le Christ déjoue le piège avec son habileté coutumière, en renvoyant son interlocuteur à deux commandements non repris du Décalogue mais unifiés par le verbe aimer. Alors que ses adversaires s’enferment dans une interprétation des Dix Paroles dominée par l’énoncé négatif des commandements, le Christ met au contraire en valeur ce qui est à la fois le fondement et le couronnement de la Loi. Celle-ci est pédagogue. En délimitant l’espace de communion en deçà duquel la négation de l’amour n’ouvre que sur le néant, la Loi devient chemin pour aimer. Pourtant Jésus, pas plus que le Décalogue, ne nous dit comment aimer. Dieu respecte la liberté de l’homme. C’est à ce dernier d’inventer les conduites qui sont la réalisation concrète de cet au-delà du commandement qu’est l’amour. Celui-ci rend libre et cette liberté n’est possible que par et en Lui. En plaçant l’amour de l’homme pour Dieu comme « premier et grand commandement » (Matthieu 22,38), le Christ nous rappelle que c’est l’amour de Dieu qui nous fait exister. Il est la source de notre être, de notre vie. En le conjuguant avec l’amour du prochain, Il lie indissolublement l’amour que nous devons à Dieu à celui qu’il nous faut porter à nos frères. Comme le souligne saint Jean : « Celui qui n’aime pas son frère, qu’il voit, est incapable d’aimer Dieu qu’il ne voit pas (1 Jean 4,20). C’est le Christ qui en assure la médiation puisque Lui seul s’est fait le prochain de tout homme. Inversement, l’amour porté à autrui risquerait de n’être qu’illusion ou complaisance envers soi-même s’il n’était enraciné dans l’amour de Dieu qui fait être. Pour entrer dans cette circulation vitale de l’amour, le Christ précise avec toute « la Loi et les Prophètes » qu’il nous faut aimer Dieu de tout notre être et aimer le prochain comme soi-même. Celui qui est la plénitude de l’être ne peut être aimé que par le tout de notre être. Sans cela il y aurait déperdition et incapacité d’entrer dans la plénitude de l’amour. De même aimer le prochain comme soi-même c’est aimer l’autre au nom même de l’amour dont nous sommes aimés et que nous avons reconnu. En définitive, c’est bien du même amour qu’il s’agit : celui qui a sa source en Celui qui, s’étant fait notre prochain, nous aime de tout son être, comme Il s’aime lui-même, perfection de l’amour du Père, du Fils et de l’Esprit.


Dimanche 13 octobre2005

LE VRAI CHEMIN DE DIEU

 « Est-il permis, oui ou non, de payer l’impôt à l’empereur ? (Matthieu 22,17).

En reprenant la question de l’impôt à l’empereur qui faisait à l’époque du Christ l’objet de nombreuses controverses au sein du peuple juif, les Pharisiens ont bien l’intention « de prendre Jésus en faute en le faisant parler » (Matthieu 22,15). En tentant de le compromettre tant à l’égard des autorités qu’à l’égard du peuple, car sa réponse ne peut manquer de mécontenter soit les premières soit le second, les adversaires du Christ cherchent à le faire chuter sur sa prétention « d’être vrai et d’enseigner le vrai chemin de Dieu » (id.v16). Aussi devons-nous nous garder de lire superficiellement l’habile réponse du Christ qui, loin d’être une astuce renvoyant dos à dos César et Dieu, ou une manière de dresser les deux pouvoirs face à face, vient ouvrir le vrai chemin de Dieu que les Pharisiens aveugles n’avaient su reconnaître. Jésus se situe en cela dans la parfaite continuité prophétique : « Je suis le Seigneur, il n’y en a pas d’autre » (Isaïe 45,6). Le Prophète du retour d’Exil avait déjà procédé en quelque sorte à la démythologisation de César qui avait alors pour nom Cyrus. Celui-ci n’a d’existence en effet qu’ « à cause de mon serviteur Jacob et Israël mon élu » (id 45,4). Cyrus, César, tout pouvoir humain, n’ont de légitimité que s’ils oeuvrent pour le bien des hommes et tout particulièrement pour les biens suprêmes que sont la vérité, la liberté. Ainsi « rendre à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu » (Matthieu 22,21), c’est reconnaître que tout ce que César fait de bien pour l’homme s’origine en Celui de qui découle tout don parfait. En désacralisant le pouvoir de César, le Christ lui rend ce qui en constitue sa noblesse : le service de la vérité. Pilate, représentant d’un César qui se fait idole, devait en reconnaître le bien-fondé dans son impuissance à l’exercer : « Qu’est-ce que la vérité ? (Jean 18,37-38). Comme Pilate, comme les chefs des prêtres, les Pharisiens ne croient pas que Jésus est « venu au monde pour rendre témoignage à la vérité (id.) Ils n’accèdent pas à la vérité de ce qu’Il est et ne peuvent donc prendre le « vrai chemin de Dieu ». Aliénés dans leur liberté, ils ne peuvent que « payer » là où il fallait « rendre ». Rendre à Dieu ce qui est à Dieu, c’est reconnaître en Jésus Celui que le Père envoie pour désaliéner nos libertés asservies. Parce qu’Il est du Père, au Père, son humanité est désormais notre vérité, notre unique chemin vers Dieu.


Dimanche 9 octobre 2005

LES NOCES DU ROYAUME 

« Le Royaume de Dieu est comparable à un roi qui célébrait les noces de son fils »
(Matthieu 22,2).

Poursuivant son enseignement au Temple de Jérusalem dans la perspective dramatique de sa Passion, le Christ reprend un thème biblique familier à ses auditeurs pour parler du Royaume de Dieu : celui des Noces. Tout au long de la Révélation, celles-ci sont la figure privilégiée de l’Alliance, de l’union de Dieu avec son peuple. Mais, comme dans la parabole des vignerons homicides, le Seigneur souligne à quel point cette Alliance est malmenée par les hommes pécheurs. Les refus opposés culminent dans une violence meurtrière à l’encontre des envoyés de Dieu. Comme dans la parabole des vignerons homicides, cette violence se retourne contre ses auteurs qui connaissent à leur tour la conclusion tragique de leur folie meurtrière. Mais le dessein de Dieu poursuit quant à lui son cours : de même que la vigne est donnée à de nouveaux vignerons qui en feront produire le fruit, de même la salle de noce est remplie de nouveaux invités qui n’avaient au départ aucun titre pour participer au festin nuptial. L’Alliance est irrévocable. Dieu y dispose le don par lequel nous pouvons Lui rendre grâce : le Christ Lui-même qui vient réaliser par son sacrifice l’ouverture à tous les hommes – « bons et mauvais » - de la salle de noce, figure du Royaume de Dieu. Par cette parabole, le Christ fait à nouveau une annonce prophétique de sa prochaine mise à mort : « Il est venu chez les siens et les siens ne l’ont pas reçu » (Jean 1,11). Il est par excellence le serviteur rejeté et tué. Il annonce aussi que ce sacrifice est pour « la multitude », celle pour laquelle Il verse son sang, donne sa vie. Tous, « bons et mauvais », nous sommes invités aux noces de sang accomplies par le Christ sur la Croix, à entrer en foule dans le Royaume de l’amour sans considération de nos mérites, mais en accueillant le pardon du Père, forme parfaite de son amour. Tous nous sommes « invités au repas des noces de l’Agneau » (Apocalypse 19,9) où nous pouvons trouver par le Christ la subsistance de notre vie nouvelle et la joie de la communion divine. Encore faut-il mettre en œuvre notre liberté. Dieu n’impose rien. Ne pas revêtir cette nouveauté – le vêtement nuptial – c’est nous exclure de la source de la vie, de la joie, c’est revenir au monde des ténèbres où il n’y a que « pleurs et grincements de dents » (Matthieu 22,13). Mais en revêtant le Christ, en vivant dès à présent des « dispositions que l’on doit avoir dans le Christ Jésus » (Philippiens 2,5), nous sommes assurés de ce que Paul proclame ardemment : « mon Dieu subviendra magnifiquement  à tous vos besoins selon sa richesse dans le Christ Jésus » (Philippiens 4,19-20)


Dimanche  2 Octobre 2005

 DU GRAND AFFRONTEMENT AU GRAND RETOURNEMENT

« Il donnera la vigne en fermage à d’autres vignerons, qui en remettront le produit en temps voulu » (Matthieu 21,41).

 Poursuivant son enseignement en paraboles dans le Temple de Jérusalem et s’adressant aux chefs des prêtres et aux pharisiens, le Christ déploie une fresque de l’histoire du salut dont le tragique ne peut échapper à ses auditeurs. Rebondissant sur le vieux thème biblique de la vigne déjà chanté par Isaïe (première lecture), le Christ annonce en termes peu voilés le drame qui se noue entre Lui – le fils du Maître de la vigne – et ses interlocuteurs – les vignerons homicides -. Mais en deçà du conflit meurtrier qui se joue, ce sont les rapports orageux de l’homme et de Dieu qui sont sous-jacents. L’histoire de la première alliance est en effet elle-même parabole du conflit de l’humanité avec celui qu’elle se refuse de reconnaître comme son origine. A travers la plantation de la vigne accomplie avec amour (Isaïe 5,1-2), comment ne pas lire le geste créateur de Dieu suscitant l’homme à la vie bienheureuse ? Comment ne pas lire dans le désastre advenu : vigne piétinée, livrée à la sécheresse, aux épines et aux ronces, les conséquences de la faute d’Adam affronté désormais à un sol producteur d’épines et de chardons (Genèse 3,18) ? Jésus rebondit ainsi sur la condition malheureuse de l’homme qui a rompu avec Dieu pour y susciter, au-delà du drame de la souffrance et de la mort, l’espérance d’un monde nouveau à la venue duquel Dieu ne cesse d’œuvrer. C’est ce qui explique la différence de tonalité entre la parabole d’Isaïe et celle du Christ. La première s’achève sur un constat d’échec et des cris de détresse, la seconde fait entrevoir la perspective d’un fruit produit entre les mains de nouveaux vignerons. En effet ce qui est attendu est la constitution d’une humanité nouvelle, ayant enfin trouvé le chemin de la vie bienheureuse. Dieu ne se résout pas à « l’iniquité » et aux « cris de détresse ».Ce n’est pas lui qui porte la sentence de mort, mais les homicides eux-mêmes, prisonniers de leur conception caricaturale de Dieu : « Je savais que tu es un homme dur … j’ai eu peur » (Matthieu 25,25). Dans le meurtre du Fils, au terme des persécutions perpétrées contre les Prophètes, Dieu accepte d’aller jusqu’au bout du refus de l’homme pour procéder alors à un retournement inouï : « la pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs est devenue la pierre angulaire. C’est là l’œuvre du Seigneur, une merveille à nos yeux » (Matthieu 21,42). Toutes nos violences, toutes nos injustices, tous nos refus d’aimer, sont ressaisis par Celui qui « immolé, a vaincu la mort ; mis à mort est toujours vivant ». C’est au dépouillement radical de toutes nos attitudes de violence, d’exclusion, de domination, désormais démasquées dans toute leur absurdité et leur perversité, que nous invite le Ressuscité. Si nous le mettons en pratique, « le Dieu de la Paix sera avec nous » (Philippiens 4,9).


Dimanche 25 septembre 2005

« LE SALUT EST TOUJOURS POSSIBLE ou SE CONVERTIR POUR VIVRE »

 « Est-ce ma conduite qui est étrange ? N’est-ce pas plutôt la vôtre ? (Ezéchiel 18,26).

Le beau texte d’Ezéchiel au chapitre dix-huitième de ce livre prophétique est un plaidoyer en faveur de la liberté de l’homme. Rompant avec une conception très fixiste du salut, le Prophète vient rappeler que nous ne sommes pas liés par des actes qui ne sont pas nôtres et que notre passé ne nous lie pas de manière irrévocable. La « méchanceté » d’hier ne nous ferme pas définitivement la porte du Salut. Mais la « justice » d’hier n’est pas non plus un titre de priorité pour y accéder. De même « le fils ne portera pas la faute de son père, ni le père la faute de son fils » (Ezéchiel 18,20). Rien n’est joué, rien n’est définitivement acquis. Tout est affaire de liberté conformément à une ligne traditionnelle de la Bible : « je te propose de choisir entre la vie et la mort, entre la bénédiction et la malédiction. Choisis donc la vie, pour que vous viviez toi et ta descendance en aimant le Seigneur ton Dieu, en écoutant sa voix, en vous attachant à lui » (Deutéronome 30,20). C’est dans cette même ligne que se situe l’enseignement du Seigneur à travers la parabole des deux fils. Comme le Prophète, le Christ veut faire comprendre à ses interlocuteurs – les chefs des prêtres et les anciens – que nous ne sommes pas prédéterminés par nos statuts, fonctions, catégories, auxquels nous appartenons. Chefs des prêtres et anciens ont pour eux l’apparence de la justice. Tels le « fils-oui » de la parabole, ils ont entendu l’appel de Dieu. Pourtant ils n’ont pas réagi à l’exhortation de Jean-Baptiste à « vivre selon la justice ». A l’inverse, publicains et prostituées sont dans l’apparence de l’injustice : ils sont infidèles à la Loi et n’observent pas les commandements nécessaires « pour entrer dans la vie » (Matthieu 19,17). Pourtant, tels le « fils-non » de la parabole, ils ont cru à la parole de Jean-Baptiste qui exhortait à « produire un fruit qui exprime la conversion » (Matthieu 3,8). Contrairement aux grands prêtres et aux anciens, ils ont cru à l’amour qui les a rejoints au plus extrême de leur condition pécheresse. Comme le rappelle l’Apôtre Paul dans le beau texte des Philippiens lu en deuxième lecture, l’Evangile n’est pas seulement adhésion à une doctrine édifiante, mais engagement libre et personnel de chacun pour vivre des « dispositions qui sont dans le Christ-Jésus » et qui ne sont pas autres que les modalités concrètes du commandement de l’amour : tendresse, pitié, unité, humilité, souci des autres. C’est le chemin qui conduit à la vigne. C’est le véritable oui que Dieu attend.


Dimanche 11 septembre 2005

DU PARDON SANS MESURE

 « …Combien de fois dois-je lui pardonner ? jusqu’à sept fois ? » Jésus lui répondit : « je ne te dis pas jusqu’à sept fois, mais jusqu’à soixante dix fois sept fois » (Matthieu 18,21-22).

Comme souvent dans l’Evangile, l’Apôtre Pierre, à travers la question qu’il pose à Jésus est révélateur de nos propres comportements. Pardonner « jusqu’à sept fois » n’est-ce-pas déjà considérable ? Si nous étions capables d’une telle générosité n’aurions-nous pas lieu d’être satisfaits de notre justice ? Peut-être même trouvons-nous que « point trop n’en faut ». Comment en effet pardonner ces atteintes gravissimes que nous nommons « crimes contre l’humanité » ? N’est-il pas juste que « justice se fasse » ? Le pardon de tels forfaits ne constituerait-il pas un déni de justice ? une injustice suprême ? Le Christ vient couper court à de tels débats que nous connaissons toujours aujourd’hui ainsi que nous le rappelle la douloureuse actualité ou la très brûlante histoire de nos temps modernes. « Je ne te dis pas sept fois, mais soixante dix fois sept fois ». La formule tombe comme un couperet sur nos bonnes consciences, si tant est que nous cherchions à en avoir une . Et pour mieux nous faire comprendre une exigence qui nous paraît insurmontable, voire insensée, le Christ développe une étonnante parabole. Il y est question d’emblée du Royaume, c’est-à-dire de cette plénitude d’amour que le Christ est venu révéler. Il s’agit en effet de passer de l’état de justice, auquel nous nous cramponnons, à l’accomplissement de l’amour. Par la figure du roi qui « veut régler ses comptes avec ses serviteurs » (Matthieu 18,23), Jésus dévoile ce qui se passerait dans nos relations avec Dieu si celui-ci en demeurait au stade de notre justice « justicière ». C’est parce qu’il est enfermé dans cette perspective et ne peut en sortir, c’est parce qu’il s’est fait du roi –Dieu – une image de sa propre injustice, que le serviteur tombe en déchéance, dans un état d’où l’amour est banni. Ce que Pierre, les disciples, nous-mêmes avons à comprendre, c’est que tous nous sommes des débiteurs insolvables. Dette de notre existence, de notre liberté, dont nous ne pouvons être à l’origine. Dette surtout de notre salut par la souffrance et la mort du Fils de Dieu. Débiteurs insolvables selon la justice, nous sommes acquittés et libres dans la nouvelle économie de l’amour et de la miséricorde. En déplaçant notre regard vers l’Alliance (Ben Sirac 28,7), nous pouvons accéder à notre vérité de fils de Dieu. Le pardon vient toujours de Dieu, mais il nous est confié. A l’image du Fils, à l’image du Père, en nous associant à l’incommensurable pardon de Dieu qui nous traverse pour aller vers nos frères, nous sommes régénérés par ce pardon reçu et donné qui fait de nous des « fils du Royaume »


Dimanche 18 septembre 2005

L’AMOUR QUI PASSE LA JUSTICE 

« Mes pensées ne sont pas vos pensées, et mes chemins ne sont pas vos chemins » (Isaïe 55,8).

Une fois de plus l’enseignement du Seigneur pourrait nous déconcerter tant il nous parait en contradiction avec d’autres pages bibliques évoquant le thème de la rétribution d’une manière plus conforme à nos schémas de pensée. L’attitude du Maître de la Vigne ne constitue-t-elle pas en effet un déni de justice ? Le fait de rétribuer l’ouvrier de la onzième heure au même tarif que celui de la première heure ne contredit-il pas le psalmiste : « tu rends à chaque homme selon ce qu’il fait » (Ps 61,13) ? Plusieurs indices nous permettent néanmoins de découvrir non une contradiction mais un approfondissement radical de nos relations avec Dieu. De même que par la parabole du serviteur sans pitié le Christ nous incitait à passer du domaine de la justice « justicière » à celui de l’amour sans limite, de même aujourd’hui nous invite-t-Il à comprendre que nous n’avons aucun droit sur Dieu, puisque tout provient de Lui : le travail à la vigne et la pièce d’argent. En soulignant la contestation des ouvriers de la première heure, le Christ démasque en nous la cause du péché : l’envie-jalousie qui ne cesse de pervertir nos relations avec Dieu et avec nos frères. Nous considérons comme une injustice le fait que d’autres puissent accéder aux biens que nous croyons être nôtres du fait de nos mérites. L’envie-jalousie porte plus essentiellement sur la bonté du Maître dont nous pensions garder l’exclusivité. La parabole parle du Royaume de Dieu et nous place devant notre injustice suprême : la confiscation de l’accès à ce Royaume et l’oubli du contrat d’Alliance qui stipule que travailler à la vigne et recevoir la pièce d’argent sont l’un et l’autre dons de Dieu. Dans l’un et l’autre cas c’est toujours Dieu qui donne puisque c’est Lui qui se donne. Loin d’être un défaut de justice, l’attribution de la même pièce d’argent aux ouvriers de la première heure comme à ceux de la onzième heure nous rappelle que l’amour de Dieu ne se divise pas. Il veut se donner tout entier à tout homme. Ce don doit être notre joie et non notre ressentiment. C’est dans la Pâque du Christ qu’Il trouve sa parfaite expression. Celui qui est le premier comme « principe » tant dans l’ordre de la filiation éternelle que dans l’ordre de la Rédemption, se fait dernier sur la Croix pour rejoindre le dernier en humanité à qui il promet : « aujourd’hui, avec moi, tu seras dans le Paradis » (Luc 23,43). Nous sommes tous pécheurs appelés à la joie d’entrer dans la vigne pour y recevoir la vie éternelle.


Dimanche 26 juin 2005

CHOISIR LE CHRIST 

« Qui veut garder sa vie pour soi la perdra ; qui perdra sa vie à cause de moi la gardera »
(Matthieu 10,39).

Rudes propos pour notre sensibilité que ceux du Seigneur dans son discours d’envoi en mission de ses disciples ! Que peut bien signifier cet « aimer plus » qui semble tenir pour secondaires les liens d’affection filiale ou fraternelle dont l’importance est pourtant mise en avant dans le Décalogue lui-même ? Nous discernons avec justesse un enjeu essentiel : celui de notre vie. Les expressions de père et de mère, de fils et de fille, renvoient explicitement à la transmission de la vie, d’un côté sous le mode de notre enracinement généalogique, de l’autre sous la forme de notre continuité à travers la descendance. La rupture radicale que propose le Christ s’éclaire par la référence qu’Il fait de sa parole au glaive (Matthieu 10,34). Dans la tradition biblique, reprise par la lettre aux Hébreux (4,12), la parole de Dieu est comparée à une épée à deux tranchants qui pénètre au plus profond de l’âme et qui est juge des intentions et des pensées du cœur. Ce que juge le Christ, ce sont nos mauvaises manières d’aimer, soit qu’elles nous enferment dans notre passé, soit qu’elles traduisent une volonté de possession. Les unes et les autres sont contraires à la logique évangélique qui est de donner sa vie pour ceux qu’on aime (Jean 15,14). « Aimer plus » le Christ que son père, sa mère, son fils, sa fille, c’est reconnaître l’amour en sa source, celui qui nous fait naître à notre statut d’enfant de Dieu. En méditant la condition du baptisé, saint Paul éclaire les propos du Christ. Au baptême nous mourons au péché et devenons vivants pour Dieu en Jésus-Christ (Romains 6,11). Mourant à nos mauvaises manières d’être, d’agir, d’aimer, nous rejoignons le Christ qui, par le don de sa vie, nous identifie à Lui. Par l’œuvre pascale nous naissons à la vie nouvelle que Jésus n’a cessé d’annoncer (Jean 3,3) et qu’Il réalise par le don de l’Esprit Saint. Si ce don, fait sans repentance, nous crée « nouveaux » il s’ensuit que nous ne pouvons prétendre suivre le Christ sans servir nos frères (Jean 13,15). Il y va de l’essence du christianisme. Celui qui accueille le disciple, le prophète, le juste, accueille le Christ Lui-même et Celui qui l’a envoyé (Matthieu 10,40). Ainsi Dieu Lui-même est-Il notre récompense. Le Royaume des Cieux devient nôtre comme Jésus l’a promis dans les Béatitudes (Matthieu 5,1-12).


Dimanche 19 juin 2005

DE LA CRAINTE A LA FOI

« L’amour de ta maison m’a perdu ; on t’insulte et l’insulte retombe sur moi … Et moi, humilié, meurtri, que ton salut, Dieu, me redresse » (Psaume 68,10-30).

Le psaume 68, d’où sont tirés ces versets, exprime de manière poignante la situation du fidèle persécuté à cause de l’amour qu’il porte à la Maison du Seigneur. Lorsque nous sommes tentés par la désespérance, soumis à l’épreuve et à l’angoisse, la prière du psalmiste peut devenir la nôtre comme elle a été celle du Christ en sa Passion, celle de la foule des témoins du Seigneur jusqu’au don de leur vie. Comment, en effet, faire l’expérience de la présence de Dieu lorsque tout signe d’espérance vient à manquer ? La foi seule permet de répondre. Jérémie en butte à l’hostilité meurtrière d’adversaires impies, le Christ en sa Passion, les disciples à qui le Seigneur rappelle qu’ils ne sont pas au-dessus du Maître, les innombrables martyrs dont le sang versé a été semence d’Eglise, sont autant de flambeaux éclairant les ténèbres d’un monde de violence et de mort, nous rappelant que l’espérance est plus forte que la peur.

Dans sa méditation sur le péché et sur la grâce, l’Apôtre Paul souligne à quel point le péché entré par Adam dans le monde est celui de la défiance. De celle-ci surgit la crainte qui renforce à son tour la défiance envers Dieu. L’homme est alors impuissant à juguler cette logique amplificatrice du mal qui conduit au néant. L’Alliance est l’histoire de l’engagement de Dieu qui vient inverser le cycle infernal du malheur occasionné par la défiance originelle. La source de l’espérance se trouve dans le Christ qui a voulu connaître par amour le rejet, l’exclusion, la mort. Son abandon d’amour à la volonté de salut du Père est source de notre justification. « Le don gratuit de Dieu et la faute n’ont pas la même mesure » écrit saint Paul (Romains 5,15). Le péché de l’homme n’est en rien capable de s’opposer à la puissance de vie qui découle du don d’amour que le Christ fait sans mesure. Aussi pouvons-nous dépasser le stade de la crainte pour entrer dans le régime de la foi. Ce qui peut « tuer notre âme » (Matthieu 10,28), c’est la peur qui paralyse et nous fait renoncer  à la vérité de l’Evangile : « Soyez donc sans crainte : vous valez plus que tous les moineaux du monde » (id, v.31). C’est à la confiance que nos Pasteurs nous incitent : « N’ayez pas peur ! Dieu veut sauver l’homme ; Il veut l’accomplissement de l’humanité selon la mesure qu’Il a lui-même fixée » (Jean-Paul II, Entrez dans l’Espérance) et aussi : « N’ayez pas peur du Christ ! Il n’enlève rien et Il donne tout … oui, ouvrez, ouvrez tout grand les portes aux Christ … et vous trouverez la vraie vie » (Benoît XVI, homélie de la Messe d’inauguration du pontificat).


Dimanche  12 juin 2005

LA MISSION POUR LE ROYAUME

« Jésus, voyant les foules, eut pitié d’elles parce qu’elles étaient fatiguées et abattues comme des brebis sans berger » (Matthieu 9,36).

C’est avec tendresse que Dieu regarde l’humanité douloureuse, souffrante, ayant perdu le sens de son existence. Cela était vrai des foules de Palestine que le Christ croisait sur sa route. Cela est vrai de l’humanité de ce siècle qui souffre toujours de violences, d’exactions de toutes sortes, d’exclusions, de guerres. Nous sommes dans la situation que l’Apôtre Paul décrit dans la lettre aux Romains lue en deuxième lecture : « … capables de rien » (Rm 5,6). Seul le Christ, par le don pascal qu’Il nous fait de Lui-même, introduit un changement radical dans cette situation de désespérance. D’ennemis hostiles à Dieu, nous passons à l’état d’aimés du Père : « La preuve que Dieu nous aime, c’est que le Christ est mort pour nous alors que nous étions encore pécheurs » (Romain 5,8). Si le péché des origines a affecté l’humanité dans sa totalité, combien plus le sacrifice du Christ ne laisse aucune partie de cette humanité en dehors de l’emprise de sa victoire sur la mort. « Le Royaume de Dieu est tout proche » déclare Jésus aux Douze lors de leur envoi en mission (Matthieu 10,7). A travers eux, le Christ confie à son Eglise d’annoncer les signes du Royaume qui vient. Ceux des premiers temps apostoliques découlaient directement de la puissance de la Résurrection : « Guérissez les malades, ressuscitez les morts, purifiez les lépreux, chassez les démons » (Matthieu 10,8). Peut-être, pensons-nous, ces signes ne sont pas visibles aujourd’hui ?

Cela montre notre manque de foi. Car le remède fondamental laissé par le Christ est le même, hier, aujourd’hui, demain. C’est l’assomption par Dieu lui-même de notre malheur dans la mort de son Fils sur la Croix, la victoire est la même : celle de l’Amour qui nous guérit par les sacrements que nous fréquentons si mal. Ce sont eux, aujourd’hui, qui nous permettent de poursuivre la route en attendant de partager totalement la victoire du Christ dans sa Résurrection. Prenons conscience de ce don donné gratuitement, reçu gratuitement et incessamment redonné gratuitement de génération en génération jusqu’à la fin des temps, c’est-à-dire l’avènement du Royaume des Cieux. C’était déjà la promesse de la Première Alliance : « vous serez pour moi un royaume de prêtres, une nation sainte » (Exode 19,6).


Dimanche 9 juin 2005

DES SACRIFICES A LA MISERICORDE 

« C’est la miséricorde que je désire, et non les sacrifices » (Matthieu 9,13).

Reprenant la prophétie d’Osée entendue dans la première lecture, le Christ nous propose un changement radical de point de vue sur nos relations avec Dieu et avec nos frères. Même si le contenu des sacrifices a profondément évolué depuis l’époque du Christ, le risque demeure toujours de nous faire illusion. Reconnaissons que nos pauvres sacrifices, aussi méritoires soient-ils, demeurent sans aucune mesure par rapport à Celui à qui ils s’adressent. Il nous faut, dit Jésus, quitter la prétention d’acquérir des droits sur Dieu, de penser nous mettre en règle avec Lui à bon marché. En aucun cas le sacrifice ne saurait être à la hauteur du don que Dieu nous fait : sa miséricorde. C’est pourquoi Jésus veut que nous passions d’une mentalité de sacrifice à l’attitude qui seule convient à Dieu : la miséricorde. « Soyez miséricordieux comme votre Père est miséricordieux » (Luc 6,36). Il nous faut découvrir ce trésor du cœur de Dieu. Jésus le révèle à la table des pécheurs. La table de Capharnaüm préfigure déjà celle de la Cène et, au-delà, celle de la croix où s’accompliront les noces de l’agneau. La table eucharistique que nous fréquentons si mal, est le lieu où, pécheurs, nous découvrons la puissance de l’amour de Dieu qui nous transforme et nous donne la vie. Abraham, selon saint Paul, est ici l’archétype du croyant : « il était pleinement convaincu que Dieu a la puissance d’accomplir ce qu’il a promis » (Romains 4,21). C’est cette foi qu’il nous faut désirer, foi en la toute puissance miséricordieuse de Dieu qui transforme nos vies pécheresses plus sûrement que l’ondée bienfaisante qui arrose la terre assoiffée (Osée 6,3). Comme Lévi-Matthieu, levons-nous de nos routines et suivons le Christ à la table de la miséricorde où il se donne en nourriture de vie éternelle, afin que nous aussi devenions miséricordieux à l’égard de nos frères. Le chemin de miséricorde est le seul qui nous ouvre l’accès au monde nouveau où la vie et l’amour règneront à jamais.


Dimanche 29 mai 2005

         L’EUCHARISTIE, SACREMENT DE LA VIE ET DE L’UNITE DES ENFANTS DE DIEU

« Il t’a fait connaître la pauvreté, il t’a fait sentir la faim, et il t’a donné à manger la manne … pour te faire découvrir que l’homme ne vit pas seulement de pain, mais de tout ce qui vient de la bouche du Seigneur. (Deutéronome 8,3).

Nourriture et boisson, besoins essentiels de l’homme, sont présentes tout au long de la Révélation depuis les origines mystérieuses de l’humanité évoquées au livre de la Genèse jusqu’à la fin des temps au livre de l’Apocalypse en passant par l’expérience d’Israël. En elles s’inscrivent les rapports de l’homme et de la nature, des hommes entre eux, pour accéder à l’indispensable subsistance pour la conservation de la vie. Mais au-delà d’elles-mêmes se dit aussi une autre réalité, un don plus fondamental qu’Israël a appris à reconnaître : en sa Parole qui est vie, Dieu Lui-même se donne en nourriture. L’homme prend de Dieu ce qui le constitue différent des autres êtres de cette création. Ceux-ci viennent à l’existence, croissent par l’effet de la parole divine. L’homme, lui, est image et ressemblance, car il est nourri de la connaissance et de l’amour de Dieu Lui-même : « La vie éternelle, c’est qu’ils te connaissent, toi, le seul Dieu, le vrai Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus-Christ » (Jean 17,3). Toute cette action de Dieu en notre faveur est récapitulée par le Christ en son « action de grâce » où nous sommes mis en proximité immédiate du mystère pascal. Par sa victoire sur la mort, le Ressuscité nous donne le moyen d’accéder par Lui, avec Lui, en Lui, à la vie nouvelle. Le Verbe s’est fait chair pour conduire l’action du Salut. Il se fait pain et vin, parole nourricière, pour que nous tirions de Dieu lui-même la vie éternelle. « Je suis le pain vivant, qui est descendu du ciel » (Jean 6,51) accomplit de manière inouïe la prophétie de la Parole donnée en nourriture (Ezéchiel 2,8-10). Se faisant pain et vin, la Parole vivante fait aussi de ce pain et de ce vin le Corps et le Sang du Fils de Dieu fait homme. En communiant nous acquiesçons par notre Amen, non seulement à la nourriture de vie éternelle qui nous est communiquée, mais surtout aux conditions choisies par Dieu pour nous donner la vie. Communier au Corps du Ressuscité en son Eucharistie, c’est aussi reconnaître le Corps du supplicié de la Croix, c’est-à-dire l’acte de mort mis en œuvre par notre péché. Mieux encore, c’est reconnaître l’indicible pardon accordé librement et par amour avant même que nous ne commettions ce qui aurait dû nous anéantir. La division qui donne la mort fait place à la communion qui donne la vie. Manger et boire le Corps et le Sang du Seigneur, c’est donc reconnaître que désormais la loi pascale gouverne notre existence. Nourris de la substance même du Christ, nous sommes ressaisis par Lui pour être avec tous nos frères son Corps qui est l’Eglise, figure de l’humanité réconciliée, unifiée « invitée au repas des noces de l’Agneau » (Apocalypse 19,9).


Dimanche 22 mai 2005

UN PARCE QUE TROIS – TROIS PARCE QU’UN 

« Que la grâce du Seigneur Jésus-Christ, l’amour de Dieu et la communion de l’Esprit Saint soient avec vous tous » (2 Corinthiens 13,13).

Cette salutation paulinienne, reprise à l’ouverture de nos liturgies eucharistiques, est un des rares textes du Nouveau Testament où sont étroitement associées les trois personnes divines. Cette relative discrétion scripturaire ne doit pas nous surprendre puisque l’élaboration théologique du mystère trinitaire est précisément le fruit plus tardif de la méditation de l’Eglise sur l’Ecriture pour mieux rendre compte de sa foi au Dieu Unique et pourtant « pluriel », en opposition aux tentatives d’une raison raisonnante cherchant à réduire le mystère du Dieu vivant à ses propres normes. Aussi est-ce en puisant dans le trésor de l’Ecriture qui parle abondamment du Père, du Fils et de l’Esprit, que l’Eglise a exprimé sa foi en un Dieu qui, tout en étant le Tout Autre, le Tout de l’Etre, l’est, non pas comme une unité étouffante, absorbante, exclusive de toute autre réalité, mais bien comme un pôle de relations que Paul dénomme grâce, amour et communion. Ce que pressentait déjà Moïse aux origines de la Révélation est que Dieu est pour nous. Il veut être avec nous, « daignant marcher au milieu de nous » (Exode 34,9), venant établir une relation à travers l’Alliance qui culmine dans le don du Fils. Ce qui était en effet en germe dans la longue histoire de la première alliance trouve son dévoilement dans le Christ. En sa vie, par sa mort, Il nous révèle la vérité de Dieu : Celui qui veut tout donner parce qu’Il n’est que don. Ce que révèle le mystère pascal est la réalité de la vie intime de Dieu. En ressuscitant Jésus d’entre les morts, Dieu dévoile sa paternité qui est de se transmettre totalement en Celui qu’Il engendre comme Fils. Ce passage de l’être du Père au Fils est le fondement de la relation qui unit Jésus à Celui qu’Il nomme « Abba ». Mais le don reçu ne peut être conservé « avaricieusement » (Philippiens 2,6-11). Il est de toute éternité redonné totalement, comme a été remise totalement la vie sur la Croix dans le don de l’Esprit. Celui-ci apparaît comme l’être de vie, de communion, totalement intégré à la relation d’amour du Père et du Fils. Dieu est échange d’amour, d’être, de vie, où l’unité n’est qu’à travers l’échange des trois, où chacun des trois ne peut être que dans l’unité  de l’amour. En venant vivre cette loi d’amour dans notre humanité, le Christ nous dit qu’elle est le fondement de notre être. Aussi l’Eglise est-elle par vocation la figure de l’humanité une, réconciliée, véritable image du Dieu unique : Père, Fils et Saint Esprit.


Dimanche  15 Mai 2005

L’ESPRIT DE COMMUNION

« Chacun reçoit le don de manifester l’Esprit en vue du bien de tous » (1 Corinthiens 12,7).

Rien de plus difficile pour le croyant qui veut rendre compte de sa foi en l’Esprit Saint que de trouver les expressions adéquates au mystère de Celui qui, par nature, est impossible à saisir, à capter, à définir. Souffle, vent, eau, huile, feu, sont autant d’images qui soulignent l’insaisissable qu’est l’Esprit pour nous. Celui-ci se joint avec une grande discrétion et une souplesse infinie aux activités humaines. Aussi est-ce à ses fruits qu’Il peut être reconnu : « Amour, paix, joie, patience, bonté, bienveillance, foi, humilité et maîtrise de soi » selon saint Paul (Galates 5,22.23). L’histoire de l’humanité peut se lire comme les tentatives inabouties des hommes de dominer les déterminismes de toutes sortes qui obstruent l’accès à la liberté. Elle est aussi le lieu où l’Esprit est la présence de Dieu combattant avec nous, en nous, pour nous, toutes ces forces de déviation afin d’achever le dessein créateur et conduire cette création à sa plénitude. Aussi est-Il étroitement lié à l’œuvre rédemptrice du Christ qui culmine dans le mystère pascal. Totalement délivré sur la Croix dans l’abandon du Fils au Père, l’Esprit est la force de Dieu capable d’atteindre et de transformer ce qui est le plus opposé au dessein d’amour divin. Respectant notre liberté, l’épousant même comme le chante le « Veni Sancte Spiritus », IL est le Dieu de l’intimité, du cœur à cœur. C’est Lui qui porte au cœur de l’homme ligoté par le péché, le pardon capable de le faire surgir à la nouveauté que Dieu attend. De même qu’Adam est suscité de la glaise primordiale par le souffle de l’Esprit, de même l’homme pécheur est-il libéré par l’Esprit de la Pâque qui, dans la communication du pardon, rétablit la communion avec le Père, origine de tout amour, de toute vie. Ce qui advient à la Pentecôte est le dévoilement de l’achèvement de l’œuvre de salut. Le signe des langues nous dit que l’Esprit, porteur de la Parole de vie, crée la véritable unité des enfants de Dieu dont Babel n’était qu’une caricature idolâtrique et mortifère. De même que l’Esprit avait formé en Marie la chair du Verbe de Dieu, de même forme-t-Il, à travers la communion de l’amour, par le pardon donné et reçu, l’unité des enfants de Dieu. Etre fils c’est entrer dans la libération accomplie par l’Esprit Saint qui vient faire de chacun de nous « ceux que le Père a d’avance destinés à devenir pour lui des fils par Jésus Christ » (Ephésiens 1,5).


Dimanche 8 Mai 2005

DES SOUFFRANCES A LA GLOIRE  

« Puisque vous communiez aux souffrances du Christ, réjouissez-vous afin d’être dans la joie et l’allégresse quand sa gloire se révélera » (1 Pierre 4,13).

La relation étroite établie entre les souffrances et la joie est souvent source d’interrogation, voire de refus, car nous la suspectons, non sans raison, de véhiculer l’image d’un Dieu qui prendrait plaisir à la souffrance. Les déviances doloristes de divers courants de spiritualité au cours des siècles ont ainsi pu engendrer des réactions de méfiance comme celle qui risquerait d’occulter la vérité évangélique de l’exhortation de saint Pierre. Celle-ci se situe en effet dans le droit fil de l’enseignement du Seigneur dans son Discours inaugural des Béatitudes : « Heureux serez-vous si l’on vous insulte, si l’on vous persécute et si l’on dit faussement toute sorte de mal contre vous à cause de moi. Réjouissez-vous, soyez dans l’allégresse, car votre récompense sera grande dans les cieux » (Matthieu 5,11.12). Ce que le chrétien persécuté accomplit au nom du Christ est la même œuvre que celle réalisée par le Seigneur en sa Passion. Comme le Fils, il glorifie le Père. Ses souffrances, la mort même qui s’ensuit, disent la vérité de Dieu. Le martyre des croyants est attestation de l’injustice faite à Dieu, accusé de tromper l’homme sur sa destinée. De même que le Christ défiguré en sa Passion révèle la faute de l’homme qui fait de Dieu son adversaire, de même celui qui souffre à cause « de ce nom de chrétien » (1 Pierre 4,16) proteste de l’innocence de ce Dieu qui est don inépuisable de vie et d’amour. Dans l’effacement de sa propre existence, au moment même où disparaissent les signes de l’amour et de la vie, le chrétien persécuté, en maintenant sa confiance dans le Dieu qui sauve, donne au Christ d’accomplir en lui par l’Esprit le passage au Père qui fait accéder à la vraie connaissance de Dieu, au partage de son intimité. C’est là le résultat de la Pâque du Christ qui, le premier, par le don total de lui-même à son Père, a inscrit dans notre humanité la possibilité de ce passage. « Il donnera la vie éternelle à toux ceux que tu lui as donnés » (Jean 17,2). Confesser en notre chair la foi au Dieu qui sauve, c’est se laisser rejoindre par le Christ qui veut nous faire partager la vie qu’il reçoit du Père, c’est reconnaître la puissance de vie et d’amour qu’est Dieu lui-même. « La gloire de Dieu c’est l’homme vivant et la vie de l’homme c’est la vision de Dieu » (saint Irénée).


Dimanche 1 Mai 2005

L’ESPRIT DES COMMANDEMENTS

« Si vous m’aimez, vous resterez fidèles à mes commandements » (Jean 14,15).

Si nos mentalités empreintes de modernité répugnent à conjoindre amour et commandement, la Révélation biblique ne voit au contraire aucune contradiction à une telle association. En effet, les commandements, loin d’être de simples prescriptions moralisantes, sont un chemin de sagesse, de vérité, d’amour. Ils sont comme l’authentification de l’amour que nous prétendons donner. Cela était déjà vrai dans l’ancienne alliance, pour qui la transgression du Décalogue entraînait l’homme vers le chaos des origines d’où l’amour n’avait pas encore fait resplendir sa lumière. En énonçant la loi nouvelle, celle des Béatitudes, le Christ a rappelé que l’amour de Dieu est toujours premier ; par la foi nous le reconnaissons et notre réponse se réalise dans l’observation du commandement nouveau à laquelle nous pousse l’Esprit de Vérité, le Défenseur qui est pour toujours avec nous (Jean 14,16.17). S’il reçoit une telle dénomination, c’est qu’un procès est intenté aux disciples du Christ par le « monde », c’est-à-dire la part d’humanité qui refuse de mettre sa confiance en Dieu. Ce procès, commencé dès les origines de l’humanité à l’instigation du « serpent des premiers jours, celui qui égarait le monde entier » (Apocalypse 12,9), poursuivi à travers les échecs de la première alliance, culmine dans la condamnation du Fils unique à la mort de la Croix. C’est là qu’a eu lieu le jugement du monde. Ayant par amour subi cette mort, le Christ a reçu du Père l’Esprit de vie qui l’a ressuscité d’entre les morts et conduit à la droite de Dieu. Entré dans l’invisibilité, le Ressuscité nous fait alors don de cet Esprit qui nous guide dès à présent vers la vérité tout entière (Jean 16,13). En effet, ayant rejoint le Père, origine de tout être, le Christ se fait, par l’Esprit, intérieur à la création qu’Il sauve. Il fonde ainsi la réciprocité de relations par lesquelles Dieu passe en nous et nous en Dieu. Garder les commandements du Christ n’est plus acte d’observance extérieure, mais choix libre de la sagesse divine. Par cette fidélité, nous faisons du commandement de l’amour le moteur de notre existence qui nous rend image et ressemblance de celui qui nous dit : « vous êtes en moi, et moi en vous » (Jean 14,20). Aimés du Père, dans le Fils et par l’Esprit, nous sommes ainsi engendrés à notre vérité, celle de fils de Dieu pour la vie éternelle.


Dimanche 24 avril 2005

 LE FILS, PARFAIT REVELATEUR DU PERE

« Celui qui m’a vu a vu le Père » (Jean 14,9).

Cette étonnante réponse du Christ  à l’Apôtre Philippe lors des derniers entretiens du Seigneur avec ses disciples au soir de la Cène n’est pas folle prétention justifiant par avance la condamnation à mort du Sanhédrin, mais révélation profonde de l’être de Jésus qui est totale transparence à celui qui est son origine. Tout au long de l’histoire de l’Eglise, et particulièrement dans les premiers siècles, l’intelligence chrétienne a tenté d’expliciter ce mystère au prix parfois de déviances théologiques. Des objections surgissent à notre esprit. Jésus aurait-il bien manifesté toute la personne du Père ? Son humanité n’en masquerait-elle pas une partie ? Ou bien ne serait-elle pas un ajout incompatible avec la transcendance divine ? L’Evangéliste Jean, en nous présentant les discours après la Cène, nous permet de surmonter de telles objections. Le Fils ne possède rien qui ne Lui ait été donné. Il n’y a rien du Père qui ne soit en Lui, de même qu’il n’y a rien de Lui qui ne soit dans le Père. Son être en est l’icône parfaite. En Jésus tout Dieu nous est communiqué. Déjà l’acte créateur allait en ce sens. En faisant de l’homme son image et sa ressemblance, Dieu entendait se manifester dans notre humanité. Mais c’est dans le Christ que ce mouvement atteint sa perfection. En Lui, la personne du Verbe assume l’humanité. L’homme et Dieu sont un. Les paroles et les actes de Jésus sont bien les paroles et les actes du Père. Il s’ensuit que pour rejoindre celui-ci, but ultime de notre existence, il nous faut rejoindre le Christ qui est le chemin par lequel nous découvrons notre vérité d’enfants de Dieu et en recevons la vie. Il nous faut être un avec Lui dans son humanité en prenant la route qui est la route pascale. En la suivant, nous grandissons vers la plénitude de notre condition filiale. Le Christ est alors « pierre d’angle » si nous nous laissons construire par sa Parole en Demeure de Dieu. Dans le cas contraire, il est « pierre d’achoppement » sur laquelle nous nous brisons. En le perdant, nous perdons le Père, nous perdons la vie. Rejoindre le Christ « Chemin, Vérité, Vie », c’est aussi le rejoindre sur la route des hommes qu’il a prise, y compris au plus extrême de leurs détresses. Ce chemin des hommes est la route de l’Eglise (Jean-Paul II). Ce début du troisième millénaire nous invite tous à être davantage « le peuple qui appartient à Dieu … chargé d’annoncer les merveilles de Celui qui nous a appelés des ténèbres à son admirable lumière » (1 Pierre 2,9)


Dimanche 17 avril 2005

 LE PASTEUR ET LA PORTE DE LA VIE

 « Vous étiez errants comme des brebis ; mais à présent vous êtes revenus vers le berger qui veille sur vous » (1 Pierre 2,25).

L’iconographie de l’Eglise primitive a abondamment illustré le thème du Christ-Pasteur sous la figure d’un berger jeune et beau, portant sur ses épaules la brebis égarée au milieu d’un décor agreste évoquant le paradis des origines. Elle rejoignait là une expression commune aux sociétés païennes antiques d’un idéal de vie bienheureuse. Aussi ces symboles qui paraissent éloignés de nos mentalités forgées dans un contexte urbain et techniciste sont-ils précieux pour approfondir un des aspects du mystère du Christ, vrai pasteur conduisant son troupeau aux sources de la vie. Ce thème pastoral imprégnait profondément la mémoire religieuse de l’Israël ancien. Les grandes figures patriarcales et celle du roi David étaient annonciatrices du Messie, le vrai berger que Dieu devait donner à son peuple. Mieux encore, et en opposition aux « misérables bergers qui laissent périr et se disperser les brebis du pâturage de Dieu » (Jérémie 23,1 et sq.) le Seigneur lui-même se présente comme le pasteur du troupeau (Ezéchiel 34,15 et sq.). Ainsi la fonction royale du Pasteur appartient-elle en propre à Dieu. Le Christ la revendique à l’encontre de celui qui « escalade par un autre endroit » et qui n’est « qu’un voleur et un bandit » (Jean 10,1). Loin de favoriser une interprétation collectiviste et aliénante des rapports du Berger et du troupeau, le Christ souligne avec force la relation personnelle qui l’unit à chacune des brebis. C’est cette relation intime et vivante qui crée la cohésion communautaire. Une liberté profonde est laissée à chacun afin d’entrer et sortir. L’ « entrée » est aussi prioritairement celle du Christ dans notre humanité en vue d’une « sortie » qui consiste à faire grandir notre être-homme jusqu’à sa plénitude dans le partage de « l’être-Dieu » qu’est le Christ pour nous. En sa Pâque, Celui-ci nous appelle à mettre en œuvre notre liberté pour accéder à notre vérité d’enfants de Dieu. C’est « par Lui, avec  Lui, en Lui » que s’accomplit notre vocation. « Moi, je suis le chemin, la vérité et la vie ; personne ne va vers le Père sans passer par moi » dit-il en Jean 14,6 et sq. A la différence de tous les ersatz de bergers que l’humanité a connus depuis les origines, le Christ ne veut être que porte pour ceux que le Père lui a confiés. Non seulement Il est ce passage, mais plus encore Il assure par sa passion et sa mort notre passage à travers la mort afin que « notre vie ne soit plus à nous-mêmes, mais à lui qui est mort et ressuscité pour nous » (Prière Eucharistique 4).


Dimanche 10 avril 2005

LA ROUTE DE LA RECONNAISSANCE

« Le troisième jour après la mort de Jésus, deux disciples faisaient route vers un village appelé Emmaüs …
et ils parlaient de tout ce qui s’était passé »(Luc 24,13-14).

Le remarquable récit des disciples d’Emmaüs est comme une synthèse de l’Evangile de Luc qui vise à conforter le lecteur dans « la solidité des enseignements reçus » (Luc 1,4). Il le fait cheminer avec Cléophas et son compagnon sur la longue route de la reconnaissance qui conduit du plus extrême abattement à la joie de la rencontre. Il est aussi comme un résumé de la Révélation biblique qui dévoile l’action divine arrachant l’homme à son univers de péché pour le faire surgir à la lumière de la connaissance de Dieu. En effet, en ayant voulu confisquer la clé de la connaissance du Bonheur et du Malheur et en voulant se faire « comme Dieu », l’homme s’est fermé l’accès à la vérité de Dieu qui fait vivre ainsi que l’accès à sa propre vérité. Comme la sortie du jardin des origines, la route d’Emmaüs est éloignement du centre du salut et de la vie de la communauté. Mais de même que Dieu accompagnait le peuple de la première alliance dans l’épreuve du désert afin de le secourir et de lui donner la vie, de même le Christ ressuscité ressaisit par sa parole les disciples abattus et, ultimement, leur fait le don du pain eucharistique, source de vie éternelle. En rejoignant les deux disciples sur leur route de détresse, le Christ – exégète de l’Ecriture – les fait entrer peu à peu dans la compréhension de ce qui était en jeu depuis les origines et qui a trouvé son accomplissement dans le mystère pascal. Il inverse ainsi le processus mortel qu’Adam avait mis en œuvre par son péché de défiance. Toute l’histoire de la Révélation est structurée par le rapport du pain et de la parole. Ainsi à Emmaüs les disciples, qui invitent le Christ non encore reconnu au repas convivial, se découvrent invités au partage du pain. La Parole s’est vraiment faite nourriture. Dès lors ils entrent dans une nouvelle relation où la vue de ce que l’on ne connaît pas s’efface devant la connaissance de ce que l’on ne voit pas. Ils peuvent revenir à Jérusalem où ils partageront avec les Onze la joie de la reconnaissance du Seigneur dans la nouveauté de sa présence de Ressuscité. Désormais la route d’Emmaüs est celle de l’Eglise. Partage de parole, partage eucharistique, partage fraternel dans la vie de communauté sont pour nous les moyens que le Christ nous donne pour ouvrir nos yeux sur la vérité proclamée par Pierre : « C’est cela que vous voyez et que vous entendez » (Actes 2,33).


Dimanche 3 avril 2005

RENAISSANCE

« Béni soit Dieu, le Père de Jésus Christ Notre Seigneur : dans sa grande miséricorde, il nous a fait renaître grâce à la résurrection de Jésus Christ pour une vivante espérance » (1 Pierre 1,3).

Le Dimanche dans l’octave pascale est souvent appelé Dimanche « in albis » en raison d’une vénérable tradition selon laquelle les nouveaux baptisés de la nuit de Pâques sont invités à se retrouver autour de leur Evêque pour rendre grâce de leur naissance à la vie divine. En effet en naissant à l’intimité divine dans son humanité renouvelée, le Christ nous fait renaître à notre tour à notre condition de fils adoptifs du Père. Comme les premiers chrétiens rassemblés autour des Apôtres dans les premiers jours de l’Eglise (Actes 2,42) nous pouvons « tressaillir d’une joie inexprimable qui nous transfigure, car nous allons  obtenir notre salut,  qui est l’aboutissement de notre foi » (1 Pierre 1,9). Pourtant demeure un obstacle majeur sur le chemin du salut : le péché de défiance, initié par l’Adam des origines, incessamment renouvelé par Israël au désert de l’Exode. En se focalisant sur les signes de la mort inscrits sur le corps du Christ, Thomas se place du côté de la mort et nie en quelque sorte la victoire du Christ sur celle-ci. Il demeure en deçà du septième jour, ne pouvant entrer dans le repos de Dieu. Mais le Christ, par sa mort et sa résurrection, a par anticipation neutralisé les effets mortels de l’incroyance et accordé la grâce de le découvrir vivant à travers les stigmates mêmes de la mort. Thomas jouit pleinement du pardon pascal et peut accéder à la véritable adoration : « Mon Seigneur et mon Dieu » (Jean 20,2). C’est que le don de l’Esprit pour la renaissance de l’homme a déjà eu lieu et Thomas peut être associé à la mission des Apôtres qui est de remettre les péchés. Ce pouvoir confié par le Christ à son Eglise permet aux hommes de se dégager des conséquences mortelles du péché. Ce pouvoir qui n’appartient qu’au Christ vainqueur de la mort est pourtant donné aux hommes. En donnant notre foi à celui qui, mort pour nos péchés, est à jamais vivant, nous passerons avec Thomas et tous les Apôtres à la certitude de la vie : « … nous allons obtenir notre salut, qui est l’aboutissement de notre foi » (1 Pierre 1,9).


Dimanche 27 mars  2005

LE CHRIST, NOTRE VIE           

« Frères, vous êtes ressuscités avec le Christ … quand paraîtra le Christ, votre vie, alors vous aussi,
ous paraîtrez avec lui en pleine gloire. » (Colossiens 3,1-4)

Avec sa foi incandescente en la Résurrection du Christ, l’Apôtre Paul offre une synthèse fulgurante du dessein divin. Certes sa foi est précédée par celle de la toute première génération chrétienne qui, à l’annonce de l’événement unique dans l’histoire de l’humanité, « croit sans voir. » Certes sa foi est précédée par le sang des premiers martyrs qui, tel Etienne, attestent de la réalité nouvelle que Dieu a inscrit de manière définitive dans l’histoire des hommes. Le converti du chemin de Damas sait que nous sommes tous promis à la Résurrection, qu’une puissance de vie, présente dès les origines, est désormais à l’œuvre et nous arrache aux forces de destruction et de mort qui s’opposaient à la réussite du dessein de Dieu.

Le Christ, par sa Résurrection, dévoile cette réalité cachée depuis la fondation du monde. De même qu’Il fonde, comme Verbe de Dieu, la réalité de la Création, de même fonde-t-il le monde nouveau comme il l’avait laissé entendre à Marthe : « Je suis la Résurrection et la vie » (Jean 11,25). De même qu’au premier jour la lumière régnait sur les ténèbres, de même en ce jour nouveau la lumière du Ressuscité vient redonner cohérence et vie à tout ce que la mort avait détruit. « Il vit et il crut » (Jean 20,8). Avant même toute rencontre du Ressuscité, la lumière se fait jour dans la nuit où est plongé l’esprit des disciples. Etrange paradoxe : le vide de l’absence suscite la confiance en la Parole qui éveille le cœur et l’esprit du disciple à la réalité nouvelle qu’il découvre : « d’après l’Ecriture, il fallait que Jésus ressuscite d’entre les morts » (Jean 20,9). Tout le dessein divin est désormais accessible sous l’action de l’Esprit de Celui qui est ressuscité.

Ainsi par la Résurrection, Dieu dit sa parole ultime, celle en laquelle le Christ a eu confiance. Notre Salut est dans la foi en cette Parole de Vie qu’est le Christ ressuscité. Avec lui « nous paraîtrons en pleine gloire » (Colossiens 3,5).


Dimanche 21 mars 2005

« VOICI TON ROI QUI VIENT VERS TOI »

(Zacharie 9,9 – Matthieu 21,5)

 L’Heure du Roi est venue. En son Fils, Dieu entre à Jérusalem comme Roi de paix, de justice, d’amour. La rencontre de Jésus avec Jérusalem, la ville qui tue les prophètes (Luc 13,34), inscrit la mutation radicale, la nouvelle création, au cœur de l’histoire humaine.

En mettant à mort le Christ, dernier des Envoyés et l’Envoyé par excellence, Jérusalem perd son statut de résidence divine. Un nouveau Temple s’édifie : le Corps du Fils assassiné. Ce corps crucifié, bientôt ressuscité, est désormais celui qui donne vie et consistance au nouvel univers. En crucifiant hors de la ville l’Elu de Dieu accueilli avec allégresse par les disciples à ses portes, Jérusalem ouvre l’héritage du peuple élu à tous ceux qui sont au dehors, les peuples de la Terre.

Le Roi qui vient vers nous, s’abaissant lui-même, prenant la condition d’esclave pour épouser notre servitude jusqu’à la mort sur la Croix, fait qu’aucune parcelle de notre existence ne lui échappe désormais, jusqu’au profond de la mort. Dans l’admirable échange qui s’accomplit, le Roi devient l’esclave pour que l’esclave devienne libre. Notre humiliation d’homme défiguré par le péché, caricature de Celui qui vient à lui, trouve son terme. Tout homme pécheur peut désormais se retourner vers Celui qui a été transpercé. Tout homme pécheur, qu’il soit Abel ou Caïn, victime ou bourreau, peut découvrir sa vérité, celle de fils aimé dans le Fils bien-aimé.

La nouvelle Jérusalem s’édifie, celle où Dieu sera avec nous d’une manière nouvelle et définitive.

En vérité « aujourd’hui le Christ entre à Jérusalem, la ville Sainte où il va mourir et ressusciter ».


Dimanche 13 mars 2005

UN MORT POUR LA GLOIRE

« Je vais ouvrir vos tombeaux et je vous en ferai sortir, ô mon peuple … » (Ezéchiel 37,12)

La dernière étape du Carême nous met déjà en perspective du Mystère de la Foi que nous allons célébrer tout au long de la Semaine Sainte, celui de l’heure du Christ : sa Passion, sa Mort et sa Résurrection. Aussi la liturgie nous prépare-t-elle à vivre ce sommet de notre Foi en nous rappelant comment Dieu vient accomplir son dessein à travers l’histoire de l’Alliance et combien il souhaite que l’homme puisse reconnaître la vérité de son être : un Dieu qui n’a pas idée du mal, un Dieu qui aime et qui fait vivre. C’est ainsi que l’histoire d’Israël, symbolique de l’histoire générale de l’humanité, est marquée par la tension entre les initiatives que Dieu prend pour que sa gloire soit reconnue, et les réticences de l’homme pécheur qui se refuse à la confiance en ce Dieu qui l’appelle à sa vie. Pourtant les auteurs sacrés ne cessent de nous éclairer sur son dessein d’amour. Adam est tiré du néant, les Hébreux sont arrachés aux tombes égyptiennes, les Israélites à celles de Babylone : « Je mettrai en vous mon esprit et vous vivrez » (Ezéchiel 37,14). Finalement le Christ vient en notre humanité pour le passage de ce monde au Père. En Lui, par Lui, avec Lui, l’homme, esclave du péché et de la mort, peut accéder au statut de l’homme vivant de l’Esprit de Dieu, associé pour toujours à la gloire divine. Cette puissance de vie est donnée au Fils afin qu’il manifeste la volonté salvatrice de Dieu : « Lazare, viens dehors ! » (Jean 11,43). Par cette parole d’amour, de vie, le processus de désintégration est stoppé, le mort revient à la vie. Le Christ rend visible à nos yeux incrédules la manière dont le Père ne cesse d’agir en notre faveur : « Si tu crois, tu verras la gloire de Dieu … Si j’ai parlé c’est pour cette foule qui est autour de moi, afin qu’ils croient que tu m’as envoyé » (Jean 11,40-42). En Jésus, nous découvrons la source d’une libération plus essentielle, celle qui nous saisit au plus profond de nous-mêmes pour nous faire accéder à la propre vie de Dieu. Encore faut-il croire à cette parole. La Samaritaine et ses concitoyens, l’aveugle de naissance, Marthe et Marie, Lazare  lui-même, nous ouvrent la route de la Foi. Celle-ci est le véritable moyen de connaître Dieu, de le glorifier, de découvrir le secret de son être : l’amour prodigué sans relâche dans la miséricorde divine. « Celui qui croit en moi, même s’il meurt, vivra » (Jean 19,25). Ce « dire » du Seigneur est authentifié par un « faire » qui se déploie dans la Résurrection de Jésus. Celle-ci, annoncée par le retour à la vie de Lazare, est le surgissement d’une vie telle que la mort ne saurait plus l’atteindre. Entendons avec confiance la voix du Seigneur : « Vous saurez que je suis le Seigneur : je l’ai dit, et je le ferai » (Ezéchiel 37,14).


Dimanche 6 mars 2005

L’ILLUMINATION DE LA FOI

« Frères, autrefois, vous n’étiez que ténèbres, maintenant, dans le Seigneur, vous êtes devenus lumière ;
vivez comme des fils de la lumière » (Ephésiens 5,8).

Le récit de l’aveugle de naissance, proclamé au cours du deuxième scrutin des catéchumènes invités à se laisser regarder par Dieu, nous propose une relecture de l’œuvre tant créatrice que rédemptrice que Dieu réalise en faveur de l’homme. La situation d’aveugle de naissance évoque les ténèbres des origines qui « étaient au-dessus de l’abîme » (Genèse 1,2) avant que Dieu ne profère sa première parole créatrice : « que la lumière soit » (id.v.3). Cette cécité n’est donc pas à référer au péché comme le pensent les disciples et pharisiens. Elle n’a pas d’autre raison que de manifester l’œuvre de Dieu en celui qui en est affligé. C’est bien cette ligne interprétative qu’en donne le Christ, puisqu’il refait le geste de Yahvé « modelant l’homme avec la poussière tirée du sol » (Genèse 2,7) en appliquant la boue sur les yeux de l’aveugle. Toutefois l’ordre d’aller se laver à la piscine de l’Envoyé  ouvre une nouvelle orientation, celle de la rédemption, tellement celle-ci ne saurait être dissociée de l’acte créateur. Jésus pose ici le signe baptismal, plongée dans les eaux de la mort pour que l’homme pécheur puisse émerger à la lumière de la vie nouvelle. En effet si l’aveugle de naissance n’est pas à mettre en rapport avec l’homme pécheur, il n’en est pas de même pour ceux qui, à l’instar des pharisiens, confondent lumière et ténèbres, vue claire et aveuglement, mensonge et vérité. Le refus que nous opposons opiniâtrement à la Parole libératrice nous fait régresser vers les ténèbres, nous fait retourner au chaos des origines. Aussi Dieu engage-t-il un combat pour nous arracher à cette destruction de notre être : « réveille-toi, ô toi qui dors, relève-toi  d’entre les morts » (Ephésiens 5,14), exhorte l’Apôtre Paul. Par le sacrifice de sa vie, par l’offrande qu’il nous fait de lui-même, le Christ, « jeté hors de la vigne » comme l’aveugle-né est jeté hors de la synagogue, fait que les « ténèbres sont en train de disparaître » et que « déjà brille la vraie lumière » (1 Jean 2,8). En venant à la lumière, l’aveugle-né est conduit à reconnaître l’identité de Celui qui lui a ouvert les yeux. Comme lui, nous qui sommes à la fois aveugles de naissance et aveugles par choix, il nous faut apporter notre réponse libre à Celui qui veut nous faire accéder à notre condition de « fils de la lumière ». Par l’écoute de la Parole, la nourriture des sacrements, l’exercice de la charité, nous découvrons dans l’Eglise qui nous enfante à la foi le regard du Christ illuminateur et nous pouvons lui dire : « Je crois Seigneur » (Jean 9,38).


Dimanche 27 février 2005

A LA RECHERCHE DE LA SOURCE DU SALUT

« Le Seigneur est-il vraiment au milieu de nous, ou bien n’y est-il pas ? » (Exode 17/7.

Posée par les Hébreux harassés de leur marche au désert, cette question peut toujours être celle d’une humanité accablée par les épreuves, la violence, les destructions, la mort qui jalonnent le cours de son existence. Elle sonne comme un cri de défi lancé à Dieu, le sommant de donner des signes tangibles de sa volonté de réaliser un dessein si souvent proclamé, d’amener cet homme souffrant à sa plénitude, à son accomplissement. Cette question est aussi comme l’aveu douloureux de l’incapacité où nous nous trouvons de surmonter par nos propres forces les épreuves rencontrées. Mais c’est précisément en ce point de nos détresses que Dieu agit, non pour un plaisir pervers de nous maintenir dans la souffrance et le manque, mais pour nous aider à redresser notre liberté et à accueillir son don d’amour en nous laissant désarmer par sa manière d’aimer. C’est ce que saint Paul souligne en termes théologiques : « alors que nous n’étions encore capables de rien, le Christ, au temps fixé par Dieu, est mort pour les coupables que nous étions » (Romains 5,6). Au désert, le rocher, signe de sécheresse et de stérilité, laisse jaillir l’eau qui donne vie. En Samarie, au terme d’une quête d’un désir jamais assouvi, la femme rencontre le septième homme de qui jaillit la seule eau vive capable de désaltérer : le véritable amour. « Si quelqu’un a soif, qu’il vienne à moi et qu’il boive, celui qui croit en moi » (Jean 7,37). Où trouver Dieu ? Mais désormais au milieu de nous, souffrant et peinant avec nous et pour nous. Ni Jérusalem, ni aucun autre lieu ne sont propres à la rencontre. Celle-ci se fait désormais « en Esprit et Vérité » (V.23), c'est-à-dire dans le Fils qui est « chemin, vérité, vie » selon ses propres expressions (Jean 14,6) et en son Esprit Saint qui nous a été donné pour que la présence aimante de Dieu soit dans nos cœurs (Romains 5,5). Accueillir la Parole vivante : - « Moi qui te parle, je le suis » (Jean 4,26) – donne à l’homme d’entrer dans une connaissance nouvelle de Dieu, Dieu qui aime, Dieu qui donne la vie. Cette connaissance est pour tous, juifs et païens. L’annonce évangélique, que préfigure la femme de Samarie abandonnant sa cruche pour courir vers ses compatriotes, n’a pas d’autre but que de faire surgir pour tout homme la vérité de sa recherche. C’est aujourd’hui que Dieu est avec nous comme celui qui sauve, se donnant lui-même en nourriture et boisson « C’est vraiment lui, le Sauveur du monde » (Jean 4,42).


 Dimanche 20 février 2005

VISIBILITE DU DESSEIN DE DIEU 

« Dieu nous a sauvés … à cause de son projet à lui et de sa grâce » (2 Timothée 1,8).

L’homme vaut-il la peine d’être sauvé ? A cette question sous-jacente à la scène des Tentations, le Christ a répondu positivement en surmontant l’obstination diabolique de Satan par un combat spirituel annonciateur de l’heure de sa Passion. Par le signe de sa Transfiguration, Jésus confirme le dessein divin. Comme le souligne l’Apôtre Paul : « Dieu a donné à l’homme une vocation sainte » (2 Timothée 1,9). Cette vocation, précise-t-il, nous a été donnée par grâce dans le Christ Jésus avant les siècles (id.). Cette formule audacieuse nous fait comprendre que le Christ est présent à l’humanité depuis toujours. Loin d’être le second, il est le principe, le fondement dont Adam n’est que la figure. Prémices en toute chose, voulu par Dieu, le Christ est en Jésus l’homme que Dieu désire, celui en qui tous les hommes sont eux aussi voulus et pensés. Il est donc l’homme vers qui nous devons nous mettre en marche. Celle-ci a été inaugurée par Abraham. Arraché par l’appel divin à une humanité vouée aux ténèbres et à la mort, le Patriarche découvre l’amour de prédilection dont il est le sujet. En lui « toutes les familles de la terre seront bénies » (Genèse 12,3), prémices de l’humanité nouvelle, unifiée à l’image du Dieu UN et dont le Christ est l’alpha et l’oméga. Aussi est-ce en Lui qu’est rendu visible le projet de Dieu. La Transfiguration est tout à la fois synthèse de l’histoire du salut déjà vécue à travers le don de la Loi (Moise) et la prédication prophétique (Elie) et mise en route du nouveau peuple de Dieu encore en gestation à travers le sommeil des trois Apôtres mais que la Résurrection fera surgir à la vie nouvelle. Révélant avec fulgurance la splendeur de son être filial, le Christ, obombré de la présence du Père qui le désigne comme son Fils bien aimé, ouvre le chemin du nouvel exode au terme duquel la gloire de Dieu le saisira dans la plénitude de son humanité, réalisant la promesse faite à Abraham. Cet accomplissement est en route. « Ecoutez-le » (Matthieu 17,5) dit le Père. La Parole que nous donne le Fils n’est autre que celle du Père. C’est elle qui retentit dans la prédication apostolique, lui donnant toute son efficacité sacramentelle, « la Foi naît de ce qu’on entend et ce qu’on entend c’est l’annonce de la parole du Christ » dit Saint Paul (Romains 10,17). De même que la Parole du Père fait resplendir la relation filiale du Christ, de même se noue une relation vitale entre celui qui annonce l’Evangile et celui qui l’accueille. Relation qui unit l’humanité nouvelle, libérée par la parole. « Notre Sauveur, le Christ Jésus, s’est manifesté en détruisant la mort, et en faisant resplendir la vie et l’immortalité par l’annonce de l’Evangile » (2 Timothée 1,10).


 Dimanche 13 février 2005

FAIRE CONFIANCE A LA PAROLE OU L’EPREUVE DE LA TENTATION

  « Le serpent dit à la femme : « … Dieu sait que, le jour où vous en mangerez, vos yeux s’ouvriront, et vous serez comme des dieux, connaissant le bien et le mal. » (Genèse 3,4-5).

La page pleine de saveur et de couleur poétiques du récit de la chute originelle est une méditation sur la rupture de l’alliance avec Dieu occasionnée par le péché. Les Hébreux l’ont rudement expérimentée au cours de la longue et difficultueuse marche de l’Exode. Lassitude puis rébellion font que le peuple met Dieu au défi de tenir sa promesse d’un avenir de liberté et de bonheur. Cette défiance est profondément enracinée dans le cœur de l’homme affronté à une existence qui apparaît bien souvent comme un désert jalonné de souffrances et dont la mort constitue l’horizon. Dieu est-Il toujours avec nous ? Dieu veut-Il notre vie ? Le questionnement peu à peu fait place à la défiance, celle qu’insinue le Tentateur. Dieu n’aurait pas l’intention de tenir parole et de conduire sa créature au bonheur promis. Aussi celle-ci est-elle fondée à prendre sa destinée en mains en confisquant la clé de la connaissance. Le résultat ne se fait pas attendre. Le fruit récolté ne peut être que nudité et détresse de l’être en attendant la mort. Pourtant Dieu maintient sa fidélité et le sabotage du Tentateur ne peut atteindre notre bien le plus précieux : l’image dont nous sommes empreints, celle du Fils qui vient vivre en notre humanité la confiance que nous n’avons su maintenir. Aussi est-ce au travers de l’épreuve de la tentation que le Christ va accomplir l’œuvre de régénération. Acceptant le défi de Satan qui lui suggère de vérifier dans son dénuement sa condition de Fils de Dieu, le Christ oppose au mensonge la vérité de l’Ecriture. Totalement obéissant à la Parole que le Père lui donne, Il peut réussir là où Adam a chuté, là où le peuple a failli. Comme l’indiquait déjà la scène du Baptême, c’est vers l’Heure de la Passion que le conduit cette obéissance. Dans l’ultime combat où les puissances des ténèbres semblent l’emporter sur la fidélité aimante au Père et aux frères, le Christ remporte la victoire : « Tu ne demandais ni holocauste, ni victime, alors j’ai dit : « Voici, je viens » (Psaume 39,7-8). Le sacrifice de la croix exprime la priorité de l’amour qui ouvre la voie du salut.

Par cette totale confiance en la Parole de vérité, le Christ fonde notre Espérance comme le souligne saint Paul : « … combien plus, à cause de Jésus-Christ et de lui seul, règneront-ils dans la vie, ceux qui reçoivent en plénitude le don de la grâce qui les rend justes » (Romains 5,17).


Dimanche 6 février 2005

LE FRUIT DES BEATITUDES

« Vous êtes le sel de la terre … vous êtes la lumière du monde » Matthieu 5,13-14).

Sel et lumière, n’y aurait-il pas quelque contradiction entre les deux images ? Le sel n’est-il pas l’aliment qui doit disparaître au profit de ceux dont il doit rehausser la saveur ? La lumière, au contraire, ne doit-elle pas resplendir, être manifestée ? En fait ces deux images sont magnifiquement complémentaires. Pour être fidèle à sa vocation, le disciple du Christ doit être l’un et l’autre. Ce qui donne de la saveur à notre humanité, ce qui l’éclaire, c’est la mise en œuvre des Béatitudes entendues Dimanche dernier. Le disciple n’est jamais tant « sel de la terre » et « lumière du monde » que lorsqu’il vit dans ce monde la pauvreté de cœur, la douceur, la miséricorde, la justice, c’est-à-dire les manières concrètes d’aimer, tant dans les relations interpersonnelles qu’au sein des groupes, communautés, institutions, qu’elles aient une dimension nationale, voire internationale. Dans la première lettre aux Corinthiens, l’Apôtre Paul décrit avec justesse l’attitude du disciple « sel de la terre » et « lumière du monde ». Lui, le zélateur de la Loi, le brillant et bouillant pharisien, il lui a fallu renoncer à la puissance de l’institution, à la persuasion et à la séduction du discours, afin de ne pas être infidèle à l’exemple de Celui qui est le vrai sel de la terre, la vraie lumière du monde : Le Messie crucifié. En livrant sa vie par amour, en se donnant en nourriture, le Christ, élevé de terre sur la Croix, attire les hommes à lui. La puissance de Dieu s’exprime dans la plus extrême faiblesse qui a conduit le Fils de Dieu à s’enfouir dans le néant de notre mort afin d’y faire resplendir la lumière. Lui seul donne toute sa vérité à l’oracle prophétique : « ton obscurité sera comme la lumière de midi » (Isaïe 58,10). C’est bien de cette mort que jaillit la gloire de la Résurrection. Allant encore plus loin, le Seigneur, n’hésite pas à dire que nos œuvres bonnes feront comme remonter cette lumière vers sa source : Dieu lui-même. Dans sa prière sacerdotale, le Christ ne s’adressait-il pas au Père en disant : « Moi, je t’ai glorifié sur la terre en accomplissant l’œuvre que tu m’avais confiée » (Jean 17,20)? Ne disait-il pas au soir de sa Passion : « celui qui croit en moi, accomplira les mêmes œuvres que moi. Il en accomplira même de plus grandes » (Jean 14,11-12) ? C’est en vivant toujours plus profondément les Béatitudes que les chrétiens pourront accomplir les œuvres bonnes, celles de la charité, de l’amour qui conduit à la perfection de l’unité. Puissions-nous être fidèles à ce désir de Dieu de nous voir toujours plus « sel de la terre » et « lumière du monde » pour que nos frères « rendent gloire à notre Père qui est aux cieux » (Matthieu 5,16).


Dimanche 30 janvier 2005

LE ROYAUME DU BONHEUR

« Heureux les pauvres de cœur, le Royaume des Cieux est à eux » (Matthieu 5,3)

Avec solennité, dans un cadre soigneusement choisi, devant l’assemblée des disciples, le Christ, en huit Béatitudes, met en perspective toute l’existence qui va être la sienne et celle du disciple qu’Il appelle à Le suivre. Rénovant le vieux fond prophétique exprimé par Sophonie (1ère lecture), le Christ ouvre la voie du Bonheur, l’accès au Royaume. Avec une netteté sans détour, sont pour la première fois déclarés Bienheureux ceux qui sont pauvres, persécutés, insultés, calomniés. Comme en écho du « Magnificat » de la Vierge Marie, sont magnifiés les faibles, les modestes, les méprisés.

Un tel langage apparaîtra vite intolérable aux oreilles de beaucoup à travers les siècles. Les philosophes du soupçon  n’hésiteront pas à fustiger le christianisme en en faisant l’apanage des hommes à la volonté faible, incapables de se vouloir eux-mêmes par eux-mêmes (Nietzsche).

En proclamant les Béatitudes, Jésus crée donc un bouleversement qui conduira à la Croix. Il nous provoque à faire en nous la vérité. En qui mettons-nous notre confiance ? Plus l’homme multiplie les « assurances-vie », la possession, la domination des êtres et des choses, plus il s’éloigne de Dieu. Plaçant sa confiance « en l’œuvre de ses mains » il se substitue à Dieu, se fait idole, et entre alors dans la solitude de l’être qui conduit à la mort. Répétant l’attitude régressive d’Adam, l’homme tend à oublier qu’il est pauvre originellement. Tout vient d’au-delà de lui dans l’acte d’amour créateur qui fait surgir du néant son être d’homme. Il lui faut découvrir qu’être pauvre, ce n’est pas vivre l’état de misère, mais la dépossession de soi, sachant que l’on doit tout à Dieu. La pauvreté de bonheur devient notre richesse qui découle du don de nous-mêmes à Dieu et aux frères.

« C’est grâce à Dieu, en effet, que vous êtes dans le Christ Jésus » (I Corinthiens 1,30). Jésus est le Bienheureux parfait puisqu’en lui le Règne de Dieu est en acte. Totalement traversé par Dieu, transparent à Dieu, Il est la présence plénière du Père aux hommes.

Vivre les Béatitudes, c’est Le suivre en abandonnant l’esprit de puissance et de domination pour l’esprit de don et d’Amour.


Dimanche 23 janvier 2005

DE L’OMBRE DE LA MORT AU ROYAUME DE LUMIERE ET DE JOIE

 Jean-Baptiste est arrêté, réduit au silence. L’ombre de la mort s’étend déjà sur lui. C’est l’heure pour Jésus d’entreprendre la marche de l’Evangile. Accomplissant la prophétie d’Isaïe : « le peuple qui marchait dans les ténèbres a vu se lever une grande lumière … tu as prodigué l’allégresse, tu as fait grandir la joie » (Isaïe 9,1-2), c’est dans la Galilée, carrefour des païens, que le Christ vient apporter la lumière de la Bonne Nouvelle : « Convertissez-vous, car le Royaume des cieux est tout proche » (Matthieu 4,17). Mais c’est déjà en forme pascale que se présente la nouveauté du Salut. C’est au travers d’un combat ténébreux, aux prises avec la mort, que le Christ fera advenir le Règne de Dieu. C’est bien des ténèbres d’une humanité victime de ses propres péchés que la lumière et la joie jailliront en vie éternelle. C’est encore avec une apparente modestie, voire une étonnante faiblesse que se présente le dessein divin. Jésus n’est-il pas, selon Matthieu, encore solitaire dans les premiers pas de l’Evangile ? Ses compagnons ne sont-ils pas d’humbles pécheurs sans renommée ni influence notable ? Ces hommes, sur une simple injonction, acceptent de changer de destinée et de suivre Celui qui leur confie une mission nouvelle, celle de participer à la libération de tous les maux qui accablent leurs frères à travers le combat de l’amour qui sera livré jusqu’au cœur de la mort. Au travers de ces préambules évangéliques c’est déjà la mise au monde d’un monde nouveau, d’une terre nouvelle, c’est-à-dire la réalisation du projet formé par Dieu de toute éternité : donner à l’homme d’être seigneur de la création, de recevoir la maîtrise d’un univers créé avec amour. C’est ce que signifient les multiples guérisons. Toutes les foules qui viennent « de la Galilée, de la Décapole, de Jérusalem, de la Judée, de la Transjordanie » (Matthieu 4,25) dessinent la réconciliation universelle instaurée par la Pâque du Christ, poursuivie par le ministère de l’Eglise. Aussi celle-ci, pour être fidèle à son Seigneur, ne peut elle se satisfaire des divisions, des ruptures déjà présentes à Corinthe (1 Cor.1,12) et toujours renouvelées par le péché des hommes. Il n’y a pas d’autre langage que celui de l’Evangile de l’unique Seigneur, il n’y a pas d’autre sagesse que celle de la Croix (id.v.17). C’est d’elle, ne l’oublions jamais, que provient la lumière de l’amour. « La folie de Dieu est plus sage que l’homme et la faiblesse de Dieu est plus forte que l’homme » (1 Corinthiens 1,24-25).


Dimanche 16 janvier 2005

L’UNIQUE SERVITEUR POUR L’UNIQUE SALUT DE TOUS

« Tu es mon serviteur, Israël, en toi je me glorifierai … je vais faire de toi la lumière des nations, pour que mon salut parvienne jusqu’aux extrémités de la terre » (Isaïe 49,3…6).

Au lendemain des épiphanies du Seigneur –Nativité, Epiphanie, Baptême – la liturgie d’entrée dans le temps ordinaire nous offre de méditer le mystère du salut en la personne du Fils unique de Dieu, seul médiateur entre Dieu et les hommes. Trois figures jalonnent l’Ecriture de ce Dimanche pour nous conduire à celle du Christ, Agneau de Dieu qui « enlève le péché du monde » et « baptise dans l’Esprit-Saint » (Jean 1,29…33). La première est celle du serviteur de Dieu au livre d’Isaïe, à l’identité quelque peu mystérieuse, mais dont la mission est d’être lumière pour le salut de tous. Dans la première lettre aux Corinthiens, c’est Paul lui-même qui découvre sa mission d’Apôtre par appel de Dieu. Quant à l’Evangile, il nous fait retrouver la figure du Baptiste dans sa mission de Précurseur du Messie qu’il désigne comme « Fils de Dieu » (Jean 1,34). Chacune de ces destinées est finalement ordonnée au Christ en qui culmine toute l’histoire du Salut, à partir de qui tout le dessein de Dieu se déploie afin que se réalise l’unité des enfants de Dieu dans la communion des personnes. « Avant moi il était » (Jean 1,39) souligne Jean-Baptiste, montrant ainsi que la présence du Fils de Dieu à travers la figure de tous ceux qui, depuis Abraham, ont été les justes selon Dieu, est liée à son appartenance à Dieu de toute éternité. Loin de se dissoudre dans la multitude des hommes, c’est Lui qui la forme et la reforme sans cesse à son image. Chacun d’entre nous trouve sa véritable identité lorsque, saisi par l’Esprit, il se laisse conformer au Fils unique devenu en son Incarnation l’aîné d’une multitude de frères. Notre vie de croyants, notre propre salut ne peuvent trouver pleinement leur sens que dans cette humanité rassemblée autour du trône de l’Agneau et que déjà l’Eglise préfigure. Comme à Corinthe au premier siècle, notre raison d’être en ce début du troisième millénaire est liée à notre enracinement par l’Esprit dans le Christ, unique serviteur. Par lui nous sommes à notre tour constitués comme peuple-serviteur pour le salut de nos frères. Que le don de l’Esprit Saint, fruit de la charité divine, nous donne de devenir tous ensemble, l’humanité nouvelle que le Père attend, image et ressemblance de l’Unique Bien-Aimé qui nous réunit dans sa grâce et sa paix.


Dimanche 9 janvier 2005

Accomplir la justice

 « C’est de cette façon que nous devons accomplir parfaitement ce qui est juste » (Matthieu 3,15).

 Après la Nativité qui mettait en valeur l’engagement personnel de Dieu dans l’histoire du Salut, après l’Epiphanie qui en soulignait la portée universelle et tout spécialement l’ouverture aux païens, la scène baptismale nous dit ce qui est juste selon le cœur de Dieu et comment cet accomplissement va se réaliser. Il s’agit en effet d’établir la paix là où règnent toutes formes de divisions : « ouvrir les yeux des aveugles, faire sortir les captifs de leur prison, et de leur cachot, ceux qui habitent les ténèbres » (Isaïe 42/7). Il faut mettre un terme à l’injustice des hommes, cause des malheurs individuels et collectifs. Paraissant sur les bords du Jourdain, le Christ, sans péché, vient recevoir le baptême de conversion afin de nous manifester à quel point son Père tourne son cœur miséricordieux vers ses enfants. « Descendu dans l’abîme des eaux, englouti par les flots » (Psaume 68,3), Il annonce sa mort, source de pardon, de miséricorde, pour les injustes que nous sommes. « Dieu ne fait aucune différence entre les hommes » (Actes 10,34). Tous sont appelés à participer à sa vie, à connaître son amour.

En accomplissant ce qui est juste, Jésus dévoile son être profond. En accordant pleinement sa liberté humaine à la volonté du Père, Il est la parfaite image et ressemblance de Celui-ci. Plongeant dans les eaux, symbole de mort, Il annonce qu’Il va vivre la détresse de la condition humaine jusqu’à son plus extrême degré. Il ne retient pas « le rang qui l’égale à Dieu » (Philippiens 2,6) mais se dépouille Lui-même de sa vie : « Ma vie nul ne la prend, mais c’est moi qui la donne » (Jean 10,18). Il apparaît comme le Fils bien-aimé, révélation du Dieu invisible dans le don qu’Il fait de Lui-même par amour pour nous. En se donnant à voir dans l’homme Jésus, l’engendré incréé permet au Père et à l’Esprit de sceller de manière définitive l’Alliance de Dieu avec son peuple. Ainsi s’accomplit la prophétie : « J’ai fait reposer sur lui mon esprit … il est la lumière des nations » (Isaïe 42,1…9). Dépositaire de tout l’amour du Père, Jésus fait de son baptême une prophétie de la Pâque qui conclura l’œuvre divine de salut. Contempler le Christ au baptême, c’est contempler ce que nous avons à devenir dans le monde de justice, de paix, d’amour, qu’Il vient inaugurer. Notre vie prend désormais la forme pascale. Elle se développe par le don de l’Esprit qui préside à la naissance de l’humanité nouvelle. Celle-ci sort des eaux de la mort pour accéder à la vie divine. C’est cet accomplissement qui est parfaitement juste. Aussi, comme Jean-Baptiste, « laissons faire » pour qu’advienne notre justification.


Dimanche 2 janvier 2005

Le mystère révélé

« Debout Jérusalem ! Resplendis : elle est venue ta lumière et la gloire du Seigneur s’est levée sur toi… Lève les yeux, regarde autour de toi : tous, ils se rassemblent, ils arrivent. » (Isaïe 60,1…4).

Au-delà de l’événement historique du retour d’Exil, le Prophète annonce le rassemblement de toutes les nations dans la lumière de l’unique vérité, celle du Christ, lumière des nations. Pourquoi Dieu a-t-Il tenu caché aussi longtemps ce qu’Il est venu manifester « dans les derniers temps, dans les jours où nous sommes … » (Hébreux 1,2) ? C’est que les comportements des hommes pécheurs font obstacle à la perception de la réalité de la présence divine à l’humanité. En refusant d’accueillir la manière divine de nous aimer, nous créons les divisions, les ruptures, qui bloquent le processus d’unité voulu par Dieu. En venant vivre par amour notre condition pécheresse, le Christ accomplit le dessein de réconciliation, d’unification. Ce n’est plus seulement Jérusalem, mais l’humanité tout entière qui voit resplendir sur elle la gloire du Seigneur. Si la division « juifs-païens » est symbolique des affrontements fratricides de l’histoire, la convergence des uns et des autres vers le Christ est aussi reconnaissance décisive de leur filiation unique qui constitue l’unité vraie de cette humanité encore divisée. En présentant l’événement de l’Epiphanie, l’Evangile nous rappelle que des sagesses, des savoirs étrangers à ceux de la Révélation biblique, peuvent être aussi des chemins d’accès à la véritable lumière venant dans le monde. Comme le souligne le Concile Vatican II « ces manières d’agir, de vivre, apportent souvent un  rayon de vérité qui illumine tous les hommes ». Les Mages découvrent dans l’enfant de Bethléem, fragile, démuni, Celui qui est capable de combler leurs aspirations et qu’ils cherchaient dans la nuit : Dieu-avec-nous, le Seigneur sauve. Comblés de son amour, illuminés par sa présence, ils peuvent revenir vers leurs peuples et leurs cultures, mais « par un autre chemin ». Anticipant la Pentecôte, ils préfigurent les Apôtres illuminés par le feu de d’amour et de force, faisant disciples toutes les nations (Matthieu 28,15). Toutefois il leur a fallu expérimenter que « le Salut vient des Juifs » (Jean 4,22), même si les héritiers de l’Ancienne Alliance se refusent à bouger, se comportant en « ennemis de Dieu » (Romains 11,28). Mais l’espérance est désormais présente : Celui qui est venu d’Israël, qui a été reconnu par les païens, est le fondement de l’unité des hommes entre eux parce que Dieu est venu s’unir à eux. Ce mystère caché dès le commencement est désormais révélé. C’est l’Epiphanie de Dieu.